Cahier doléances Guermantes

CAHIER[1]

 

Des remontrances de la paroisse de Guermantes, succursale de Bussy-Saint-Martin[2].

 

En répondant aux intentions d'un monarque qui, uniquement occupé du bonheur de ses sujets, cherche dans tous les ordres de son royaume à connaître les besoins, les ressources et les vœux, puissions-nous par avance lui vouer le juste hommage de nos cœurs !

Il veut que nous lui adressions nos plaintes.

Nous en pourrions faire un grand nombre :

1° Sur la multitude des impôts ;

2° Sur la dureté avec laquelle on les exige ;

3° Sur MM. les intendants des provinces ;

4° Sur l'effroyable quantité de gibier ;

5° Sur les ministres de la justice ;

6° Sur la difficulté des chemins qui rendent le transport des denrées onéreux.

 

1° SUR LA MULTIPLICITÉ DES IMPOTS

Pour en connaître tout le poids, il suffit d'envisager notre situation. Bornés à de petits biens, incapables par eux-mêmes d'alimenter la famille la moins nombreuse, ou au faible gain d'un manouvrier dont le travail n'est pas toujours possible, souvent même interrompu par le malheur des saisons et les ordres quelquefois de l'Etat, il faut pourtant trouver de quoi remplir la taille, le vingtième, la capitation, les aides, la gabelle, la corvée et la milice, espèce de taille non moins onéreuse.

2° SUR LA DURETÉ AVEC LAQUELLE ILS SONT PERÇUS

L'on n'a nul égard sur l'inégalité des fonds ; dans le cas d'une impossibilité mensongère, on vous réduit à une impossibilité réelle par les frais accumulés par les poursuites vives et criantes, par l'inhumanité des officiers subalternes qu'on emploie dans ces occasions.

On force de prendre du sel dans un moment où l'on manque presque de pain.

3° SUR MM. LES INTENDANTS

C'est avec une véritable douleur que nous parlons contre des personnes que nous respectons encore, malgré ce qu'ils nous causent de déplaisir, soit par les corvées qu'ils ordonnent, corvées dont l'utilité n'est pas toujours sensible, soit par les tailles imposées sur des déclarations faites en l'air, et d'après lesquelles on impose sans autres formes d'examen.

4° LA QUANTITÉ DE GIBIER

Tort dont on partage avec la société la charge, sans compter les dommages qu'ils nous portent en particulier dans nos biens.

5° SUR LES MINISTRES DE LA JUSTICE

Que peut laisser, avec toutes les charges qu'il a eu à supporter, le père de famille mourant, et que revient-il à une famille de son petit bien, lorsqu'il y a eu des scellés, des levées de scellés, des inventaires, des ventes, et lorsque, même sans chicane, on vient de compter avec MM. les officiers ?

6° SUR LA DIFFICULTÉ DES CHEMINS

Il y a environ 100 toises de mauvais chemins qui forment l'espace de la rue Ferrailles, qui prend audit village de Guermantes pour aller à Lagny.

Ce chemin est impraticable une partie de l'année, ce qui empêche de porter les denrées au marché, ou occasionne des frais que les marchands seuls supportent.

7° SA MAJESTE DEMANDE DES SECOURS

Que ne lui est-il permis de lire dans nos cœurs et d'y voir pour sa personne l'amour le plus ardent, le plus sacré, et le dévouement qui lui assurerait notre disposition aux grands sacrifices ? Mais notre impuissance nos biens est assez sensible, notre zèle à supporter des charges qui nous accablent s'est jamais démenti, et il nous a fallu les mêmes de notre prince pour exprimer des plaintes que nous avions toujours retenues captives dans notre cœur, et que nous retiendrions encore.

Nous avouons notre incapacité dans les lumières que nous voudrions offrir à un Etat si éclairé.

Nous nous contentons de voter avec nos chers compatriotes, pour un seul et unique impôt annuel fixé à raison des propriétés, perçu par la province qui en irait porter directement au Trésor le capital à chaque échéance, sans aucune perte à craindre du côté de la manutention, moins étendue et plus éclairée.

Tant de collecteurs avides et à la charge de l'Etat, qui ne pèsent pas moins par les injustices qu'ils exercent dans son propre sein, deviendraient, par une suppression complète, un soulagement pour lui et une grande tranquillité pour les peuples.

Nous terminons notre cahier de doléances, après avoir tenu une assemblée dans les formes prescrites par l'ordonnance qui nous a été adressée, et avons unanimement nommé pour notre député, Bernard Poudrier.

Fait à Guermantes, à la chambre d'audience ce 15 avril 1789.

 

Signé Josselin, greffier ; Lefèvre ; Brunet ; Boivin ; J.-B. Michel ; P. Rozier ; Fleury ; Nicolas Michel ; Dubos ; Anouau.



[1] Cahier de Guermentes (Paris). In: Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome IV - Etatsgénéraux ; Cahiers des sénéchaussées et bailliages. Paris : Librairie Administrative P. Dupont, 1879. pp. 596-597;

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1879_num_4_1_2210

[2] Nous publions ce cahier d'après un manuscrit des Archives de l'Empire