LAGNY

Lagny, raconté par Félix Pascal

(page 294 à 305 - l'orthographe des noms propres a été gardé tel que dans le manuscrit d'origine - d'autres termes ont été corrigés exemple: Habitants, au lieu de habitans...)

L'on rapporte qu'en l'an 645 de notre ère, sous le règne de Clovis II, Furcy, gentilhomme écossais ou irlandais, vint en France, et qu'Archambault, Ereon-vald, ou Erchinoald (car l'histoire le désigne sous ces différents noms), maire du palais, lui donna un terrain environné de forêts, situé sur la rive gauche de la Marne entre Paris et Meaux; et que le saint homme y bâtit un couvent qui devint l'origine de la ville de Lagny.

Cette ville, assise en amphithéâtre sur un coteau incliné au nord, à trois lieues et demie sud-ouest de Meaux et à huit lieues nord de Melun, est bordée au nord par la Marne que l'un passe sur un beau pont de pierre, et traversée par la route de Paris à Vitry-le-Français et par celle de Claye à Melun.

On a donné diverses étymologies du mot Lagny. Selon quelques-uns uns, il vient du celtique Lat ou Lad, qui signifie un endroit aquatique, ce qui conviendrait assez à Lagny dont le terrain est rempli de sources abondantes; mais on fait observer qu'il y a dans le département de l'Oise une autre commune qui porte aussi le nom de Lagny, que l'aridité de son territoire a fait surnommer le Sec, ce qui semblerait impliquer contradiction. Cependant, quelques similitudes dans certains objets a pu aussi faire donner le même nom à deux endroits qui diffèrent sous beaucoup de rapports principaux, et l'on ne doit donc rien inférer de cette diversité de sites contre l'étymologie. On a pensé encore que Lagny venait de Latinius, Romain qui aurait été un des premiers habitants du lieu, et qu'enfin du commerce ou de la grande culture des laitues, il aurait retenu le nom de Laniacum ou Lenniacum, d'où l'on aurait fait Lenny, Lainy, Lainny, Laigny, Leigny et Lagny.

Furcy étant retourné en Angleterre, le couvent qu'il avait établi dans ce lieu fut gouverné par une suite d'abbés dont les noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Il fut aussi l'asile où vécurent une quantité de saints personnages; mais, dans leur invasion au IXe siècle, les Normands pillèrent le monastère et détruisirent l'église et les monuments qu'elle renfermait.

Herbert ou Héribert, deuxième du nom, comte de Brie et de Champagne, obtint d'Hugues-Capet la permission de rétablir cette abbaye. Etienne, son fils et son successeur, fit confirmer la permission par Robert, alors régnant. En 1018, la dédicace se fit de la manière la plus solennelle; le roi Robert, le due de Bourgogne et les prélats circonvoisins assistèrent à la. cérémonie; le pieux monarque suivit la procession, pieds nus, et fit ensuite présent à l'église d'un grand nombre de reliques précieuses. L'abbaye a été brûlée plusieurs fois: le premier incendie eut lieu en 1157; celui de 1184 détruisit une partie de la ville. En 1357, les moines et les habitants de Lagny firent contribuer aux réparations de l'abbaye ceux de Chessy, de Montevren, de Gouerne, de Conchis et de Chantelou.

Dans le XlVe siècle, les Anglais désolèrent le monastère. Après leur retraite, la garde en fut confiée à Pierre de Crique, homme féroce qui n'épargna rien de ce que l'ennemi avait ménagé; mais la résignation des religieux vainquît enfin l'atrocité du caractère de ce gouverneur, et, pour réparer le mal qu'il leur avait fait, il jeta les fondements d'une nouvelle église qui eût sans doute été magnifique, mais dont il ne put en achever que le sanctuaire, et les religieux eux-mêmes, qui voulurent continuer son ouvrage en furent empêchés par les pestes qui ravageaient le pays et par les guerres de l'époque.

En 1516, la réforme fut introduite dans ce monastère, en vertu d'un arrêt du parlement par les soins d'Etienne Gentils, prieur de Saint-Martin-des-Cbamps, et, en 1641, la réforme de la congrégation de Saint-Maur s'effectua par les soins de Camille de Neuville, alors abbé.

Les abbés avaient le titre de comtes de Lagny; ils jouissaient de tous les droits seigneuriaux; leurs baillis rendaient la haute, moyenne et basse justice. Cependant l'abbaye n'était pas exempte de la juridiction épiscopale, et l'abbé, à sa prise de possession, prêtait le serment de fidélité à l'évêque de Paris.

Dans le milieu du XIIe siècle, le comte de Brie et de Champagne, Henri Ier, dit le libéral, voulut bâtir une tour à Lagny et établir une commune dans cette ville; mais les religieux, qui n'entendaient pas la liberté de la même manière que leur suzerain, s'opposèrent a l'une et à l'autre de ces fondations. Avec la première, le comte Henri pouvait dicter ses volontés au monastère; avec la seconde, les habitants auraient pu n'être pas toujours de l'avis des moines. L'archevêque de Sens, en 1156, trancha la difficulté en prononçant que le comte Henri n'avait ni le droit d'élever une tour ni celui de donner une commune.

En 1096, les religieux, ayant cherché à se soustraire à la juridiction épiscopale, Guillaume, évêque de Paris, se transporta à Rome, muni d'une lettre d'Ives, évêque de Chartres, et ses droits lui furent conservés.

Dans ces temps féodaux, où la volonté des seigneurs ne souffrait pas de contradictions, l'opposition du peuple se manifestait quelquefois d'une manière fort brutale. En l'an 1162, l'abbé de Lagny ayant voulu réprimander un homme pour son forfait, ce misérable lui décocha dans l'oeil une flèche dont il mourut sur-le-champ. En 1490, Auger de Brie, abbé commendataire, prêta serment de fidélité à l'évêque de Paris, à cause, * disait le titre de cette prestation de serment, que ce monastère, était immédiatement soumis au siège épiscopal. Plusieurs personnes considérables choisirent celle abbaye pour leur sépulture; ce sont: Herbert II, comte de Brie et de Champagne; le prêtre Evrin, dont il sera question à l'article de la commune de Mont-Evrin; et Thibault IV, comte de Brie et de Champagne, surnommé le Grand. Sa tombe ayant été levée, on y trouva un reliquaire en argent qui contenait quelques fragments d'os que l'on a cru être ceux de saint Thibault, son patron.

Comme les comtes de Brie et de Champagne n'avaient pas de palais à Lagny, ils logeaient à l'abbaye lorsqu'ils venaient en cette ville. Le comte Henri, troisième du nom, dans une charte de l'an 1271, fait mention qu'un de ses prédécesseurs avait abandonné le droit de gîte, pour faire plaisir aux religieux, moyennant la somme annuelle de cent livres.

La ville de Lagny se trouvant dans une situation très-favorable pour le commerce, les comtes de Brie ont fait tous leurs efforts pour le rendre de plus en plus considérable. En 1130,sous le règne de Louis-!e-Gros, l'abbé Raoul fut obligé de réduire à six le nombre des changeurs de cette ville. Les foires et marchés existaient dès le règne de Louis VII; le principal était celui qui commençait le jour des Innocents: il attirait un grand concours de peuple, et l'on pouvait présumer, d'après un titre de l'an 1188, qu'un certain quartier de la •ville avait été nommé Angliœ, du nom des Anglais qui en fréquentaient les foires. Cette foire fut ensuite transférée au 2 janvier. «La foire de Lainny-sur-Marne est livrée le lendemain de l'an reneuf... La foire de Laigny «ne doit point d'entrée.» Au XVe siècle, la ville de Paris avait fait aux marchands de Lagny la concession d'une halle. Le commerce de cette ville était surtout la draperie.

En 1553, Henri II établit quatre foires par an à Lagny; dans la suite il n'y eut plus que deux et trois marchés par semaine qui se tenaient les lundi, mercredi et vendredi. La foire principale est celle du 20 novembre où il se fait un grand commerce de chanvre. Il n'y a plus qu'un marché le vendredi: il s'y vend beaucoup de blé.

La ville de Lagny, si florissante sous le rapport du commerce, avait une étendue bien supérieure à celle qu'elle a maintenant; on peut en juger en comparant les vestiges de l'ancienne clôture à ceux de la dernière, puisque l'on en voit encore quelques parties de l'une et de l'autre. Les guerres des XIVe, XVe et XVIe siècles ruinèrent son commerce et furent la cause de sa décadence.

Les lettres de Philippe-Auguste, de 1213, disaient que la comtesse Blanche et son fils Thibault ne pourraient fermer Meaux, Lagny, Provins et Coulommiers que de son consentement, jusqu'à ce que Thibault eût atteint sa majorité, d'où l'on peut inférer qu'à cette époque Lagny n'était pas encore clos de murs.

En 1431, la ville de Lagny soutint un long siège pendant lequel ses faubourgs furent démolis et la ville réduite à peu près à la grandeur où nous la voyons aujourd'hui. Avant la révolution, Lagny était le siège d'un bailIage, d'un gouvernement particulier et d'un grenier à sel. On y comptait trois paroisses, une abbaye, et plusieurs communautés religieuses. Lagny n'est plus aujourd'hui qu'un chef-lieu de canton, le siège d'une justice de paix et la résidence d'une brigade de gendarmerie.

Les rues sont peu larges, et la ville est assez mal bâtie. La place sur laquelle se tient le marché est au sud de la ville: on y remarque une belle fontaine dont ou prétend que la source fut découverte par un miracle de saint Furcy.

L'ancienne église de l'abbaye, vaste édifice, en majeure partie du XIIIe siècle, mais dont la nef est de la fin du Xle ou du commencement du XIIe, a été rebâtie en 1750; elle est maintenant la seule paroisse de la ville: les autres églises sont démolies ou servent à des usages profanes. Ces églises étaient 1° celle de Saint-Sauveur, plus voisine de la Marne; 2° celle de Saint-Paul, plus près de l'abbaye et qui n'avait peut-être été dans le principe qu'une simple chapelle bâtie par les comtes de Brie; peut-être aussi ne servait-elle que pour quelques cérémonies claustrales.

L'édifice qui existait à la révolution datait seulement du règne de François Ier:,1a dédicace en avait été faite en 1559. On prétend que, sur la fin du Xe siècle, il se tint dans celte église une assemblée d'évêques; mais, comme on n'a pour preuve de cette sorte de concile qu'une lettre écrite par Gerbert aux chanoines de Saint-Martin de Tours, que dans cette lettre il est bien question d'une église Saint-Paul, mais que rien ne constate que ce soit celle de Lagny, sinon la circonstance que les évêques mandent aux chanoines de se trouver dans quelque temps à Chelles où le roi tiendra des plaids, on peut regarder ce fait au moins comme très-douteux; 3° l'église Saint-Furcy, qui n'était séparée de la précédente que par une rue, datait du XIIe ou XIIIe siècle; elle présentait cette particularité, qu'il y avait deux curés, l'un portant le titre de curé de droite et l'autre celui de curé de gauche: singulier état de choses qui dura jusqu'en 1611. Cette église est aujourd'hui transformée et» une hôtellerie.

Les bénédictines commencèrent à s'établir à Lagny en 1641.Charlotte de Bret, prieure du monastère Saint-Thomas de Laval, acheta à Lagny une maison où, avec la permission de l'archevêque de Paris, elle établit un couvent; mais les guerres de la minorité de Louis XIV l'ayant dégoûtée, elle transféra son établissement à Conflans près Charenton. Deux de ces filles seulement étaient restées dans la maison; elles attirèrent d'autres religieuses et fondèrent un nouveau couvent qui ne subsista que jusqu'en 1688.

L'autre couvent, situé sur la paroisse Saint-Furcy, fut d'abord établi dans le XIIe siècle près Donnemarie, arrondissement de Provins, transféré ensuite à Don-nemarie même à cause des guerres qui l'avaient ruiné, puis peu de temps après à Lagny. La maison Rouge, dans le faubourg du Vivier, fut donnée par le seigneur de Conches, Pierre Thiersault, pour édifier ce monastère; parce que Marguerite, fille de ce seigneur, ayant désiré se faire religieuse, Thiersault ne voulut point se séparer d'elle. Les religieuses en furent mises en possession en 1648.

L'Hôtel-Dieu de Lagny date au moins du XIIIe siècle; les abbés de Lagny et les évêques de Paris eurent plusieurs contestations pour l'administration des biens de cette maison; des plaintes mêmes furent adressées au pape à ce sujet, en 1411; et, en 1673, il y eut au parlement un interlocutoire sur la requête des syndics et habitants de Lagny, à l'effet d'enregistrer des lettres patentés portant établissement d'un hôpital dans ladite ville. Maintenant l'hospice contient vingt vieillards des deux sexes et douze enfants indigents.

C'est de l'année 1544 que date l'origine du dicton: combien vaut l'orge? qui mettait jadis en fureur les habitants de Lagny lorsqu'on le prononçait sans avoir la main dans un sac d'orge. On raconte qu'à cette époque le roi ayant envoyé certains ordres à Lagny, les habitants refusèrent de les exécuter et se révoltèrent; que le maréchal de Lorges, qui était dans les environs, fit le sac de la ville qu'il mit au pillage; que, bien que le maréchal ait agi d'après les vues de la cour, on voulut l'inquiéter, mais que le roi donna des lettres patentes portant défenses aux habitants de faire aucune poursuite... Ainsi, dire aux habitants: Combien vaut l'orge? était leur rappeler leur défaite et par conséquent blesser leur orgueil: de là aussi leur colère et leur vengeance. On a beaucoup amplifié sur ce texte. Ainsi l'on a écrit, et d'autres ont niaisement répété que, pour insulter le maréchal et pour faire à son nom une allusion déshonorante, les habitants de Lagny,; lors de l'assaut, jetèrent des sacs d'orge sur la tête des assiégeants, ce qui est très-vraisemblable, comme on le conçoit. On a ajouté qu'après la prise de la ville, tous les hommes furent passés au fil de l'épée et que toutes les femmes devinrent les victimes de la brutalité du vainqueur... Des gens mieux instruits sans doute ont proposé une autre variante. Messieurs de Lagny n'auraient point été tués; au contraire, le perfide Lorges les aurait conviés à un bal avec mesdames leurs épouses, et là, au milieu des plaisirs et de la gaîté, sur un signal du chef, la soldatesque se serait précipitée dans la salle de danse, et, en présence de leurs maris, aurait donné aux bourgeoises une fête d'un tout autre genre que celle à laquelle elles s'attendaient... De pareils récits, qu'aucune preuve ne confirme,'doivent être laissés aux recueils d'anecdotes burlesques... Les préjugés s'affaiblissent grâce à l'éducation des peuples, et, malgré le témoignage d'un ouvrage tout récent sur le département, et les historiettes tragiques dont son auteur cherche à nous effrayer, on peut sans danger demander à Lagny: Combien vaut l'orge? on n'y provoquera tout au plus que le sourire de quelques porte-faix.

Plusieurs personnages célèbres sont nés à Lagny; on cite Arnoult, abbé, qui écrivit dans le XIe siècle la vie et les miracles de saint Furcy; Geoffroy de Leigny et Milon de Leigny, poètes du XIIIe siècle; Pierre d'Orgemont, premier président du parlement de Paris, élu chancelier de France à la pluralité des suffrages.

Les environs de Lagny sont très fertiles. La commune est circonscrite par les villages de Saint-Denis-du-Port, un hameau dépendant de Gouvernes, au midi; et au nord, au delà de la rivière, par un hameau dépendant de la commune de Torigny et de celle de Pomponne. Ces différents lieux font, pour ainsi dire, partie intégrante de la ville de Lagny dont la population intrinsèque est de 1,800 habitants.