Table d'Emeraude exégèse -6-

La Table d'Emeraude d'Hermès Trismégiste.

Tu sépareras la terre du feu, le subtil du grossier, doucement, avec grande ingéniosité.

Combien en lisant cette sentence de la Table d'Émeraude sont-ils réellement parvenus à pénétrer l'extrême profondeur des mystères occultes qu'elle renferme ?...D'abord, il nous est intimé sur le mode impératif d'avoir à séparer. Que doit-on entendre par cette injonction ? S'agit-il de poursuivre dans la pratique de l'hétérogénéité, ce qui serait manifestement le contraire de toute élévation spirituelle qui a pour objet de se rapprocher de l'Universel... Ou bien doit-on plutôt entendre, comme c'est mon intime conviction, qu'il faut parvenir à un certain éveil de sa Conscience qui permettra de distinguer une chose d'une autre, une polarité d'une autre, un état d'un autre ...Il ne s'agit pas, concernant la Table de la loi de l'alchimie, cet Art de la transmutation et de la sublimation, d'un conseil de division physique, intellectuel ou spirituel, mais bel et bien d'un élargissement du champ de Conscience que se doit de pratiquer l'oeuvrant. La séparation dont il est ici question n'étant rien d'autre que l'activation de cette noble faculté qu'est le discernement grâce à laquelle nous avons la possibilité d'aller cueillir le fruit de l'arbre de la Connaissance avec pour conséquences ce que révèlent les Tables de la loi du Sépher de Moïse dans ce trope incontournable : Et-vous-serez Tels-que Lui-les-Dieux connaissant-le-Bien-et-le-Mal. Car, et c'est là que réside la grande difficulté d'interprétation de la Table d'Émeraude, le retour à l'homogénéité de la pensée, passe nécessairement par la capacité à distinguer les choses, ce qui est la manifestation d'un haut niveau de Connaissances, et non pas de les confondre dans une suite d'amalgames chaotiques et incohérents. La Divine Création, depuis les premiers instants de la Genèse, ne peut se manifester que par dualisme. Parvenir à distinguer ce dualisme, c'est déjà ne plus rester enfermés dans une identification égotique qui nous fait appartenir à l'une ou l'autre puissance de ce dualisme originel, mais nous place comme troisième terme du Ternaire Divin, celui de la Conscience dont la vocation est justement de séparer la Providence du Destin, car elle a la faculté de pouvoir être l'analogie de ces deux contraires parfaitement et éternellement antagonistes et irréductibles. La fonction de séparer, est donc bien celle qui échoit naturellement à la Conscience, et ce à quoi nous invite la Table d'Émeraude n'est rien d'autre que l'activation de cette Conscience dans ses attributs les plus nobles.

Séparer c'est discerner, mais pour distinguer encore faut-il connaître. La confusion des genres qui est le propre de l'ignorance et d'une vision manquant singulièrement d'élévation, ne permet ni de distinguer ni de séparer. Ceux qui lisent habituellement cette sentence, qui derrière sa grande simplicité dissimule une immense sophistication, l'interprète selon leur niveau de connaissance, et le sens de lecture qu'il pratique. Pour le sens Parlant, séparer revient à trancher, couper, sectionner ; pour le sens Signifiant, séparer consistera à répartir selon un manichéisme rigoureux, les choses par famille, couleur, poids, tailles, texture, etc... Pour le sens Cachant, cela consistera à discerner les polarités opposées qui se manifestent sur tous les plans pour être capable d'en faire une synthèse unificatrice afin que chaque élément retrouve sa place et sa cohérence à l'intérieur d'une harmonie universelle.

Tu sépareras la terre du feu... La Table d'Émeraude commence par le plan de la plus forte densité, celle de la terre, la cristallisation la plus consistante de la lumière, en la séparant du feu qui est la source de sa vitalité. Le Feu, est le Feu cosmique spirituel, celui qui par déclinaisons successives, de plan en plan, deviendra la flamme et la lumière qui se dégageront de la bûche qui brûle dans notre cheminée. Car, comme je l'ai par ailleurs signalé, cette bûche est essentiellement constituée des lumières dont l'arbre s'est nourri tout au long de sa vie, et qu'il a cristallisées pour en faire un chêne, un orme, un sapin, un baobab un séquoia ou un bonzaï. Séparer la terre du feu implique d'abord que nous accédions à une connaissance des choses naturelles, perceptibles par nos cinq sens organiques, et que nous soyons capables par notre Conscience d'en discerner les différentes étapes de transmutation, pour parvenir à remonter à la source qui a rendu la manifestation de cette chose possible. Cette prise de Conscience, nous mènera inéluctablement au constat que ce qui donne vie à la terre, et tout ce qui s'y trouve, n'est pas autre chose que le Feu, et que ce Feu possède différents états de manifestations qu'il convient de connaître si nous voulons être capables de les discerner (séparer) afin de ne pas confondre la manifestation d'un état, d'avec la manifestation de cette puissance dans un autre état. Lors du précédent article auquel j'ai fait référence ci-dessus, il est indiqué qu'il y a plusieurs aspects du Feu cosmique spirituel. Il est en premier l'expression de la Volonté du Divin Créateur qui manifeste la Lumière de son Intelligence : et la lumière fût ! Il est ensuite la chaleur et la lumière des puissances cosmiques qui donnent naissance à leurs progénitures multiples ; il est encore cette force électrique qui se manifeste par son magnétisme et ses polarités positives et négatives ; il est aussi ce feu ardent des passions et des désirs, qui serpente dans la sexualité. Je n'ai pas la prétention de dresser une liste exhaustive des différents aspects du Feu, d'autres l'ont fait abondamment avant moi et y ont consacré de nombreux ouvrages sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir. J'ouvre simplement une porte pour que votre méditation s'engouffre dans cet espace immense qui se trouve trop souvent occulté par la simple réflexion intellectuelle. Séparer la terre du feu est un travail considérable pour la Conscience qui s'active à son éveil.

... le subtil de l’épais... Nous passons ici de la partie la plus dense à la partie la plus volatile de cette fonction qui consiste à séparer. Pour parvenir à séparer le subtil de l'épais, encore faut-il être capable de discerner ce qui est du domaine de l'un de ce qui est du domaine de l'autre, et là, il me paraît difficile, pour ne pas dire impossible, d'y parvenir sans activer ses cinq sens supérieurs. Ce que voit la vision binoculaire n'est que la partie terre, épaisse, organique des choses. Pour en percevoir l'aspect subtil, il faut obligatoirement activer sa clairvoyance, celle qui permet de voir ce qu'il y a réellement derrière les choses épaisses et terrestres. La vision épaisse permet de voir le visible, alors que la vision subtile permet de percevoir l'invisible. Là encore, même si au début de la pratique cela constitue un passage obligé, il conviendra d'élever sa Conscience à des niveaux de discernement d'une grande finesse, qui permettront d'éviter de trancher, plutôt que de séparer. S'il y a différents niveaux de perception dans la vision épaisse, il y a aussi un nombre infini de niveaux de perception dans la vision subtile. Plus la Connaissance s'accroît, plus la subtilité de la vision augmente, et plus la séparation du subtil de l'épais devient délicate et lumineuse. Pour illustrer cette abstraction, je prendrai l'exemple de la Conscience elle-même : croire que l'être humain est la seule créature douée de Conscience, est le résultat d'une vision égotique et anthropomorphique particulièrement épaisse de cette Conscience. Discerner que rien de ce qui existe n'est dénué de Conscience, est déjà une vision un peu plus subtile, juste un peu plus, et ce n’est pas grand-chose. Mais après avoir séparé cette notion de Conscience de l'épais pour lui donner un caractère subtil, il est encore possible d'élever cette subtilité jusqu'à considérer que cette Conscience, dont le niveau diffère selon la forme dans laquelle elle se manifeste, n'est en réalité qu'une seule et même chose dont les différents aspects qui permettent de les séparer les unes des autres, ne résultent que des différents degrés d'évolutions respectifs. En résumé, pour la vision subtile, il n'y a pas de différence de nature entre la Conscience d'un ver de terre d'avec celle d'un être humain, juste une différence d'évolution. Ceci devrait vous permettre de comprendre pourquoi les bouddhistes Tibétains, avant de construire les fondations d'un bâtiment, creusent d'abord la terre pour en sortir, un à un, les vers de terre afin de les porter ailleurs sans qu'ils aient à subir les préjudices des travaux à venir, et de l'inconscience épaisse des travailleurs.

... doucement, avec grande industrie... Séparer la terre du feu, le subtil de l'épais, est l'essence même de toutes transformations, de toutes transmutations. Ne pas être capable de séparer, pour cause d'ignorance, condamne à ne pouvoir s'identifier qu'à des choses épaisses, celles qui s'imposent par leur forte densité et leur puissant magnétisme. Parvenir à séparer (discerner) ce qui est un travail volontaire qui demande effort et endurance, doit se faire lentement, la précipitation de l'oeuvrant étant toujours préjudiciable à la réalisation de l'oeuvre, surtout lorsqu'il s'agit du Grand Oeuvre. Elle doit se faire aussi avec grande industrie, car la tâche est en vérité considérable, pour la raison que toute la matière (terre) se transforme dans l'expansion du mental jusqu'à ce qu'elle domine l'inférieur. Pour ce qui est des facultés, elles passeront du concret pour accéder à l'abstrait. L'ajustement et l'alignement des pensées est un immense chantier qui attend celui qui entend mettre en pratique les règles de la Science Hermétique. Pour les autres que le labeur rebute, ils peuvent poursuivre leur chemin dans cette incarnation, sachant que tôt ou tard ils devront de toute façon faire ce qui permettra à leur Conscience de passer du ver de terre à celle de la plus haute idée que le Divin Créateur se fait d'eux... Mais il y a un nombre infini de réincarnations possibles, à chacun de choisir selon ses appétences, il ne recevra que selon ses mérites.

Pour ceux qui malgré l'ampleur de la tâche, ne sont pas rebutés par l'effort, ils doivent concevoir que la pratique de la séparation de la terre du feu, et la distinction du subtil de l'épais passeront par une méditation sur des pensées les plus justes en vertus, celles qui sont les seules à pouvoir fusionner le supérieur avec l'inférieur. Cela commencera par la séparation entre l'ego et la Conscience, l'identification et les spécificités de l'une par rapport à l'autre. Une fois que la Conscience s'est séparée de l'ego, elle doit encore comprendre l'intérêt qu'il y a à se servir de ce dernier, sans pour autant, comme c'était le cas avant cette séparation, se laisser asservir par lui, et l'illusion (la maya) d'une fausse identification avec cette illusion périssable. Ayant distingué ce qui est périssable de ce qui ne l'était pas, il faudra que l'aspirant le fasse pour ce qui se rapporte à sa sphère égotique de manifestation, à sa famille, ses compagnons, les différents groupes auxquels il s'identifie, car la séparation une fois commencée doit se poursuivre lentement, mais avec grande industrie.

Lorsque la Conscience, par élévation successive dans le subtil, parvient à redécouvrir son appartenance au supérieur, il faudra encore qu'elle sépare dans ce supérieur ce qui est proche de sa complexion, (état de développement karmique) de ce qui lui est le plus éloigné, afin de retrouver les groupes spirituels auxquels elle peut s'identifier dans la sphère Mentale. Ceci occasionne un combat incessant entre l'inférieur (le Destin) qui essaye constamment de freiner l'évolution de la Conscience vers le supérieur (la Providence). Ce que nous enseigne si habilement et si occultement cette sentence de la Table d'Émeraude c'est que le but de l'officiant doit être le développement de l'habitude de la séparation dans le sens Cachant évoqué dans cet article, et que cette séparation spirituelle ne s'obtient que par la méditation subtile. Que cette méditation ne peut devenir subtile qu'à la condition qu'elle se fasse lentement, mais avec grande industrie, c'est-à-dire tout au long de chaque jour et tout au long de la vie. Centrer sa Conscience sur le subtil, les plans supérieurs, est un exercice difficile, mais il est le seul qui permet l'alignement et la justesse des pensées, afin de parvenir, par leur stabilisation, sur ce très haut niveau vibratoire d'une pensée juste en vertus. Cette stabilité étant l'indispensable condition pour se libérer des attractions et des asservissements de la nature physique qui se manifestent dans les passions, désirs et émotions de l'ego.

Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Est-ce que maintenant vous commencez à entrevoir ce que voile le sens Cachant de cette admirable sentence ?...

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