Les Noces Chimiques 6

LES NOCES CHIMIQUES DE CHRISTIAN ROSENCREUTZ

Alchimie et ésotérisme, livre de la science d’Hermès des Noces Chymiques : 1.3

- Comme on continuait à me tirer par mes vêtements, à plusieurs reprises, je finis cependant par me retourner et je vis une femme admirablement belle, vêtue d’une robe bleue parsemée délicatement d’étoiles d’or, tel le ciel. Dans sa main droite, elle tenait une trompette en or, sur laquelle je lus aisément un nom, que l’on me défendit de révéler par la suite dans sa main gauche, elle serrait un gros paquet de lettres, écrites dans toutes les langues, qu’elle devait distribuer dans tous les pays comme je l’ai su plus tard. Elle avait des ailes grandes et belles, couvertes d’yeux sur toute leur étendue ; avec ses ailes elle s’élançait et volait plus vite que l’aigle.

Commentaires :

Malgré sa joie, nous devons constater que la frayeur l’emporte encore chez C.R.+C, et qu’il faut qu’il soit tiré à plusieurs reprises par ses vêtements pour qu’il se retourne enfin…

N'allez pas croire que cet entêtement à rester dans une condition inférieure d'asservissement est spécifique au héros de ce conte ésotérique, il est hélas le trait commun de la majorité des individus de cette planète, aujourd'hui encore plus qu'hier. Combien prennent réellement conscience d'être ce que le Nouveau Testament nomme d'aveugle ?... Combien s'imaginent, comme les habitants de la caverne de Platon, qu'il n'y a pas de lumière autre que celle qu'ils perçoivent avec leurs sens organiques, et sous prétexte que la lumière de l'élémentisation intelligible ne leur est pas accessible ?... Combien se limitent à ne croire que ce qu'on leur a dit, sans même prendre la peine de faire l'effort de vérifier par eux-mêmes, si cela est vrai ou non ?... Combien se limitent à prendre pour vérité ultime ce qui est matériel et périssable, estimant que tout ce qui échappe à leurs perceptions organiques n'est pas digne de considération ?... Combien, fort nombreux, ayant malgré tout, un jour, dans un instant fugace, entre aperçus une illumination passagère, se sont malgré tout retourné pour se complaire dans les ténèbres d'une ignorance commune, base d'une normalité rassurante et confortable ?...

Pourquoi y a-t-il obligation de retournement ?

L’obligation de retournement découle du fait que la Providence ne se reçoit que par adhésion volontaire clairement manifestée. Sinon, qui pourrait douter qu’elle ne puisse pas s’imposer de face, mais ce serait alors en violation du libre arbitre, sans lequel notre héros n’aurait plus aucune responsabilité, ni souveraineté de sa faculté volitive, et par voie de conséquence de sa Conscience. Ce simple point mérite une profonde méditation, pour en saisir toutes les nuances, et les puissantes applications. Un axiome de Thoth, que je ne cesserai de rappeler tant il a une importance considérable, dit : connaître les lois c'est être libre. La liberté n'est donc pas l'absence de loi ou de règles, au contraire, elle n'est possible que grâce à des lois Justes et des règles rigoureuses. Ce tourner vers la Providence, volontairement, en faisant l'effort d'accéder à la Connaissance de ses Lois Justes, confère la liberté de la Conscience et de l'âme-de-vie. Ne pas le faire, ce qui relève aussi du libre arbitre, fait perdre cette liberté en soumettant la Conscience à état émotionnel asservissant. D'un côté l'effort d'accéder à la Connaissance et la pratique des vertus pour obtenir la liberté (entre autres pouvoirs), de l'autre la paresse, l'ignorance et l'indolence avec pour prix l'asservissement et l'absence de libre arbitre.

Notre héros est dès le début confronté au premier exercice extrêmement difficile que doit pratiquer celui qui décide de reconquérir le trône de son propre royaume ; et cet exercice est celui qui consiste à avoir la Force (première vertu Cardinale) de vaincre ses petits démons, de l'émotion si prompte à paralyser par la frayeur, la stupeur, le saisissement, l'éblouissement ou/et la terreur. Dominer ses émotions, qui ne sont que l'expression du vice tant ils asservissent et dominent le libre arbitre, passe nécessairement par la pratique des vertus. Et dans cet admirable texte, à la profondeur ésotérique insondable que sont « Les Noces chimiques », nous avons un cheminement qui est proposé au lecteur, celui de la voie qui mène à la plus haute initiation. Lorsque la Divine Providence daigne se manifester, ce qui n'intervient qu'après que le postulant ait fait les travaux intérieurs préliminaires sans lesquels il ne serait pas en mesure de la percevoir, suivre la voie qui est la sienne (Divine Providence) ne se fait pas sans le strict respect des conditions à remplir pour orienter sa démarche en direction de l'évolution. Il faut donc nécessairement procéder à un retournement de tendance, d'aspirations et de désirs.

Pour procéder à ce retournement, encore faut-il se poser la question sur sa nécessité, ce qui suppose une prise de Conscience concernant une démarche qui ne serait plus orientée dans la bonne direction. L'éveil de la Conscience sur un sujet aussi essentiel et qui remet en cause les fondements même de la personnalité d'un individu est toujours un moment difficile et angoissant. Il implique de sa part un courage, celui notamment de devenir rebelle à un ordre des choses conventionnel avec lequel, par routine autant que par ignorance, facilité et faiblesse, il aurait adhéré . Les précédents articles du Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, traitant de l'édification du Temple intérieur, évoquent le danger qu'encourt celui qui ne prendrait pas le plus grand soin à vérifier la qualité et la solidité des fondations de son édifice spirituel. Dans cet extrait qui sert à la présente étude, il convient de comprendre, toujours selon l'admirable langage analogique de la tradition hermétique, que le retournement, par l'élargissement du champ de conscience qu'il provoque, sera une redoutable épreuve et remise en question de la solidité des pierres et des fondations sur lesquelles repose la personnalité du postulant.

Et je vis une femme admirablement belle, vêtue d'une robe bleue parsemée délicatement d'étoiles d'or, tel le ciel… Qui est cette femme ?

Cette femme, admirablement belle, est donc ce qu’il y a de mieux en matière de séduction, les étoiles de sa robe font référence à une donnée cosmique. Par sa présence et l’harmonie que dégage sa beauté, elle est là pour séduire celui qui la voit, je pense ne pas me tromper de beaucoup en disant qu’il s’agit de Vénus, l’Impératrice, la lame trois dans le livre de Thoth, dont la représentation hiéroglyphique contient intégralement les éléments qui servent ici à sa définition.

Dans sa main droite, elle tenait une trompette en or, sur laquelle je lus aisément un nom, que l'on me défendit de révéler par la suite… Quelle signification doit-on donner à cette trompette d’or ?

La trompette est ce qui prépare l’annonce et la révélation ; et l'Or est l'analogie qui nous indique qu'il s'agira d'une réflexion lumineuse. Dans les Tables de la Loi du Sépher de Moïse nous retrouvons le nom de la terre de Hawila suivi du trope : laquelle-est-le — lieu-propre-de-l'or (la réflexion lumineuse)...

Dans sa main gauche, elle serrait un gros paquet de lettres, écrites dans toutes les langues, qu'elle devait distribuer dans tous les pays comme je l'ai su plus tard… Que devons-nous déduire de ce passage si hermétique ?…

Les lettres contiennent la révélation, qui étant écrites dans toutes les langues, est donc universelle, ce que confirme : dans tous les pays. Mais notons que notre héros qui n’est pas encore sorti de sa sphère égotique, ne connaîtra que plus tard, la nature universelle de la révélation qui s’annonce. L'initiation aux mystères est graduée selon une hiérarchie précise et rigoureuse. Le néophyte reçoit en fonction de ce qu'il peut contenir, lui donner davantage ne serait ni utile pour lui, ni la démonstration d'une grande sagesse. Là encore, nous pouvons constater que l'enseignement que nous délivrent ces Noces Chimiques, est issu de la plus haute connaissance, car il ne méconnaît pas le principe de la Justice Divine qui veut que chacun reçoive selon ses mérites.

Elle avait des ailes grandes et belles, couvertes d'yeux sur toute leur étendue… Que signifient tous ces yeux, sur toute leur étendue ?…

Les yeux sur toute leur étendue, implique une vision tant sur le plan mental, astral ou terrestre. C'est en plus une vision à 360 ° ; la vision totale tant dans le domaine de l'épais que dans celui du subtil. Cette vision est aussi l'analogie, ce langage des dieux, qui nous évoque la Connaissance quasiment omnisciente. Nous avons donc, par cette subtile indication, l'information que celle qui va guider notre héros a bien une vision binoculaire, mais aussi clairvoyante et omnisciente...

Avec ces ailes elle s'élançait et volait plus vite que l'aigle… Nous avons ici trois références (les ailes, le vol et l’aigle) quelle précision devons-nous en tirer?…

L’aile dans toutes les grandes traditions, ainsi que dans le langage analogique, est ce qui symbolise le Monde spirituel. Le vol exprime ce qui différencie l’épais de ce qui est subtil, comme la lecture que nous essayons de faire de ce texte admirable, et comme nous le synthétise si efficacement la sentence de la Table d'Émeraude :

Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie.

Il monte de la terre au ciel, & derechef il descend en terre, & il reçoit la force des choses supérieures & inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; & pour cela toute obscurité s’enfuira de toi.

L’aigle est ce qui voit la Lumière d’une façon perçante sans être aveuglé. L'analogie est ici d'une redoutable subtilité, car par la lumière il convient aussi d'entendre la Connaissance et ce qui se distingue des ténèbres. Cette femme qui est le symbole de la beauté et de la séduction, notre Vénus cosmique, possède d'une part, une vision totale et perçante ; et d'autre part, les ailes de l'esprit et du subtil, et vole comme un aigle c'est-à-dire ce qui est capable de s’élever très haut, tout en percevant le moindre détail qui se situe très bas. Par son vol rapide, ceci nous évoque aussi le mouvement, mais encore une intensité vibratoire très élevée.

Enfin, n’oublions pas le caractère alchimique de ces Noces, et ceci nous renvoie à la définition de l’aigle que nous donne Dom Antoine-Joseph Pernety :

Aigle. Nom que les Philosophes Hermétiques ont donné à leur mercure après sa sublimation. Ils l'ont ainsi appelé, premièrement à cause de sa volatilité ; secondement, parce que comme l'aigle dévore les autres oiseaux, le mercure des Sages détruit, dévore, et réduit l'or même à sa première matière en le réincrudant.

Chaque sublimation, suivant Philalèthe, est une aigle; et quoique sept suffisent, on peut les pousser jusqu'à dix. Ainsi, quand ils disent qu'il faut mettre sept aigles pour combattre le lion, nous n'entendons pas, dit le même Auteur, qu'il faille mettre sept parties de mercure ou de volatil contre le lion ou une partie du fixe, mais notre mercure sublimé et exalté sept fois. Plus il y aura d'aigle contre le lion, dit Basile Valentin, moins le combat sera long. Tourmentez le lion, ajoute le même Auteur, jusqu'à ce que l'ennui le prenne et qu'il désire la mort. Faites-en autant de l'aigle jusqu'à ce qu'elle pleure ; recueillez ses larmes et le sang du lion, et mêlez-les ensemble dans le vase philosophique. Tout cela ne signifie que la dissolution de la matière, et sa volatilisation.

L'aigle était un oiseau consacré à Jupiter, par la raison que le Mercure des Sages se volatilise, et emporte le fixe avec lui, dans le temps que le Jupiter des Philosophes, où la couleur grise, succède à Saturne, ou à la couleur noire. L'aigle que Jupiter envoya pour dévorer le foie de Prométhée, ne signifie aussi que l'action du volatil sur le fixe ou pierre ignée, qu'ils ont appelé minière de feu céleste. C'est pourquoi on a feint que Prométhée avait volé le feu du ciel; et que, pour le punir, Jupiter le fit attacher à un rocher, qui désigne la pierre fixe des Sages, et que son foie, la partie la plus chaude de l'homme, y était continuellement dévoré par une aigle, quelques-uns ont dit un vautour, ce qui revient au même. Cette aigle était dite, pour cette raison, fille de Typhon et d'Echidna, c'est-à-dire de la putréfaction de la matière. Voyez les Fables Egypt. et Grecq. dévoilées, liv. 5, ch. 17.

Les Spagyriques appellent Aigle le sel ammoniac, et le mercure sublimé, à cause de la facilité avec laquelle ils se subliment. Mais ce n'est ni du mercure vulgaire, ni du sel ammoniac des Droguistes qu'on doit l'entendre ; c'est de ceux des Philosophes.

Aigle dévorant le lion. Expression Hermétique, qui exprime la volatilisation du fixe par le volatil, ou du soufre par le mercure des Sages.

Aigle étendue. Sel ammoniac sublimé dans la Chymie vulgaire, et volatilisation de la matière dans le sens Hermétique.

Aigle volante. Mercure des Philosophes.

Le cheminement à l'intérieur du sens Cachant que renferme ce texte hermétique majeur nous fait découvrir la féérie d'un monde extraordinaire et qui n'est accessible qu'à ceux qui sauront activer leurs facultés supérieures, ce qui passera par un véritable retournement de situation pour ceux qui ne se limitaient qu'aux seules facultés inférieures des cinq sens organiques de l'animal humain.

L'initiation ne commence qu'à ce retournement !

*

* *

Commentaires ------>