Lao Tseu le Tao 4

Le Tao Tö King du maître Lao-Tseu, Li Eul Pai Yangs.

Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu — Quatre

Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable.

C’est un abîme vertigineux.

Insondable.

De lui sont sortis tous ceux qui vivent.

Éternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des existences,

fait jaillir la lumière.

Du rien, crée toute chose.

Sa pureté est indicible.

Il n’a pas de commencement.

Il est.

Nul ne l’a engendré.

Il était déjà là quand naquit le maître du ciel.

Il est intéressant de constater que le Maître Lao-Tseu n’utilise pas le vocable de «Dieu» pour désigner le Divin Créateur, mais il l’appelle le Tao. Ainsi, par cette appellation spécifique il échappe à ce que redoutent le plus les Sages et les Hiérophantes de toutes les traditions, je veux parler de l’anthropomorphisme, de l’idolâtrie et la déification dogmatique des symboles et puissances. C’est aussi la grande difficulté que doit parvenir à surmonter le véritable Initié sur le chemin de probation, ou celui de la Connaissance éprouvée. La parabole du Coran concernant le pont de Shira, et que j’ai déjà évoqué lors d’un précédent article dans le Grand Œuvre d’Hermès Trismégiste, est une des meilleures analogies qui mettent en garde contre les deux perversions que sont les gouffres de la raison et de la superstition. Tout au long de ses subtiles et sublimes sentences, Lao-Tseu se garde bien de sortir de l’étroit chemin du juste milieu, le seul sur lequel se trouve la Vérité, comme le disait si justement Fabre d’Olivet. Quoi de plus facile que de transformer de réelles Connaissances spirituelles pour en faire des dogmes religieux, philosophiques, scientifiques, dans lesquels ne demandent qu’à s’enfermer les ignorants et les égarés de toutes catégories. Quoi de plus facile que de se servir de ces Connaissances pour s’attribuer de vains et dérisoires mérites, qui ne seront en réalité que des impostures et des trahisons envers les puissances qui ont eu la générosité d’accorder leurs lumières à celui qui n’a pas su épurer ses pensées des vices qui ne demandent qu’à prendre leur revanche à la première occasion... C’est aussi ce qui guette, à chaque pas sur le chemin de son évolution, le sage qui sera constamment soumis à la tentation de s’attribuer avec ingratitude, des mérites dont il n’est que le gardien temporaire. Comme le dit si bien Eliphas Lévi, le sorcier se donne au diable, et le diable se donne au Mage. Que la pratique des vertus du Mage soit réellement constante, car sinon il se transformerait rapidement en sorcier de la pire espèce. Ou encore comme l'exprime si injustement certaines prières chrétiennes, par la formule : ne nous soumet pas à la tentation.

Je dis injustement, car ne pas être soumis à la tentation, c'est aussi perdre la faculté d'exercer son libre arbitre, et donc d'accéder à la maîtrise de ses pouvoirs divins qui passe par l'épreuve de la Connaissance.

Les Théosophes Tibétains aiment à dire, comme l’écrivait le Maître Koot Hoomi Lal Singh, que « Dieu » pour eux n’existe pas, et n’est donc pas un paramètre qu’ils ont à considérer. Aussi déroutant que cela puisse paraître, venant de la part de mystiques de si haute et si juste élévation, cela rejoint pourtant parfaitement ce qu’en dit Lao-Tseu lorsqu’il parle du Tao. Il est d’ailleurs aisé de constater que les enseignements que nous ont laissés ces Tibétains, par leurs nombreux écrits, ou par le truchement des ouvrages de la grande H.P. Blavatsky dont sa célèbre Doctrine Secrète, qui nous indique que si « Dieu » au sens anthropomorphique n’existe pas, l’abondance des manifestations de la Force supérieure centrale qui inonde l’ensemble de la création, implique manifestement la réalité de cette Force, et qu’elle trône au sommet de toutes les hiérarchies. Le Divin Créateur n’existe pas en tant que tel, mais il se manifeste, voilà qui exclut toute possibilité de n’en pas tenir compte, ce qui ne veut pas dire qu’il faille pour autant lui attribuer des fonctions qui ne sont pas et ne seront jamais les siennes. Ainsi, le fait d’exclure un «Dieu » comme paramètre indispensable à toute Métaphysique, n’est pas si absurde que cela. Ceci nous renvoie aux précédents articles traitant du sujet de la Nature de « Dieu »... Cette Vérité Absolue est nécessairement immuable, et ses Lois étant par nature parfaites, Il n’a donc jamais la nécessité d’intervenir pour en assurer la bonne application. Ces Lois s’imposent à l’ensemble de la Création, et par voie de conséquence elles s’imposent à Lui-même, sinon cela reviendrait à considérer qu’Il ait pu commettre une imperfection qui l’amènerait à ne pas respecter ou faire respecter une seule de ses Lois. De ce qui précède, découle donc forcément que le Divin Créateur n’ayant pas le besoin d’intervenir, il n’est pas utile de le considérer comme un paramètre Métaphysique pour accéder à la Connaissance. Comme l’expliquent d’ailleurs fort justement les Tables de la Loi du Sépher de Moïse, au septième jour de la Genèse, Lui-les-Dieux, après avoir accompli l’acte souverain (celui qui donne les Lois permettant, le fait Créateur) se restitue dans son ineffable Lumière Universelle.

Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable... Relevons ici que Lao-Tseu ne dit pas que le Tao est le néant, comme le font les Kabbalistes hébraïques avec leur principe de Aïn (le néant) duquel ils font sortir tant de paradoxes ingérables. Le Tao est le vide, un vide de formes précises, mais qui contient en contingence d’être les Lois des Principes de la Divine Providence, qui se manifesteront autant-que-possible et au moment voulu . Ce vide de l’infini non manifesté, mais qui est qualifié par Lao-Tseu d’inépuisable, ne peut donc pas être un néant, car le néant, ce n’est rien, absolument rien, même pas le vide. Le néant n’a aucun attribut concret ou abstrait il est simplement l’absence de quoi que ce soit ne supportant aucune exception sous peine de ne plus être le néant ; alors que le vide a pour lui la faculté d’être infini, ce qui laisse une large possibilité de place au temps et à l’espace pour qu’ils se manifestent, et comme ce vide est inépuisable et que c’est de lui que proviennent toutes choses, comme l’indique la sentence : De lui sont sortis tous ceux qui vivent, il est donc impossible de le confondre avec le néant. Rien que sur ce point, et il y en a hélas beaucoup d’autres, la Kabbale hébraïque introduit une profonde distorsion dans la justesse de sa pensée, qui induira une déformation dans la pureté d’une vision spirituelle, et qui, de mon humble avis, lui enlève toute prétention à être la voie la plus mystique d'évolution et de connaissances, que pourtant elle revendique fort.

Le vide dont il est ici question n’est pas quelque chose, mais cette absence de manifestation n’en fait pas rien (un néant) pour autant, pour prendre un exemple concret, ce sera dans l’expression Numérale des puissances, celui qui portera le Nombre zéro. Le Nombre zéro n’est rien lorsqu’il est seul, et il n'a aucune signification propre, mais c’est celui qui élève en puissance tous les autres Nombres. Ce Nombre zéro est par nature différent de tous autres Nombres, ce n’est pas naturellement qu’il s’est imposé à l’humanité, et il a fallu attendre les mérites de la religion hindoue, qui intègre parfaitement et dans une pensée nettement plus juste que les autres de l’époque, la notion de vide et d’infini comme une réalité objective au point de lui accorder un Nombre spécifique si utile depuis, à nos mathématiques.

Le Nombre zéro est aux autres Nombres, ce que l'Eternel Moment Présent est au temps. N'étant ni le passé, ni le futur, il est donc hors du temps, tout en étant ce qui le manifeste.

Éternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des existences... Ici Lao-Tseu nous résume, avec une simplicité remarquable, le principe des cycles dans la sphère de manifestations temporelles nourri par l’intemporel, ceci nous renvoie à l’article concernant les deux éternités que nous retrouvons dans l’ancienne Égypte, et qui ne s’expliquent que par un Intemporel contenant Tout en simultané, et une sphère temporelle qui manifeste tout en mode successif et cyclique. C’est l’éternel Tao qui donne l’éternité aux cycles de manifestations temporelles.

Fais jaillir la lumière. Du rien, crée toute chose. Sa pureté est indicible.... Après nous avoir dit que le Tao est le vide inépuisable, Lao-Tseu nous indique qu’il fait sortir du rien toute chose. Le rien n’est donc pas le néant, mais le non manifesté ; rien, qui vient juste après le jaillissement de la lumière, exactement comme le décrivent les Tables de la Loi du Sépher de Moïse. Et si nous suivons le même raisonnement parallèle qui est à l’origine de ces deux enseignements, alors la lumière n’est pas ici une chose en elle-même, mais l’expression de l’Intelligence la plus pure de l’Esprit du Tout, qui deviendra lumière lorsque ce Feu pénètrera les ténèbres de la Nature humide, comme l’indique le Corpus Hermeticum.

Sa pureté est indicible... Comment ce qui n’est pas parfait, pourrait-il percevoir la perfection absolue ... Lao-Tseu, dans sa définition du Tao, lui donne exactement les mêmes attributs que ceux que l’on peut attribuer à la plus haute idée qu’il nous soit donnée de nous faire du Divin Créateur, Cette Vérité Absolue immuable de laquelle il est possible de s’approcher sans cesse, mais qui comme la ligne de l’horizon, recule d’autant que nous avançons. Comment le fini pourrait-il entrevoir ce qu’est l’infini ? En vérité il ne peut pas et il ne le pourra jamais, mais la perfectibilité infinie du fini n’est possible qu’en ayant pour but de parvenir à entrevoir cet Eternel infini...

Il n’a pas de commencement. Il est. Nul ne l’a engendré... Remarquable vision du Maître Lao-Tseu qui dans une formulation d’une simplicité incompressible, nous indique que le Tao est dans tout ce qui se manifeste, comme le peintre est dans ses toiles, bien qu'aucune de ses toiles ne soient le peintre, le Tao n'étant pas engendré, n'est pas son oeuvre ... Le Tao est et n’est pas en même temps, sans que cela soit pour autant contradictoire. De surcroît, n’ayant pas de commencement il ne peut donc pas avoir de fin, principe même de l’immortalité.

Il était déjà là quand naquit le maître du ciel... Là encore, Lao-Tseu rejoint les grands Enseignements intemporels comme celui des Tables de la Loi du Sépher de Moîse, lorsqu’il indique subtilement que le Tao n’est pas le Créateur en lui-même, mais qu’il est la cause même de cette création en étant le Principe Créateur. Les maîtres du ciel, desquels proviendront les manifestations de ce Principe Créateur, ne feront que le manifester dans son infinie diversité, et selon l’expression qui leur sera propre et conforme à leur nature spirituelle. Le Divin Créateur (le Tao) est donc celui qui rend la Création possible, il est l’unique fait créateur, rien ni personne dans l’Univers ne possède cette faculté unique, mais ce qui manifeste les Lumières (les Lois) de ce fait créateur n’est pas le Tao (Divin Créateur), mais les Maîtres du ciel, une tout autre histoire que nous aurons l’occasion d’aborder par ailleurs.

Dans ce que nous dit, d’ores et déjà, Lao-Tseu du Tao, nous pouvons discerner qu’Il possède les attributs de l’éternité, de l’omniscience et de l’ubiquité, ce qui caractérise le Divin Créateur que d’autres, pour des raisons de commodités de communication, appellent «Dieu».

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