Le Grand Arcane 5

Les hommes jusqu’à présent n’ont pas encore connu l’empire suprême de la raison, ils la confondent avec le raisonnement particulier et presque toujours erroné de chacun.

Cependant M. de la Palice lui-même, leur dirait que celui qui se trompe n’a pas raison, la raison étant précisément le contraire de nos erreurs.

Les individus et les masses que la raison ne gouverne pas sont esclaves de la fatalité, c’est elle qui fait l’opinion et l’opinion est reine du monde.

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L'empire suprême de la raison est une notion qui ne doit pas être confondue avec la raison de l'intellect humain comme le précise notre cher Eliphas Lévi. Qu'est-ce donc que cet empire suprême de la raison ?

La raison de l'intellect humain est celle qui est corsetée par les lois de causalité du Destin. La perception de ces lois de causalité se fait essentiellement par le truchement des sens organiques. Je vois, je déduis, je conjecture ; je touche, je perçois, je détermine ; je goûte, j'identifie, je classifie ; j'entends, j'analyse, j'écoute ou je n'écoute pas ; je sens, j'associe, je conçois la source. Tout ceci en rapport, dans des proportions, et en fonction d'un environnement qui est calibré pour la nature de l'animal aux cinq sens, son milieu de références dans lequel il puise ses modèles, ses critères, ses images, ses archétypes qui forgeront ses idées. Ces idées pourront être d'une plus ou moins grande sophistication et abstraction, elles ne seront jamais que celles d'un espace extrêmement limité, ayant des règles spécifiques adaptées à une condition fugace, brève, éphémère. La raison de l'intellect humain ne produit que des idées microcosmiquement localisées, régionales, tribales (au sens de l'espèce), illusoires et périssables. Ces idées furtives, fuyantes, mouvantes, insaisissables sur une échelle de temps cosmique, ne peuvent pas être celles sur lesquelles repose la création universelle. Comment pourrait-il se construire un édifice cohérent, ayant une dimension de plusieurs milliards d'années lumières, si au départ les matériaux qui servent aux fondations de cet édifice variaient sans cesse, pour disparaître rapidement et être remplacés par d'autres, aussi inconsistants et évanescents... C'est pour cette raison indiscutable qu'Eliphas Lévi considère, comme d'autres avant lui, que la raison particulière humaine est toujours erronée. Ceci rejoint ce que disait le sage Pythagore :

La raison humaine n’a par elle-même, qu’une valeur de conjecture. La science et la sagesse n’appartiennent qu’à la Divinité et nous n’avons pouvoir d’en prendre connaissance, que selon notre degré de réceptivité.

L'empire suprême de la raison est donc celui qui n'appartient qu'à la Divinité. J'ai déjà eu l'occasion, dans un précédent article dans le Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, de dire que le Divin Créateur n'avait pas la Foi, - cette faculté que possède une Conscience pour explorer les champs du possible au-delà des limites de ses connaissances -, car il était la Raison Absolue celle qui justement ne possède pas d'espace d'ignorance. L'empire de la raison suprême est donc celui où tout est Loi, Justice, Cohérence, Harmonie et Amour. C'est aussi celui qui par son intemporalité découlant de la Vérité Absolue, celle qui ne change jamais, permet de servir de fondation stable au grandiose édifice de la Divine Création. Car une Loi de la Vérité Absolue est nécessairement immortelle et constante dans son application, en raison même du principe de la Justice Absolue. L'empire de la raison suprême est de surcroît universel, c'est-à-dire qu'il implique que Tout soit Vrai, même ce qui n'est pas universel, car cette transition temporelle n'est qu'une phase dans l'évolution du particulier vers sa perfectibilité universelle.

Si nous parvenions à hisser la raison de l'intellect humain au rang de celle de l'empire de la raison suprême, ce qui impliquerait une considérable élévation de nos Connaissances, nous n'aurions que faire de nos sens organiques si atrophiés, et des béquilles de nos modèles, critères, images, archétypes de notre terrestre nature. Toute proportion gardée, nous aurions forcément le même regard sur cet espace temporel qu'un Master universitaire aurait sur une première année de maternelle. La notion égotique de l'enfant en bas âge ne lui permet pas d'envisager ni de concevoir ce que contient la raison de ce Master, et encore moins de pouvoir rivaliser avec celui-ci en matière de crédibilité. L'enfant pourra dire tout ce qu'il veut, et il n'en sera pas privé, ses propos étant du domaine de l'insignifiance et de la futilité, seront comparables à de jolies bulles de savon, par leur inconsistance et leur inadéquation aux réalités supérieures à son entendement.

Dans cet extrait de son grand arcane, Eliphas Lévi met en évidence, pour peu que l'on prenne la peine d'en méditer le sens profond, ce qui distingue la raison relative de la Raison Absolue. Par cette comparaison, il nous invite à poursuivre notre réflexion et notre méditation sur le chemin qui doit nous mener au constat : que la raison est bien une faculté supérieure puisqu'elle différencie notoirement ceux qui l'utilisent, de ceux qui ne l'utilisent pas et qu'il qualifie : d'esclaves de la fatalité. La raison est donc ce qui rend l'animal humain "supérieur", aux autres animaux, à la condition, je le répète, qu'il active cette raison à la hauteur des capacités les plus élevées auxquelles il peut accéder dans les limites de ses moyens de perception. Si ses moyens sont ceux de la sphère organique, il développera une raison semblable à celle de l'enfant d'une maternelle, uniquement égotique et infiniment limitée par cet ego. Pas de quoi tutoyer les anges, ni même permettre de se gausser des raisons qu'il pourrait trouver inférieures à la sienne, tant les différences qui les distingueraient, seraient insignifiantes. Mais il a aussi la faculté d'utiliser cette raison pour dépasser les limites de sa sphère de références, pour l'étendre bien au-delà. Pour franchir ces limites, comme j'ai déjà eu à l'expliquer, il devra nécessairement associer la Foi à sa Raison, cette Foi qui est le seul véhicule capable de traverser les frontières de la connaissance, pour aller explorer les vastes territoires de l'ignorance.

Notons que la raison est une faculté individuelle, et que pour l'activer il faut que ce soit une conséquence de la volonté sans laquelle, ce que nous prenons pour notre raison n'est en réalité que la raison des autres que nous avons accepté de recevoir sans prendre la peine d'en vérifier ni le contenu, ni la crédibilité par paresse, ignorance, et routine demi-consciente. Ce sont là ce qu'il convient d'entendre par ce que nomme Eliphas Lévi: les individus et les masses que la raison ne gouverne pas... Car être gouverné par la raison des autres que l'on s'est fait refiler pour cause de coutumes, de traditions culturelles, familiales, politiques, médiatiques ou sociales, c'est ne pas être gouverné par sa propre raison. Et à l'aune de ce critère, beaucoup s'imaginant être doués de raison, ne sont en vérité que les fameux esclaves de la fatalité. Cette fatalité qui forge les ornières profondes de leurs routines qu'ils acceptent de subir, car disent-ils : on est bien obligé, comment faire autrement, faut bien faire face à la fatalité... Mais pour qu'ils aient conscience de leur asservissement, encore faudrait-il qu'ils activent leur propre raison...

La raison de l'intellect humain qui accepte de rester enfermée, par confort, conformisme et immobilisme rassurant, dans les limites des perceptions des cinq sens organiques, est celle qui forgera un édifice intellectuel qui pourra être parfaitement adapté à l'environnement proche de l'individu, mais aura l'inconvénient de n'être adapté qu'à celui-là, celui de l'éphémère et du périssable. Nous retrouvons ce syndrome de la raison relative limitée aux acquêts d'une vie organique, dans l'exemple d'une personne qui a travaillé pendant très longtemps dans une même entreprise et qui en dehors de cette entreprise, découvre qu'en réalité elle ne sait pas faire grand chose au point de n'être plus apte à s'intégrer dans un vaste marché du travail et dans une autre entreprise pour remplir d'autres fonctions, différentes de celles qu'elle a si régulièrement (routine) effectuées.

La raison de l'intellect humain, si elle veut pouvoir être exploitée et exploitable au-delà de sa sphère temporaire de références, devra donc se familiariser avec un espace différent, des références différentes, des archétypes autres, et des règles ayant une validité nettement supérieure à la durée d'une vie organique. Cette raison sera obligatoirement celle qui s'ouvre sur des champs du possible d'une amplitude autrement plus vaste, et d'une subtilité infiniment plus sophistiquée que celle ayant cours légal dans la sphère de causalité du Destin, dont l'opinion est peut-être la reine du monde, mais d'un monde parfaitement illusoire et trompeur, celui des passions des désirs et des émotions déraisonnables.

Eliphas Lévi, dans ce grand arcane, va généreusement nous révéler ce qui permet à la petite raison de l'intellect humain, d'accéder à une raison supérieure à sa petite condition d'esclave de la fatalité. Ses révélations, pour ceux qui sauront en pénétrer les mystères qu'il maintient volontairement partiellement voilés, seront d'une portée considérable, et de grandes conséquences. Mais il faudra ne pas oublier qu'il ne viole jamais les dispositions des règles des antiques sagesses, qui veulent que la Connaissance ne doit jamais pouvoir être profanée par les incultes, les béotiens, les barbares qui se complaisent et se vautrent dans leur condition animalière. Nous verrons lors du prochain extrait sur lequel nous aurons à nous pencher, qu'il était parfaitement au faîte des travers de cette nature humaine si prompte à se maintenir esclave des fatalités, enfin surtout de ses fatalités illusoires.

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