Le Grand Arcane 3

Lorsqu’un magnétiseur, mal équilibré et soumis à la fatalité par des passions qui le maîtrisent, veut imposer son activité à la lumière fatale, il ressemble à un homme qui aurait les yeux bandés et qui, monté sur un cheval aveugle, le stimulerait à grands coups d’éperons au milieu d’une forêt pleine d’anfractuosités et de précipices.

Les devins, les tireurs de cartes, les somnambules sont tous des hallucinés qui devinent par ob.

Le verre d’eau de l’hydromancie, les cartes d’Etteila, les lignes de la main, etc., produisent chez le voyant une sorte d’hypnotisme. Il voit alors le consultant dans les reflets de ses désirs insensés ou de ses imaginations cupides, comme il est lui-même un esprit sans élévation et sans noblesse, de volonté, il devine les folies ou en suggère de plus grandes encore, ce qui est pour lui du reste une condition du succès.

Commentaires :

Eliphas Lévi, avec la générosité, l’intelligence et l’érudition ésotérique qui caractérisent l’ensemble de son oeuvre, ne va pas jusqu’à dévoiler intégralement les mystères qu’il entend révéler. Mais à celui qui a fait l’effort de nourrir ses connaissances, préalablement à la lecture de ses ouvrages, il laisse des repères suffisamment explicites pour permettre de le suivre dans ce Grand Arcane.

Le début de cet extrait qui sert d’étude à l’article du jour, commence par : Lorsqu’un magnétiseur... Que convient-il d’entendre par «magnétiseur »?

La réponse juste à cette question permettra un décryptage presque complet de ce Grand Arcane. Une réponse plus ou moins juste suffira, au bout du cheminement qu’il nous propose de faire en sa compagnie, à induire une dérive telle qu’elle ne permettra plus au profane inculte d’en saisir toute la profonde, réelle et Haute Magie à laquelle était parvenu Eliphas Lévi en redécouvrant la Science Hermétique au travers des traditions perdues ainsi qu’il le dit dans son discours de réception dans la loge maçonnique : La Rose du parfait silence :

« Je viens apporter au milieu de vous les traditions perdues, la connaissance exacte de vos signes et de vos emblèmes, et par suite, vous montrer le but pour lequel votre association a été constituée... »

— (CAUBET, Souvenirs, Paris, 1893)

Le magnétiseur est donc celui qui étant parvenu par son niveau de Connaissance à une élévation spirituelle si haute, qu’il accède à la pleine utilisation de ses facultés supérieures, qui, à l’inverse des facultés issues des cinq sens organiques, rayonnent par une intensité vibratoire puissante. Intensité vibratoire qui décuple les pouvoirs d’attraction et de répulsion de la force magnétique de la Kundalini, qu’Eliphas Lévi, en référence à la tradition kabbalistique hébraïque, qui était une des bases les plus importantes de sa culture ésotérique, qualifie de Od et Ob le plus et le moins. L’harmonie des contraires de ces polarités se trouvant en Aour. Les principes de la grande tradition hermétique, à laquelle appartenait Eliphas Lévi, se retrouvent dans la tradition juive, mais aussi dans la grande tradition orientale. Comme le disait fort justement Koot Hoomi Lal Singh en parlant de la tradition Hermétique : C'est l'océan infini de la Vérité, le point central vers lequel coulent et où se rencontrent toutes les rivières et tous les fleuves. Qu'ils aient leur source à l'Est, à l'Ouest au Nord ou au Sud.

Notre magnétiseur, dont il est présentement question dans l’extrait cité en exergue, est donc bien cet initié à la véritable Science hermétique, et qui, conscient des potentialités que lui permettent ses facultés supérieures maîtrisées, sera en mesure de communiquer par induction subtile, le rayonnement de son puissant magnétisme spirituel. Mais Eliphas Levi, qui avait fait en ce domaine de nombreuses expériences négatives, prévient l’étudiant des pièges qu’il rencontrera s’il ne respecte pas la pureté d’une pensée juste en vertus. Et précisément, comme j’ai déjà eu l’occasion de le traiter lors de précédents articles dans le Grand Œuvre d’Hermès Trismégiste, l’altération de cette pureté se fait d’abord et surtout par les passions qui asservissent ceux qui se laissent dominer par elles. L’Univers est Mental nous dit le Kybalion, ce traité de la Science hermétique, et l’émotion est son aspect involution, comme j’ai eu à l’expliquer lors du précédent article sur le Grand Arcane.

Les lumières de la Divine Providence, et les puissances qui la servent, ne peuvent se recevoir dans leur amplitude glorieuse, qu’à la condition que par son élévation, celui qui a le pouvoir de les invoquer, soit en condition de les recevoir ; processus d’épuration que nous retrouvons ritualisé dans les Clavicules de Salomon. Chaque altération de la pureté du récepteur, induira une distorsion de l’énergie source de la puissance magnétique supérieure, ainsi que de son image spirituelle. Le miroir qui ambitionne de refléter cette Lumière, ne doit pas être un miroir déformant. L’exemple qu’utilise Eliphas Lévi pour qualifier celui qui ne se serait pas rendu maître des petits démons de l’émotion est des plus parlant :

Un homme qui aurait les yeux bandés et qui, monté sur un cheval aveugle, le stimulerait à grands coups d’éperons au milieu d’une forêt pleine d’anfractuosités et de précipices.

Ainsi, chaque fois que celui qui est parvenu à activer ses facultés supérieures, pour les manifester en harmonie au travers d’une pensée juste en vertus, laissera une parcelle d’émotion venir en altérer la pureté, l’affaiblissement de son magnétisme se manifestera rapidement et profondément. La domination des forces d’involution, qui se manifeste dans les passions, et qui possède une puissance attractive considérable, - comme l’enseignent si justement les Tables de la Loi du Sépher de Moïse avec l’expérience d’Adam et Eve confrontés à Nahash l’ardeur cupide -, demande pour être dominée une volonté au moins aussi puissante pour parvenir à les neutraliser. Il est d’ailleurs constant de constater que le magnétisme, ou le charisme de certaines personnes, se retrouvent toujours, chez ceux qui sont capables d’une force de caractère ou de volonté, leur permettant justement d’accéder à ce magnétisme.

Le Mental, est la puissance qu’active celui qui parvient à la domination des passions. L’instinct et l’émotion est le lot de ceux qui par faiblesse et paresse, n’opposent que peu ou pas de volonté à ces puissances asservissantes. La Divine Providence sert et assiste celui qui se rend digne de recevoir ses services. Le Destin et ses lois de causalité passionnelles asservissent celui qui n’est pas capable de dominer ses passions et ses émotions. Marcher dans les voies de la Divine Providence se fait avec clairvoyance, libre arbitre et volonté, c’est la voie du sceptre de pouvoir de la Conscience éveillée. Marcher dans les voies du Destin se fait par tâtonnement, hasard, aveuglement, inconscience, délires oniriques et élucubrations déraisonnables. Ceux qui cheminent sur les voies du Destin sont tous en état de somnambulisme routinier, et sont gonflés d’un savoir machinal, qui n’est que vide et inconsistance.

La précision qu’en donne Eliphas Lévi à la fin de cet extrait, résume parfaitement ce que devient le magnétiseur qui sombre dans la fatalité des passions et des émotions : un devin, un tireur de cartes, un somnambule aussi halluciné que celui qui vient le consulter.

Le voyant, qui n’est qu’un individu soumis à ses instincts émotionnels, n’est pas à confondre avec le clairvoyant, comme le dit si justement Eliphas Lévi, il est la victime asservie à l’hypnotisme qu’exercent les reflets de ses désirs insensés et de ses imaginations cupides, il n’est donc pas un magnétiseur, mais davantage un magnétisé par ses passions.

Précieuse indication que nous donne notre guide dans ce Grand Arcane, si celui qui n’est pas un magnétiseur se caractérise par le manque de noblesse, de volonté et d’élévation d’esprit, le véritable magnétiseur sera nécessairement celui qui concentrera ces qualités, en plus de la pratique des vertus, dont la générosité est la puissance qu’il convient de mettre en face de la cupidité pour lui faire obstacle. Ainsi, toute démarche spirituelle qui reposerait sur des préoccupations mercantiles, serait irrémédiablement condamnée à subir l’altération de la cupidité, et des distorsions hypnotiques qu’elle a le pouvoir d’engendrer.

Ne pas parvenir à hisser son mental au niveau vibratoire d’une pensée juste en vertus, implique des déformations de conscience aux conséquences redoutables, comme l’ouverture de cet espace d’insignifiance que j’ai souvent évoqué, et qui n’est que le contraire d’une raison éclairée, c’est-à-dire la folie. Mais dire à des fous vivant parmi des fous qu’ils sont fous, c’est risquer de se faire étriper par eux, assurément une folie.

Cette petite réflexion n’est pas qu’anecdotique, elle sous-entend que la maîtrise des puissants pouvoirs magnétiques qu’apporte l’accession à ses propres facultés supérieures, demande dans sa pratique un discernement infiniment subtil, soit pour ne pas être victime d’un sentiment vaniteux de domination que pourrait provoquer l’utilisation de ces pouvoirs (expression passionnelle qui en altérerait rapidement la puissance), soit de ne pas permettre aux passions extérieures de se déchaîner contre celui qui manifesterait inconsidérément la pratique de ses pouvoirs magnétiques. Eliphas lévi, au cours de sa vie mouvementée a eu à expérimenter l’une comme l’autre de ces situations.

Dans le même ordre d’idée, il est probable que le cheminement que l’on prête à l’avatar Jésus, n’est pas autre chose que l’illustration de ce qu’évoque cet extrait du Grand Arcane. Le magnétisme du prêcheur qui se termine dans les horreurs de la passion, quoi de plus éloquent pour celui qui gardant son esprit ouvert regarde la réalité non pas au travers des fariboles que racontent les fous, mais dans la rigueur d’une pensée juste en vertus.

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