Six points mystiques 3

Le premier point

3. Comme la sagesse de Dieu a un être et cependant existe: la sagesse n'est pas un être. Ainsi, l'âme avec son image possède une existence, et pourtant celle-ci, l'âme, n'est qu'un feu magique, mais sa subsistance prend sa source dans sa substance.

Commentaires :

Redoutable pensée que celle de ce paragraphe trois, du premier des six points mystiques de Jacob Boehme. La profondeur et la transcendance de cette pensée si juste en vertus, vibre sur la tonalité la plus haute qu’il soit possible de le faire à un être humain, et provoque un effet de résonance dans l’esprit qui la perçoit, pour peu que cet esprit soit ouvert sur autre chose que la matérialité de son quotidien, ou la rusticité de son intellect raisonneur.

Dieu, selon la pensée juste de Jacob Boehme ne peut exister au sens où le perçoit l’entendement humain, c’est pour cette raison que dans toutes les grandes traditions il est considéré comme l’innommable, ou celui duquel on ne peut rien dire. Par exemple dans le Zohar de la tradition juive, il est dit que la Torah ne parle pas de « Dieu» en lui-même, mais de ce qu’il manifeste, et toujours pour ce Zohar il est indiqué qu'il n’est pas possible d’en parler sous une forme autre que négative, c’est-à-dire ce que « Dieu » ne peut pas être, comme : Dieu ne peut pas être mortel...

Dieu donc, n’existe pas dans son oeuvre, il manifeste sa sagesse et c’est cette sagesse qui a une existence au travers de ces manifestations, sans pour autant qu’elle soit un être elle-même. Voilà qui indique clairement que Dieu n'est pas et ne peut pas être, tout en se manifestant. Ici ce qui semble être un paradoxe insoluble est pourtant d’une parfaite cohérence avec les nécessités de s’ouvrir à la grandeur de ce qui fonde ce qui nous dépasse. L’existence de cette sagesse divine se manifeste dans chacune des créations de l’univers, mais elle n’est pas l’une ou l’autre de ces créations, car sinon les autres ne seraient plus sa manifestation, et ce qui reviendrait à l’impasse que j’ai relevé dans le traité de la Monadologie de Liebnitz, et qui est celle d’un Grand Tout qui ne le serait plus pour cause de concurrence de créateurs. La sagesse n’est donc pas un être, mais elle existe par l’ensemble de ce qu’elle permet de manifester. Son existence n’est pas humainement appréhendable, car elle est par essence infinie, comme l’est la Création elle-même.

Si nous nous référons aux Tables de la Loi du Sépher de Moïse, telles que j’ai eu à les commenter dans mon ouvrage la Véritable Histoire d’Adam et Eve enfin dévoilée (téléchargement gratuit dans le Temple d’Hermès Trismégiste), Élohim, Lui-les-Dieux, manifeste les principes de sa sagesse pendant les six premiers jours de la Genèse, et le septième il se rétablit dans son ineffable séité, cette immuable Vérité Absolue. En réalité nous pourrions dire, d’après cet Enseignement sublime, que la première création du Divin Créateur est le principe même de la Création, qui est traduit dans l’extrait cité en exergue de cet article, comme la sagesse de Dieu. Cette pensée est d’une justesse redoutable, car elle pose comme fondement à la Création, cette sagesse qui en fera l’ossature et l’architecture cohérente, grandiose et harmonieuse.

La sagesse, selon ce qu’en disent les alchimistes, au nombre desquels figure notre Jacob Boehme, c’est l’intelligence en action. Mais l’intelligence n’est pas une vertu, car il y a de l’intelligence dans le Bien comme dans le Mal, parfois davantage dans le Mal que dans le Bien, car il faut par exemple beaucoup d’intelligence pour concevoir des armes de plus en plus sophistiquées et de destructions ciblées ou massives. L’intelligence dans le Mal est hétérogène, discriminante, intolérante, destructrice et involutive. Elle est désordre, chaos et inharmonie, injustice et antagonisme ; antipathie, discorde et dissension ; cacophonie et dissonance. À l’inverse, la sagesse est l’intelligence en action dans les vertus qui s’opposent aux vices de l’intelligence sans sagesse.

Or, pour que l’univers de la Création soit cohérent et harmonieux, il faut nécessairement qu’il soit juste et équilibré partout où il se manifeste. Ce que nos alchimistes traduisaient fort justement par la formule : la Nature est la même partout. La sagesse est donc le dénominateur commun de toute création et de toutes créatures. En cela elle existe par ce qu’elle permet de réaliser, sans pour autant avoir le besoin ou la nécessité d’être.

Conformément aux règles de la Table d’Émeraude, que connaissait parfaitement Jacob Boehme, la déclinaison de ce qui est en haut, se fait en bas. Ainsi, l’âme a une existence, sans pour autant avoir la nécessité d’être, ce qui est le cas lorsqu’elle exprime la sagesse au travers de pensées juste en vertus. Mais son feu magique, ce souffle de vie, se manifestera dans une forme appropriée, au travers de laquelle elle puisera une substance qui lui assurera sa subsistance, qui lui permettra de quitter cette forme lorsqu'elle sera parvenue à épurer ses pensées vers plus de sagesse...

Magnifique vision de Jacob Boehme, qui est en parfaite adéquation avec les Enseignements des Tables de la Loi du Sépher de Moïse. La sagesse dans son état de pureté absolue n’a aucun besoin de se manifester sous la forme d’un être. Mais l’âme-de-vie qui n’est pas en état de pureté, — ce qui nous renvoie aux problèmes des pensées injustes en vertus que j’ai déjà largement développées lors des précédents articles dans le Grand Œuvre d’Hermès Trismégiste -, devient ce feu magique qui devra aller chercher sa subsistance de pensées justes en vertus, par le truchement de l’épreuve de la substance, ce fameux sentier de probation de la tradition orientale, ou encore la traversée du jardin du bien et du mal, pour parvenir à la Sagesse.

Encore une fois, et ce n’est pas la dernière, Jacob Boehme fait référence à la « magie ». Pour ceux qui savent garder une pensée juste en vertus, ils sauront bien évidemment qu’il ne s’agit pas ici d’un numéro d’illusionniste, mais bien de ce qui n’est pas de l’ordre des lois de causalité du Destin et de sa sphère temporelle, mais de ce qui relève de l’Éternel Moment Présent duquel provient ce souffle de vie, — inexplicable rationnellement pour l’intellect raisonneur —, et sans lequel la matière reste inanimée. La sagesse appartient à cet Éternel Moment Présent, l’âme-de-vie aussi, les deux se manifestent selon les lois de la Divine providence selon le mode du tout en simultané, alors que dans la substance causale, le mode de manifestation est le tout d’une chose en successif.

Jacob Boehme, lorsqu »’ il fait l’âme-de-vie à l’image de la sagesse, ne dit rien d’autre que ce que disent les grandes traditions philosophiques ou religieuses, à savoir que nous sommes faits à l’image du Divin Créateur, ce qu’il convient de ne pas ramener par une pensée injuste, à un anthropomorphisme réducteur et médiocre. Cette âme-de-vie est feu magique, et ce feu, quelle que soit sa forme de manifestation, est l’expression de cette vertu cardinale qu’est la Force. Mais comme nous l’avons précédemment vu, une vertu seule se transforme rapidement en vice, et un feu magique sans sagesse, est un feu destructeur et violent, la face vicieuse de la Force vertu.

Un autre aspect infiniment subtil est contenu dans cet extrait des six points mystiques de Jacob Boehme, celui qui implique que si l’ensemble des éléments de la création, est l’expression de la sagesse de Dieu, chacune de ces créations contient donc une parcelle de cette sagesse de Dieu sous l’aspect d’une âme (feu magique), avec en plus la liberté pour cette dernière de se manifester en venant animer n’importe quelle forme en fonction de son état de pureté, ou selon l’état de développement de son patrimoine karmique. Le Divin Créateur est donc, par le truchement de sa sagesse (les lois de la Divine providence), à l’intérieur de chaque âme-de-vie, et si, comme j’ai coutume de le dire, chaque âme-de-vie est l’expression de la sagesse de Dieu, elle n’est pas pour autant Dieu, ce qui nous renvoie à ce que dit Jacob Boeheme dans sa belle et simple formulation elliptique :

Comme la sagesse de Dieu a un être et cependant existe : la sagesse n'est pas un être.

Je n’ai pas la prétention d’avoir complètement épuisé les richesses que contient ce paragraphe révélant la profondeur insondable d’une pensée si juste en vertus, mais j’espère avoir permis à certains d’en saisir la subtilité et l’harmonie comparativement à des pensées plus rustiques et plus profanes. Ainsi pourront-ils, peut-être, comprendre la nature des subsistances dont se nourrit ce feu magique...

*

* *

Commentaires ------>