Citations d'Eliphas Lévi 3

Citation d’Eliphas Lévi livre I : 5

Le doute est d’ailleurs mortel à la foi ; elle sent que l’intervention de l’être divin est nécessaire pour combler l’abîme qui sépare le fini de l’infini, et elle affirme cette intervention avec tout l’élan de son coeur, avec toute la docilité de son intelligence.

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Dans cette citation, Eliphas Lévi met en évidence un des redoutables paradoxes de la Foi. La Foi peut-elle être certitude ?

D’abord, pour répondre à cette question, encore faut-il savoir ce qu’est la Foi. Si c’est la croyance aveugle et déraisonnable en n’importe quelle chimère, cette Foi appartient plus aux délires et aux élucubrations incohérentes, elle est le contraire de l’intelligence, c’est-à-dire une folie. Et comme toute folie, elle est douce tant que le dragon de la fureur sommeille en elle, mais qu’il vienne à se réveiller, alors il se propage dans l’esprit des autres qui lui donne son ampleur, et finit par cracher son feu destructeur sur tout ce qui ne lui ressemble pas ; cette Foi aveugle est au vice, ce que la Foi éclairée est à la vertu.

Mais nous avons vu, dans le précédent article dans le Grand Œuvre d’Hermès Trismégiste (les six points mystiques de Jacob Boehme), que la sagesse est le principe qui préside au sommet de la Divine Création ; que cette sagesse est l’intelligence en action dans la pratique des vertus, et par voie de conséquences, la Foi éclairée (intelligente) ne peut pas être autre chose que l’expression de cette sagesse ; et donc, qu’elle ne peut pas se satisfaire d’un simple savoir qui est, dans le cas de la Foi aveugle, manifesté par un dogme figé, mais qu’elle doit reposer sur les fondations de la véritable Connaissance, dont j’ai antérieurement donné ce qu’il convient d’entendre par Connaissance et savoir.

La Foi éclairée ne peut donc devenir certitude que dès lors où elle se démontre par la raison, elle devient alors une science et perd ainsi, par naturelle compensation, son statut de Foi éclairée pour la simple et bonne raison que la Foi n’est pas nécessaire lorsqu’il y a Connaissance. Car c’est là le principal attribut de la Foi éclairée, celui qui consiste à dépasser les limites finies du champ de nos connaissances, pour aller explorer l’espace infini de notre ignorance. La raison considère naturellement comme absurde tout ce qui dépasse les limites de son entendement rationnel, la Foi éclairée doute des limites qu’impose la camisole de certitudes de la raison, et elle est donc la seule à pouvoir s’en affranchir. En cela le doute devient tout aussi mortel aux certitudes de la raison, qu’aux convictions de la Foi éclairée. Le doute est fort justement présenté comme ce redoutable acide (V.I.T.R.I.O.L .) qui est capable de venir à bout de toutes certitudes.

La raison peut-elle se passer de la Foi éclairée ?... Oui, mais elle se condamne à une rapide dégénérescence et une atrophie totale, car la raison devient rapidement dogmatique, sectaire et stérile, comme le démontre invariablement ce que le bon Dr. Rabelais appelait les sciences sans conscience. Ce qui fertilise la raison, c’est toujours l’ardeur de la Foi éclairée qui ose partir à l’exploration de ce que la raison, sous ses airs ironiques et moqueurs, appelle des fariboles, fadaises ou des impossibilités académiquement déclarées. C’est toujours par une inspiration lumineuse et géniale, d’un chercheur isolé et courageux, que la raison fait ses plus grands bonds en avant. C’est aussi par le truchement de quelques rares initiés qu’une civilisation réalise ses plus grands progrès, jamais par la masse du plus grand nombre qui est en général le boulet qui l’empêche d’avancer.

La Foi peut-elle à son tour se dispenser des rigueurs de la raison, la réponse est là encore oui, mais elle se condamne à ne plus être éclairée, et elle devient inévitablement aveugle, avec les conséquences que j’évoquais au début de cet article. La Foi éclairée ne peut progresser dans l’espace de l’ignorance que solidement adossée sur la raison qui, comme un cordon ombilical, la maintient en cohérence avec les nécessités de la sagesse, de l’intelligence et de la vertu. La Foi éclairée doute néssairement d’elle-même, ce doute est le même que celui qui lui a permis de franchir les frontières de la raison, et c’est aussi celui qui lui permettra de progresser dans ce vaste champ d’incertitude. Ce doute est le propre de la Foi éclairée ; c’est celui qui évite son enfermement dans de nouvelles limites, et c’est cet acide qui corrode les chaînes de certitudes au fur et à mesure qu’elles tentent d’asservir dans ses contraintes l’avancement de cette Foi éclairée. Le doute est donc mortel et il est pourtant indispensable à la survie même de la Foi éclairée. Paradoxe apparent, qui ne l’est plus lorsque l’on installe la Foi éclairée dans le respect de la règle d’or d’une pensée juste en vertus. La Foi éclairée qui se laisserait complètement envahir par le doute, périrait inévitablement dans la dissolution de cet acide. Mais la Foi éclairée est aussi l’expression d’une volonté qui repose sur la Force, la Justice, la Tempérance et la Prudence, ces quatre vertus cardinales qui fondent le principe d’une pensée juste en vertus, ce qui lui permettra d'utiliser le doute sans se faire dissoudre par lui.

La Foi éclairée repose, comme nous l’avons vu, sur la Connaissance éprouvée, cette Connaissance est l’ossature de principes qui la structure, et parmi ces principes il y a, si vous avez suivi le cheminement lent et cohérent qui est celui dans le Grand Œuvre d’Hermès Trismégiste, celui de la nécessité d’avoir pour horizon un Divin Créateur, qui n’est pas je le rappelle une certitude absolue dans la définition que l’on peut en donner, mais qui doit être la plus haute idée que chacun sera capable de s’en faire ; idée qui selon son intensité vibratoire découlant d’une pensée juste en vertus, deviendra l’attracteur de l’âme-de-vie vers sa plus haute élévation, et sera le plus sûr repère, comme les étoiles du ciel pour les navigateurs, lui permettant de partir à l’exploration de l’immensité de l'océan de son ignorance.

La Foi éclairée n’est donc jamais certitude, elle est un doute raisonné et raisonnable, elle ne s’enferme jamais dans des dogmes sclérosants qu’ils soient religieux, scientifiques, philosophiques, culturels, politiques, nationalistes ou raciaux. La Foi éclairée par la Connaissance, ne méconnaît pas, bien au contraire, les lois de la Divine Providence, c’est même grâce à cette Connaissance, qu’elle acquiert la liberté qui est la sienne, de pouvoir s’affranchir des limites étriquées de la raison. Elle exerce cette liberté grandiose avec, comme le dit si subtilement Eliphas Lévi dans cette citation qui sert à l’étude du jour : toute la docilité de son intelligence...

Je dis que cette expression est d’une grande subtilité, car elle sous-entend qu’il n’est pas possible de faire l’exploration des champs inconnus si l’explorateur a la vanité de se croire conquérant d’un ordre des choses, et s’il a en plus l’arrogance d’imaginer qu’il peut en changer quoi que ce soit. L’accession aux mystères implique non pas de la modestie, mais une solide pratique de l’humilité qui rend l’élévation de l’intelligence suffisamment docile pour devenir sage. Pour paraphraser la parabole du pont de Shira qui se trouve dans le Coran, je dirais : que le chemin d’exploration des mystères de la Divine Création est large comme le fil du rasoir et constamment bordé de deux redoutables précipices : celui de la superstition de la foi aveugle, et celui de la prison de certitudes de la raison sans Foi.

L’exemple que j’ai utilisé des navigateurs ayant pour repères les étoiles, me semble être la meilleure illustration de ce propos de la Foi éclairée, et de la présente citation d’Eliphas Lévi. Il fallait aux anciens navigateurs, qui partaient explorer les confins d’une mer, - au bout de laquelle la Foi aveugle prétendait que se trouvaient les pires monstres, démons et menaces -, non seulement une Foi adossée sur la raison de quelques connaissances disponibles à leur époque, mais aussi la manifestation d’une volonté et d’un courage qui allaient à l’encontre de la raison sclérosée, notamment par les dogmes religieux, qui prétendaient la chose impossible et inutile. La Foi éclairée et nourrie par de puissantes convictions, qui ne relèvent que de l'ordre mystique, leur a permis de s’affranchir et de la peur des uns et de l’arrogante suffisance des autres.

Encore une chose importante à dire sur la nature de cette Foi éclairée, elle n’est viable qu’en dehors des passions et des émotions. Rien n’est plus redoutablement destructeur pour la Foi, comme d’ailleurs pour la raison, que ces démons de la passion et de l’émotion. L’intelligence de l’âme-de-vie qui accède à la sagesse, et qui met cette sagesse en harmonie vibratoire avec la Sagesse Divine, doit faire résonner une pensée juste en vertus, et cette pensée juste en vertus est nécessairement l’expression de la Foi éclairée adossée à la raison.

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