Evangile de Thomas 9

Livre de l’Evangile Saint Thomas, Evangile selon Jésus, Loggion 7

1 Jésus a dit :

2 Heureux est le lion que l’homme mangera,

3 et le lion sera homme ;

4 et souillé est l’homme que le lion mangera,

5 et le lion sera homme.

S'il fallait un exemple pour démontrer le caractère parfaitement hermétique de cet Évangile, ce loggion serait probablement le plus pertinent. Du simple point de vue du sens Parlant et de la raison purement intellectuelle, difficile de donner une cohérence à cette histoire de lion et d'homme, que ce soit l'un qui mange l'autre, ou l'autre qui mange l'un, la partie semble truquée au point de faire que ce soit toujours le lion qui gagne... Que peut donc bien avoir de plus, ce lion qui peut se permettre de tirer profit de la situation de manger, ou de celle d'être mangé, alors qu'elle ne profiterait pas à l'homme quelle que soit sa situation dans l'assiette ou hors de celle-ci ?

La lecture selon le sens Signifiant ne nous dit pas plus de choses, et n'est pas de nature à éclairer l'obscurité dans laquelle nous plonge l'épais voile qui recouvre ce qui est sensé contenir une précieuse révélation. En dehors d'une variation de régime, en quoi le bonheur du lion qui dévore un homme, serait pour lui supérieur à la consommation d'une gazelle ou d'un zèbre qu'il a habituellement à son menu ? Pourquoi le lion devient-il un homme s'il est mangé par lui ? Et pourquoi ce même lion devient-il cet homme s'il mange ce dernier ?

Manifestement le sens Parlant, ou le sens Signifiant ne sont pas de nature à pouvoir répondre aux légitimes questions que peut se poser le lecteur de ce loggion si énigmatique. Force est donc de se rabattre vers l'unique possibilité qui reste à notre disposition et qui est le sens Cachant, celui d'une lecture faisant appel à l'analogie, ce langage si spécifique à la Philosophie Hermétique et aux divinités supérieures.

Prenons la peine de découvrir la réalité des protagonistes en présence. D'une part le lion, et d'autre part l'homme. Si pour le sens Parlant et Signifiant le lion est sans conteste l'animal carnivore du genre félin, pour le sens Cachant il sera essentiellement le principe même de la manifestation de la plus forte animalité. Ce "lion" superbe et généreux est aussi le signe dans lequel le feu solaire est le plus ardent dans sa manifestation. L'homme à l'inverse devra s'entendre par analogie à ce qui est le plus sophistiqué, le plus intellectuel et spirituel, le plus subtil et le plus capable à dominer et maîtriser les forces qui l'entourent. Si le lion est le feu de la plus forte animalité et le symbole de la plus basse tonalité vibratoire, ce feu dévorant des passions et des désirs à l'état instinctif, l'esprit que symbolise l'homme est nécessairement sa polarité opposée, ceci devrait nous permettre d'y voir un peu plus clair dans cet arcane obscur.

2 Heureux est le lion que l’homme mangera... Le lion (l'animalité) qui se ferait manger par une hyène (autre animalité), n'aurait ici aucune perspective d'élévation karmique, puisqu'il y aurait aucune élévation vibratoire d'un côté comme de l'autre. En terme de principe nous pouvons traduire cette formulation par le fait que se maintenir et se complaire dans l'état d'animalité n'est pas ce qui permet de sortir de cette condition. Lorsque l'homme (l'esprit) se met à manger du lion, succombe à la plus forte animalité, il ne devient pas plus que ce qu'il était, mais nécessairement moins. À l'inverse, l'animalité en recevant ce qui ne fait pas habituellement partie de sa complexion, et qui est nettement supérieur à celle-ci, bénéficie d'une possibilité considérable d'élévation, rien de moins que celle permettant de sortir de cette animalité pour devenir un esprit, d'où le bonheur du lion d'être la proie de l'homme.

3 et le lion sera homme... Cette précision est un habile raccourci pour nous indiquer, que l'association d'un corps (forme animale) et d'un esprit (la Conscience de l'homme), offrira au lion, après un long parcours évolutif, la possibilité de devenir cet homme. Le sens est ici important à souligner. C'est l'homme qui mange le lion, c'est-à-dire qu'il domine complètement son animalité qu'il asservit à sa condition la plus élevée, c'est pourquoi le lion dévoré par l'homme est devenu une nourriture qui se transforme pour ne produire que des substances assimilables et transmutables en homme (esprit).

4 et souillé est l’homme que le lion mangera... Ici ce n'est plus l'homme qui mange le lion, mais l'inverse. L'animalité n'est plus dominée par l'esprit, mais c'est l'esprit qui se laisse asservir par ce feu dévorant qu'est la force attractive de l'instinct de la forme animale, à laquelle par ignorance et inconscience, l'homme finit par s'identifier, oubliant sa complexion subtile supérieure. Cette homme, partie supérieure, qui succombe à l'appétit de l'animal, est naturellement souillé par ses désirs, passions, émotions, instincts et surtout ses basses intensités vibratoires, qui feront que si le lion devient homme, cet homme sera de la nature la plus égotique qui soit, ainsi que la plus vaniteuse, autoritaire, et féroce, ce que traduira un comportement d'homme brutal, carnassier aux pulsions sexuelles difficilement contrôlables.

5 et le lion sera homme... Pour illustrer cette formulation, et l'ensemble de ce loggion, j'utiliserai un extrait du tome II de la Véritable Histoire d'Adam et Eve enfin dévoilée, et qui traite du signe du Lion dans le zodiaque sacré, celui des Tables de la Loi du Sépher de Moïse :

Le principe de l’Homme-Lion est celui du feu Solaire individualisé dans la création et évoluant dans l’univers ; le cœur en est la résidence sacrée qui sera l’organe concerné par ce signe sur le plan physique quelque soit l’espèce ; c’est ce cœur qui est le centre solaire de force où se travaille l’éveil de la Kundalinî, la puissance sexuelle de la Papesse, dont la Vierge/Isis est la manifestation. Ainsi l’Homme-Lion est sous l’emprise des forces instinctives de ses désirs et passions, et de ses pulsions sexuelles. L’Ænosh/Lion en évolution sera celui qui parvient à dominer ce cheval sauvage du mental et du physique, et là nous comprenons pourquoi c’est parmi les douze travaux d’Hercule, le premier, car l’involution de l’Ænosh/Lion est celui du retour à ce qu’il y a de plus primitif dans l’individu de plus épais, de plus primaire et de plus féroce. La Conscience est maîtrise des énergies vitales du Zodiaque sacré, pour ceux qui en saisiront l’importance nous sommes en face de la vertu cardinale qu’est la Force. Force en involution qui est violence et brutalité, et en évolution qui est domination et maîtrise des puissances de l’ego. L’ensemble du Zodiaque sacré est bien le fruit de l’arbre de la Connaissance, qui est de l’ordre du cosmique et du divin. C’est aussi la Cabbale primordiale dont toutes les autres ne sont que des déclinaisons et des déformations, ou pâles caricatures.

Ænosh/Lion dans l’involution : Totalement dominé par la dynamique du Moi et du Je, il s’exprime dans la violence et la brutalité des rapports ; enfermé dans sa prison de certitudes égotiques, il n’aspire qu’à la réalisation de ses passions, désirs et appétits corporels et matériels. Il considère tout ce qui entrave la satisfaction de ses désirs comme une adversité pouvant aller, chez lui, jusqu’à la souffrance. Le Lion involutif est de caractère buté et d’un entêtement pouvant aller jusqu’à la brutalité. Il est prêt à utiliser la cruauté et la sauvagerie pour satisfaire ses passions et appétits ; ce passage en force sans considération aucune pour les dégâts ou les victimes éventuelles, se retourne inévitablement contre lui, car son absence de tempérance est contraire à son équilibre, à ses intérêts ; sa violence devient auto-destructrice, pouvant aller jusqu’au suicide s’il se sent acculer. Le Lion involutif étant entièrement dominé par ses forces ignées qui le consument, il en devient rapidement le jouet, et son hypertrophie du Moi le condamne à l’irrationnel et au manque de discernement. Vanité, orgueil, fierté, suffisance et arrogance, sont ses traits de caractère dominants. Lorsque le Lion commence à dominer son énergie intense, il devient compétiteur acharné, sens du devoir et de l’obligation de résultats, capable d’une grande sévérité et d’une grande discipline, tant envers les autres que lui-même, la rigueur de ses principes en fait quelqu’un d’intransigeant et d’inflexible, dans une carrière militaire il peut aller jusqu’au sacrifice de la vie des autres et de la sienne, pour rester fidèle et borné à son code de conduite.

« Votre adversaire, le diable rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera. » Première épître de Pierre (5 :8).

Ænosh/Lion dans l’évolution : Se traduit sous une forme plus intellectuelle, par un mode de pensée rationaliste et catégorique. Adepte de la logique raisonneuse, ses arguments sont souvent péremptoires, et s’il est prêt à convaincre, ce qui pour lui est toujours un combat, il n’est que rarement disposé à se laisser convaincre. Mais lorsqu’il parvient à dompter la puissance de l’énergie du Moi, il la transforme en énergie du Soi ce qui devient alors une véritable rédemption par un énergique sens du sacrifice dirigé vers un idéal de haute élévation au service duquel il déploiera une force et une abnégation surhumaine. Il devient alors le Lion Noble et généreux dans toute la splendeur flamboyante de son courage, de son abnégation de sa puissance et de sa générosité.

« Voici, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David, a vaincu pour ouvrir le livre et détacher ses 7 sceaux. » Apocalypse (5 :5).

Ainsi, nous ne pouvons éclairer et comprendre ce remarquable loggion, qu'à la condition de l'inscrire dans la grande tradition Hermétique dont le principe essentiel est de relier le Macrocosme au microcosme, lien sans lequel la Foi et la Raison seraient aussi étrangères et incompatibles que le ciel et la terre, l'eau et le feu. Le langage analogique, celui des dieux, révèle en la circonstance sa toute-puissance et la clé indispensable pour l'ouverture des portes du Temple d'Hermès.

Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; ce qui est en haut est comme ce qui est en bas: pour accomplir le miracle d'une seule chose, nous dit si élégamment la Table d'Émeraude, et comment parler de ce qui en haut en utilisant le langage de ce qui est en bas, sans pratiquer l'analogie ?... Dans ce loggion l'exemple qui nous en est donné est presque une pierre de Rosette de ce langage. Le lion, l'animal symbolise aussi le signe du zodiaque, et le feu de l'astre solaire que nous retrouvons dans la forme animalière de l'homme puisqu'il est son coeur, organe directement lié au Soleil. L'interprétation correcte de ce loggion passe donc bien par la Connaissance Hermétique, et l'étendue de son enseignement qui monte au "ciel" et qui descend en "terre", pour recevoir les forces supérieures et les forces inférieures.

L'enseignement ultime que nous donne ce loggion, est que l'homme ne devient jamais définitivement le lion (l'animal, l'involution) mais que c'est le lion qui parvient par devenir l'homme, traduit en langage profane, il n'y a donc pas de damnation éternelle, mais la rédemption est toujours possible, pour peu qu'un repentir sincère s'exprime volontairement, mais là je ne suis pas certain que tous les lecteurs feront le rapprochement, qui me semble pourtant d'une grande évidence.

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