Jamais sorti du nid
François Charles Joseph Napoléon Bonaparte naît le 20 mars 1811 au palais des Tuileries. Il est le fils de l’Empereur Napoléon Ier et de son épouse Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine. Il est l’héritier de l’immense empire créé par Bonaparte. Par sa mère, née Archiduchesse d’Autriche, il descend de Charles Quint, de Louis XIV, de l’Impératrice Marie-Thérèse (son arrière-arrière-grand-mère) ; et il a pour grand-tante et grand-oncle Marie-Antoinette et Louis XVI. Napoléon, en épousant Marie-Louise, a ainsi « créé » des ancêtres prestigieux à son fils. Titré Roi de Rome à sa naissance, le petit Napoléon, que la belle-mère de Marie-Louise appelle « le petit bonhomme », représente à la fois l’espoir de tout un peuple et l’enracinement des Bonaparte sur le trône de France.
La Comtesse de Montesquiou, une dame typiquement issue de la noblesse versaillaise d’Ancien Régime, est désignée pour devenir la gouvernante du futur Roi de Rome. Rien n’est trop beau pour l’enfant, son trousseau coûte une fortune : deux berceaux, un de 3.000 francs et un de 6.000, en bois avec dorures et argenteries ; des langes commandés par douzaines ; des robes de bébé qui valent à elles seules 40.000 francs. Jamais bébé n’a été aussi gâté avant sa naissance.
L’accouchement est difficile. Le placenta s’est percé trop tôt et le médecin de l’Empereur, Corvisart, est parti se coucher. L’accoucheur Dubois, qui pour des raisons d’étiquette est privé d’une sage-femme, est donc seul. Il panique et pose un ultimatum à Napoléon : il faut choisir entre la mère et l’enfant. « Sauvez la mère, c’est son droit ! Avec la mère, j’aurai un autre enfant » lance Napoléon, qui doit le menacer pour qu’il procède à l’accouchement sans Corvisart. Le bébé naît par les pieds, aux forceps et ne semble pas avoir un souffle de vie. Le nouveau-né, visiblement mort, est laissé par terre sur un tas de linge avant qu’on ne se décide à le prendre et le baigner dans de l’esprit de vin. Après des petites claques sur les fesses, il pousse son premier cri. Finalement, la mère et l’enfant sont sauvés. Napoléon déborde de joie et de fierté en voyant ce fils tant désiré. Certes, il est déjà père de quelques bâtards, mais aucun n’est dynaste et n’a le pédigrée du petit garçon.
Le lendemain, 101 coups de canon sont tirés. Au 22e (21 auraient été tirés s’il s’était agi d’une fille) la foule éclate dans une joie colossale, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps et ne se reproduira pas avant l’armistice de 1918. Par sa fenêtre des Tuileries, en voyant toute cette fête pour la naissance de son héritier, Napoléon a les larmes aux yeux. La naissance est célébrée dans tout l’Empire et même dans les puissances alliées. Le baptême a lieu le 8 juin 1811 et Napoléon en fait une fête nationale. Il coûte la modique somme de 1.896.852 francs et les carrosses du sacre sont réutilisés pour l’occasion.
Napoléon est un papa poule avec le Roi de Rome et lui passe tout. Il est fier que son fils s'intéresse dès son plus jeune âge à la chose militaire. L'Impératrice, de son côté, écrit à son père sa joie d'être mère, pourtant elle ne se sent pas proche de son fils. Elle le visite tous les jours et Mme de Montesquiou le lui amène dans ses appartements. Quand le petit Napoléon embrasse sa mère sur la joue, celle-ci est dégoûtée et s'essuie. L'Empereur dira à ce sujet « voilà une femme qui n’aime point son enfant ». Marie-Louise suit les progrès du petit Prince et tient son mari informé, vu qu'il est souvent absent.
Le Roi de Rome est un enfant capricieux et colérique. Mme de Montesquiou fait de son mieux pour le canaliser, mais ça reste une tâche difficile : il n'est jamais puni ou grondé.
Napoléon souhaitait voir l’hérédité de son fils comme naturelle aux yeux du peuple. Il se rend vite compte qu’il n’en est rien. Le 23 octobre 1812, un ancien général, Malet, réussit presque à prendre le contrôle de Paris en faisant passer Napoléon pour mort. Aussitôt, on parle de former un gouvernement provisoire. La tentative de coup d’Etat étouffe dans l’œuf mais Napoléon comprend quelque chose : lui décédé, personne n’a à l’esprit qu’il reste son fils pour devenir Napoléon II et Marie-Louise pour devenir Régente. La cérémonie en larges pompes du baptême n’a pas atteint son but et l’Empire est voué à l’échec s’il venait à mourir rapidement. Ce sentiment de non légitimité se ressent dans les paroles prononcées par le préfet de la Seine le lendemain : « ce diable de roi de Rome, on n’y pense jamais ! ».
Le 11 août 1813, François II déclare la guerre à Napoléon. Que sa fille soit l’Impératrice des Français et son petit-fils destiné à devenir Napoléon II ne l’effleure pas, il sacrifie volontiers sa famille aux intérêts de son Empire. Napoléon voit l'enfant pour la dernière fois le 25 janvier 1814. Le petit Roi voit son père partir avec tristesse. Il éclate en larmes quand Marie-Louise lui dit qu’il ne le reverra pas. En réalité, il ne le reverra jamais. Suite aux défaites de l'Empereur se pose la question de l'avenir de l'Empire. On parle d'une régence de Marie-Louise, qui quitte les Tuileries le 29 mars avec son fils, âgé de trois ans. Elle passe par Rambouillet puis Maintenon, afin de se rendre à Blois. Elle doit y retrouver son mari, mais il abdique le 4 avril en faveur du Roi de Rome. Il attend que l'Impératrice le rejoigne à Fontainebleau, la voit déjà régente. Lourde erreur.
François II s'allie à la Russie et le Sénat appelle Louis XVIII, frère de Louis XVI, à monter sur le trône. L'Empereur d'Autriche invite sa fille à revenir avec lui, en compagnie de son fils. Naïve, elle pense aider la cause de Napoléon en vivant avec son père. Après réflexion, elle redoute que François II l’empêche, une fois retournée en Autriche, de rejoindre son mari, ce en quoi elle a raison. Et en effet, le ministre de son père, Metternich, qui hait Napoléon, a pour projet de se rallier Marie-Louise et garder précieusement le jeune Roi de Rome.
Le 23 avril, Napoléon quitte la France avec sa mère et son grand-père. Le 21 mai, le convoi arrive à Vienne. Il rencontre ses oncles, tantes, cousins et cousines maternels, il fait sensation. On le trouve magnifique avec ses belles boucles blondes et ses beaux yeux bleus. Le garçonnet s’adapte : il joue et retrouve une vie de Cour comme il en a toujours eu l’habitude. Il n’a pas conscience que de Roi de Rome, prince héritier de l’Empire des Français, il est devenu un simple Archiduc voué à une vie dorée mais sans avenir. Il passe son temps avec « Maman Quiou », sa seule véritable mère. Il ne voit Marie-Louise que de temps en temps, effectuant avec elle des promenades. En effet, devenue Duchesse de Parme, la jeune femme ne s'occupe pas de lui. Elle se concentre sur son duché où elle espère aller pour rejoindre son mari. Mais François II met sur sa route le Comte Neipperg qui devient son amant. Dès lors, il n’est plus question pour elle de retrouver l’Empereur déchu, qu’elle se met à haïr. Ne portant plus son époux dans son cœur, elle rallie l’opinion de son père et de Metternich concernant son fils. On veut le changer en un véritable prince autrichien. Pour cela, on va tout faire pour que l’enfant oublie ses origines françaises, son passé, sa petite enfance aux Tuileries et jusqu’à Napoléon. Le petit pose parfois des questions sur son père, il veut le voir. La seule à voir clair dans le jeu de François II est l’arrière-grand-mère du petit garçon, Marie-Caroline, ex-Reine de Naples et sœur de Marie-Antoinette. Un jour que Napoléon réclame son père, l’aïeule lui répond clairement qu’il ne le reverra jamais, ce qui fait fondre l’enfant en larmes.
Durant les Cent-Jours, on transfère l'enfant de Schönbrunn à la Hofburg, où il sera plus facile à surveiller. De même, l'Empereur renvoie Mme de Montesquiou et la remplace par Mme de Scarampi. Sans doute sous l'influence de sa nouvelle gouvernante, il commence à voir son père comme un ennemi. L’enfant se demande même si Napoléon sera exécuté, car « il est devenu méchant ». Lorsque l'Empereur déchu signe son abdication en 1815, la Duchesse de Parme exulte, sans même songer que son fils vient de perdre son empire. Elle le renomme alors François (il sera surnommé Franz par sa famille) et le pousse à apprendre l’italien et l’allemand. Elle sollicite, auprès de son père, qu’il ait son propre régiment autrichien.
Le 7 mars 1816, Marie-Louise quitte Vienne pour enfin s’installer à Parme, mais sans son fils. L'Empereur d'Autriche veut garder la main-mise sur l'enfant et le surveiller. François perd son rang d’Altesse Impériale et d’Archiduc, on lui attribue le titre de Duc de Reichstadt. Sur les lettres patentes lui accordant terres et titre, on indique qu’il est né « de père inconnu ». Marie-Louise obéit mollement et n'hésite pas à se séparer de son fils : elle préfère se consacrer à son duché, son amant et aux enfants qu'ils auront. Le petit Duc se met à pleurer lorsqu'il comprend qu'il ne reverra pas sa mère de sitôt. A seulement cinq ans (vs 7 en temps normal), il passe aux hommes. On lui octroie comme gouverneur le Comte Moritz von Dietrichstein. Il a pour mission d'effacer de la mémoire de l’enfant tout ce qu’il a vécu en France. Précepteur sévère et sans fantaisie, il ne passe rien à son jeune élève, le juge durement, n’admet aucun écart de conduite et s’en plaint continuellement à la Duchesse de Parme pour qu’elle le sermonne par lettres interposées. Etant « passé aux hommes » et toujours dans l’idée d’effacer le passé, François voit les derniers membres de son entourage français partir à leur tour, on ôte tout « N » ou symbole impérial de ses affaires et ses jouets français sont confisqués.
Heureusement, Franz trouve une source affective auprès de ses oncles et tantes. Il est proche de la sœur et du frère de sa mère : Léopoldine, qui sera Impératrice du Brésil en 1817, et Ferdinand, futur Ferdinand II. Il apprécie également Rainer, le plus jeune frère de François II. Ce trio déteste Dietrichstein et use de son influence auprès de la Duchesse de Parme pour que le précepteur soit plus clément envers son jeune élève, en allégeant son dur et lourd programme d’apprentissage. Ils apportent, autant que possible, amour et tendresse à l’enfant de cinq ans. La quatrième épouse de François II, Caroline-Auguste de Bavière, prend également le Prince sous son aile.
Franz met du temps à apprendre l’allemand. Il résiste autant qu’il le peut mais finit par céder. En moins d’un an, il connaît assez bien la langue pour la parler en public et écrire des lettres à sa mère. Néanmoins, malgré le travail de sape orchestré par François II, Metternich et Dietrichstein, Reichstadt reste attaché à la France. Il effectue un remarquable travail sur lui-même (pour un enfant si jeune) afin de se souvenir de son pays natal, de son père et de ses anciens serviteurs. Dietrichstein, que l’on sait très sévère avec son élève, le qualifie de froid, sans cœur, méchant et menteur. En réalité, il reproche à son élève ce qu’il lui enseigne : Franz refoule son manque affectif et se ferme comme une huître, gardant pour lui ses émotions. Quant à sa méchanceté, elle se résume à jouer des tours à ses maîtres, ainsi qu’à inventer des histoires, chose pourtant courante chez un enfant de cet âge. François se protège ainsi d’une éducation trop stricte.
L'enfant est censé voir sa mère tous les étés, lorsqu'elle revient à Vienne. Chaque visite est attendue de pied ferme par le Duc, qui subit souvent des déceptions. En 1817, alors qu'elle est toujours mariée, Marie-Louise accouche d'une petite fille, Albertine de Montenuovo, issue de sa relation avec Neipperg. Lorsqu'il la revoit enfin en 1818, il ne l'a pas vue depuis plus de deux ans. Il ne la quitte pas jusqu'à ce qu'elle retourne à Parme. Là encore, elle ne reviendra pas avant deux longues années, puisqu'elle accouche d'un autre bâtard, Guillaume de Montenuovo. Sa peine, face à l'absence de sa mère, n'attendrit pas son précepteur qui le critique. A l'inverse, ses oncles, tantes et cousins l'adorent. Il est très apprécié à la Cour. On le reconnaît vif d’esprit, gentil, intelligent, curieux et doté d’une excellente mémoire. Il se passionne pour l’histoire et l'armée. Il est également un très bon danseur : à neuf ans, il prend plaisir aux bals organisés par son grand-père et danse avec toutes les dames de la Cour. En revanche, sa santé est médiocre et est souvent malade.
Franz retourne à Schönbrunn, où il s’installe définitivement, le 8 mai 1821, alors que son père vient de mourir. Il n'apprendra la nouvelle que le 13 juillet et fondra en larmes. De mauvaise grâce, Marie-Louise se décide à écrire à son fils à ce sujet. L'enfant ne peut pas prendre le deuil et se renferme sur lui-même avec un chagrin qu'il doit affronter seul. En effet, sa mère se console en épousant enfin Neipperg et en donnant naissance à une fille qui ne vivra pas.
Après trois ans sans la voir, Franz retrouve la Duchesse en 1823. Mais Marie-Louise a hâte de repartir pour Parme, où l'attendent son mari et ses enfants, qu'elle préfère de loin au jeune Duc, qui ressemble trop à son père.
Un an plus tard, l'enfant rencontre Sophie de Bavière, l'épouse de son oncle Ferdinand. La future belle-mère de Sissi se prend d’affection pour son neveu ; une forte amitié va les lier jusqu’à la mort du Duc, au point que des rumeurs vont naître sur une liaison amoureuse entre les deux jeunes gens. Certains soupçonnent, comme Napoléon III plus tard, que Maximilien, l’un des fils de Sophie, est de Reichstadt et non de Ferdinand. Rien ne prouve cette filiation, le Duc est très certainement resté célibataire et Sophie n’éprouvait pour lui qu’une vive amitié.
A la fin de l’année, Franz voit arriver M. von Obenaus, un nouveau précepteur. Le jeune garçon se confie à lui et semble l’apprécier. Il est d’ailleurs plus à l’aise, spontané et libéré avec Obenaus qu’avec Dietrichstein. Pourtant, le nouveau venu est du même genre que le précepteur en chef. Les deux hommes sont d’accord pour sévèrement juger Reichstadt, le qualifier de menteur, de rusé et de fourbe. Ils le punissent régulièrement, l’empêchant même de dîner avec François II ou d’assister à des festivités. Ils continuent d’écrire à Marie-Louise pour se plaindre de leur élève. La Duchesse, peu intéressée par son aîné, se contente d’obéir et de lui écrire pour le sermonner.
Dès 1826, un changement s'opère chez le Duc de Reichstadt. Il délaisse les festivités et les divertissements pour travailler dur et un jour être officier. Il devient un élève appliqué, dévore les grands classiques de la bibliothèque impériale et maîtrise parfaitement l’allemand et le français. C’est à force de vouloir étudier et de fouiner dans la bibliothèque de son grand-père qu’il finit par redécouvrir des ouvrages sur les gloires passées de Napoléon Ier. Il a l’image de son père en tête, ses souvenirs lui reviennent et il voit l’Empereur comme le héros, le modèle à qui il veut ressembler. Il a seize ans. Dans son testament, Napoléon destinait l’héritage « à [son] fils, quand il aura seize ans ». Les exécuteurs testamentaires du défunt se rendent alors à Vienne pour rencontrer Franz et lui remettre ce que son père lui destinait. Mais François II, guidé par Metternich, refuse : ils repartent bredouille pour Paris. Qu’importe. Reichstadt n’aura plus désormais qu’un seul modèle : son père.
Franz est devenu un jeune homme élégant et raffiné. Il est très aimé, a une belle tournure et une grande taille, mais il est très maigre. Il sait également converser et se montre charmant. Très occupé durant l’année, il s’ennuie ferme pendant les étés où sa mère ne lui rend pas visite. Sa santé se fragilise d’année en année, notamment en hiver où il enchaîne rhumes, bronches enflammées et fièvres. Pour améliorer sa santé, on lui conseille de prendre des bains d’eau froide et il apprend à nager pour l’occasion. Il connaît un mieux et s’endurcit pour mieux se préparer à la vie militaire. Malgré tout, ce sont déjà là les symptômes du mal qui l’emportera dans quelques années. D’ailleurs, les périodes de « mieux » ne seront que des moments de calme entre deux périodes de fluxions de poitrines, maux de gorges, irritations, toux et fièvres. Quand il est malade, Franz se voit interdire les bals et la chasse. Bien que contrarié, il s’y résout de bonne grâce, voulant à tout prix guérir pour poursuivre ses études.
C’est le 1er juillet 1828 qu’il revoit sa mère. Elle le trouve bien changé et grandi, et pour cause : Reichstadt mesure près d’un mètre quatre-vingt ! Elle obtient de l'Empereur qu’il reçoive le grade de Capitaine. Et de fait, le 17 août Franz est nommé capitaine du régiment de chasseurs tyroliens de son grand-père. Le Duc est fou de joie. Pour l’occasion, Marie-Louise offre à son fils le sabre à lame recourbée que Napoléon, alors encore Bonaparte, a utilisé en Egypte. Franz en est si fier qu’il le gardera précieusement jusqu’à sa mort et s’en servira plus tard durant sa courte carrière militaire.
En février 1929, Neipperg décède. Son testament présente officiellement son mariage avec Marie-Louise ainsi que la naissance de leurs enfants. La Duchesse de Parme est contrainte d’avouer sa faute à son père, à commencer par l’âge de ses bâtards, nés avant la mort de Napoléon. François II préfère expliquer la situation à son petit-fils avant qu’il ne l’apprenne de quelqu’un d’autre. Franz est peiné par l’attitude de sa mère et de Neipperg (leur mariage a eu lieu moins de six mois après la mort de Napoléon) mais il passe outre. En revanche, il ignore l’âge de son frère et de sa sœur.
Lorsqu’il l’apprend et comprend que les étés passés seuls correspondaient à leurs naissances, il en est affreusement attristé, blessé et choqué. Tandis que lui se languissait d’une mère absente et que son père se mourait seul sur son rocher, Marie-Louise menait une vie paisible avec son amant et ses bâtards. Il juge la Duchesse sévèrement : « Si Joséphine avait été ma mère, mon père ne serait pas enterré à Sainte-Hélène et moi je ne me languirais pas à Vienne. Ah ! elle est bonne mais faible ; elle n’était pas l’épouse que mon père méritait ». Malgré tout, il aime trop Marie-Louise pour que sa colère persiste. Il continue de lui écrire pour soutenir la Duchesse dans son veuvage.
C’est également en 1829 que Franz commence son apprentissage militaire. On lui fait diriger des troupes et gérer des manœuvres. C’est ce qu’il préfère faire et sa nouvelle vie lui plaît. Reichstadt souhaite aussi s’émanciper de la tutelle de Dietrichstein et enfin officier dans l’armée. François II consent à ce que son petit-fils entre véritablement dans la vie militaire et évoque même l’idée de l’envoyer à Prague. Mais le précepteur ne veut pas voir son élève s’éloigner : Franz loin, il sera remercié et mis en retraite. Il va donc tout faire pour que l’Empereur renonce à son projet. Son meilleur argument est la santé fragile du Duc. Depuis plusieurs années, il souffre de rhumes chroniques, mais le médecin qu’on lui attribue, M. Malfatti, lui diagnostique une maladie du foie. Décision est prise de garder Franz au calme, loin des bals et des balades à cheval, et qu’il se ménage. Un médecin digne de ce nom aurait compris que le Duc souffrait des poumons. Le mieux à faire aurait été de l’expédier à Parme avec sa mère, pour qu’il y respire un air chaud et sec. Mais jamais Metternich n’aurait accepté que son précieux otage parte.
L'année suivante, mère et fils se retrouvent à Gratz. Durant ce séjour, Franz rencontre celui qui sera son plus fidèle ami, le Chevalier Anton von Prokesch-Osten, auteur d'un ouvrage sur Waterloo que le Duc a dévoré et étudié. C’est ce livre qui va les lier. Les deux hommes se reverront souvent par la suite. C’est pour Reichstadt un véritable plaisir de discuter de son père avec le Chevalier. Même Dietrichstein approuve cette amitié naissante ! Franz et son ami parlent durant des heures ; Prokesch lui reconnaît un bon jugement, de l’intelligence et de la vivacité d’esprit. Les deux amis échangent aussi sur la situation en France. Charles X est chassé de son trône et remplacé par Louis-Philippe. Franz a-t-il espéré pouvoir monter sur le trône et devenir Napoléon II ? C'est possible, surtout qu'une de ses cousines, Napoléone, la fille d'Elisa Bonaparte, a pu entrer en contact avec lui. Elle n'est pas la seule membre de sa famille paternelle à espérer qu'il rejoigne la France. En vain.
Début juillet 1830, Reichstadt est nommé chef de bataillon du 54e régiment Lamezan-Salins. En novembre, il devient lieutenant-colonel du 29e régiment d’infanterie Duc de Nassau. Dans le même temps, on lui crée une Maison et on lui attribue trois officiers pour l’assister et l’accompagner : le Général-Comte Hartmann, le Capitaine-Baron de Moll et le Capitaine Standeisky. Franz les juge tous trois sans culture et les apprécie peu. Plus le temps passera, moins il les aimera. Reichstadt prépare également son départ prochain pour Brünn, en Moravie, où est situé son bataillon. En attendant le départ fixé au printemps prochain, le jeune homme débute sa vie mondaine dès janvier 1831. Il rencontre un succès fou, beaucoup de jeunes viennoises le regardent avec un œil intéressé. Mais François n’a pas la tête à ça. Il fait la connaissance d’un ancien compagnon d’armes de son père, le Duc de Raguse, qui avait fini par trahir Napoléon en 1814. Reichstadt ne veut voir en lui que celui qui a accompagné son père, et il a de nombreux entretiens avec lui. L’ancien fidèle de l’Empereur raconte en détail ce qu’il a vécu auprès de Bonaparte puis Napoléon. Franz voit revivre son père grâce à Raguse et est fou de joie à chaque nouvel entretien : il veut marcher dans les pas de l'Empereur.
François II espère un avenir pour ce petit-fils qu’il aime sincèrement. Mais les projets de Metternich sont bien différents. La politique passe avant le bonheur de ce jeune homme. Pour commencer, l’impitoyable ministre expédie Prokesch, dont il juge la présence auprès de Reichstadt dangereuse, en mission diplomatique à Bologne. Privé de son ami, le Duc s’éteint. Seul le début de sa carrière militaire, le 14 juin 1831, le motive et l’intéresse désormais. Mais contrairement au programme prévu, Franz n’est pas à Brünn… mais à Vienne. Ni Dietrichstein ni Metternich ne souhaitaient le voir s’éloigner. Il va donc commander son 60e régiment d’infanterie hongroise depuis la capitale autrichienne. Si ses actions sont très limitées, Franz les accomplit fièrement et avec bonne volonté. Les soldats l’adorent et l’acclament.
La santé du Duc se dégrade : fièvre, voix diminuée, perte de poids importante, teint pâle ou jaune. Durant l’été, une vague de choléra éclate. François II obtient, non sans mal, que son petit-fils quitte sa caserne pour revenir à Schönbrunn. Le jeune homme accepte à contrecœur et se repose sur ordre de son médecin. Pour autant, sa situation ne s'améliore pas ; cette fois, le mal est plus grave que les rhumes chroniques habituels. Se médecin ne voit rien et estime que c’est éphémère. Dès septembre, le Duc obtient de retourner dans sa garnison. Le froid est perçant et sa voix s’altère encore. Pour son entourage, c’est l’activité militaire de Franz qui le rend malade. Personne ne fait le lien avec les problèmes pulmonaires de Marie-Louise et le climat viennois. On fait donc revenir Franz dans sa prison dorée, où il s’ennuie ferme depuis le départ de son ami. Le retour surprise de Prokesch le 1er octobre redonne joie et vie à Reichstadt. Son état de santé connaît un mieux au seul contact de son ami. Aidé de Dietrichstein et Gustav Neipperg, le fils du mari de la Duchesse de Parme, Prokesch va essayer de ramener son ami à la vie et aux distractions. Ils tentent même de le mettre sur la route d’une artiste, une chanteuse nommée Thérèse Pêche. L’idée est d’égayer le jeune homme en le sortant de ses rêveries paternelles, de sa déprime, de son moral aléatoire et de sa mauvaise santé. Mais là encore, Franz est hermétique aux appels de l’amour. Il reprend néanmoins sa vie mondaine en décembre 1831. Les bals et fêtes lui remontent le moral et, bien qu’il ne danse pas, Reichstadt excelle dans l’art de la conversation.
En janvier, lors d’une manœuvre, il prend froid et a une congestion pulmonaire. Sa fièvre fait le yoyo mais son médecin le dit guéri du foie. Mieux, il l’annonce fièrement à Marie-Louise dans une lettre. Deux autres sorties courant février fragilisent davantage le malade. Deux confrères de Malfatti s’alarment de l’état de ses poumons, mais le médecin du jeune homme n’en tient pas compte. Pourtant, dès avril, Franz tousse de plus en plus, crache du sang, a des vertiges et une forte fatigue. Il sent que la fin est proche. Il rassure sa mère dans ses lettres, aussi ne se hâte-t-elle pas de venir à Vienne pour voir son fils. Fin mai, Dietrichstein la supplie de venir, mais elle prétexte la situation politique à Parme et le choléra qui sévit encore pour ne pas se rendre au chevet du Duc. Pour elle, la situation n’est pas grave. Malfatti impose des sorties au malade, mais au lieu de le revigorer, elles l’épuisent encore plus. Après un mieux, Franz rechute le 23 juin. Le lendemain, sa mère arrive enfin. Elle peine à reconnaître son fils. On les laisse seuls, il est heureux de la revoir après plusieurs années. En juillet, Reichstadt rechute. C’est la fin. Il n’est même pas encore mort qu’on se dispute déjà son héritage. Marie-Louise, quant à elle, déclare que sitôt son fils décédé, elle repartira pour Parme. Le corps de Franz se fragilise, son esprit aussi. La fièvre le fait délirer et il perd sa voix. Pour le distraire, on lui apporte une grive apprivoisée dans sa chambre.
Le 22 juillet, tous sont à son chevet. Marie-Louise prie au pied du lit. La grive s’est posée dans la main de Franz qui somnole. En fin d’après-midi, il est secoué par un spasme qui le crispe, étouffant la grive dans sa main. Il cesse de respirer et décède peu après cinq heures, à l’âge de vingt-et-un ans. Le seul à pleurer sincèrement Reichstadt est son ami Prokesch. Franz est inhumé dans un cercueil de cuivre dans la crypte des Capucins à Vienne, non loin de son grand-père et de sa mère, quelques années plus tard.
Dans la nuit du 14 au 15 décembre 1940, cent ans jour pour jour après le retour des cendres de Napoléon Ier en France, un cortège funèbre traverse Paris. Arrivé aux Invalides, on sort un cercueil de cuivre que l’on dépose près du tombeau de Napoléon. C’est son fils, que l’on ramène dans son pays natal. Jusqu’à présent, l’Autriche a toujours refusé de laisser repartir la dépouille du Duc. Pourtant, ce retour a été demandé à plusieurs reprises, notamment par Napoléon III. C’est Hitler, souhaitant s’attirer les bonnes grâces de Pétain, qui a orchestré ce retour. Cette campagne fait flop : le rapatriement des restes de Reichstadt en France est passé inaperçu et a même été raillé. Aujourd’hui, celui qui fut Roi de Rome repose dans une crypte des Invalides, non loin du tombeau de Napoléon Ier.