Un digne Bonaparte
Napoléon Eugène Louis Jean Joseph naît à Paris le 16 mars 1856 aux Tuileries. Fils de l’Empereur Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie, il est aussi le petit-neveu de Napoléon Ier, l’arrière-petit-fils de l’ex-Impératrice Joséphine et le petit cousin de l'Aiglon. Sa naissance est longue, le travaille dure presque deux jours. D'ailleurs, les médecins le blessent légèrement au front avec les fers qui ont aidé à le faire venir au monde.
L’enfant est confié aux bons soins d'une gouvernante, l’Amirale Bruat, et d'une nurse, Miss Shaw, choisie sur les conseils de Victoria. Eugénie et Napoléon sont très fiers de leur fils, qu’ils ne tardent pas à surnommer « Loulou ». L'Impératrice le voit tous les jours et reste à ses côtés lorsqu’il est malade, quant à l'Empereur, il est un « papa gâteau » qui visite son fils plusieurs fois par jour, s’inquiétant du moindre détail inhabituel.
Louis - ce sera son prénom usuel - est baptisé le 16 juin à Notre-Dame de Paris, sous un tonnerre d’applaudissements et d’acclamations de « Vive le Prince Impérial ! ».
Il passe les premiers mois de sa vie aux Tuileries puis à Saint-Cloud. Dès l’enfance, il est fasciné par la vie militaire. Il aime accompagner son père, juché sur le pommeau de sa selle, lorsqu’il passe les troupes en revue, et est très vite attiré par les chevaux. On lui donne alors un maître d’équitation, Bachon, et bientôt Louis sait monter à poney avant même de marcher. Il monte d’ailleurs très bien et Bachon restera à son service jusqu’à l’âge adulte.
A défaut d’avoir des frères et des sœurs, on lui donne des compagnons de jeux, tous enfants des amis de Napoléon III et d’Eugénie. Parmi ceux qui resteront ses meilleurs amis à l’âge adulte, il y a Louis Conneau, le fils du médecin de l’Empereur, mais aussi Pierre de Bourgoing, Jules Espinasse, Scipion Corvisart et son cousin Joachim « Chino » Murat. Ils s'amusent ensemble et Louis, naturellement gentil, se fait souvent accuser à la place de ses amis pour qu'ils ne soient pas punis.
Si Napoléon III passe tout à son fils, Eugénie est plus sévère. Elle veut éviter qu'il devienne un enfant gâté. Il apprend l'anglais avec sa nurse, ainsi que l'équitation. Ses parents lui offrent un poney, Bouton d'Or, qui sera suivi par Balmoral, cadeau de la Reine Victoria. Lorsqu'il voyage à Biarritz avec ses parents, il apprend la natation. Lors des séries organisées par sa mère à Compiègne, il fait partie des festivités et s'amuse même à participer à des petites pièces de théâtre.
A 7 ans, il passe aux hommes. Son précepteur, M. Monnier, est un jeune étudiant brillant qui s'entend très bien avec le petit garçon. Malheureusement, son enseignement est très mauvais. Louis est avide de curiosité et veut s'instruire, or son professeur a du mal à canaliser son énergie. Il l'emmène en promenade et chaque élément qui intéresse le Prince devient le thème du cours du jour. Quant aux matières scolaires, certaines sont biaisées. Ses cours d'histoire, notamment, sont très axés sur Napoléon Ier. Le petit accumule un important retard.
A 11 ans, il a son premier régiment militaire et est confié à un gouverneur, le Général Frossard. Si Louis admire (et craint !) son nouveau professeur, ce n'est pas le cas de M. Monnier, de son maître d'équitation Bachon et de sa nurse Miss Shaw. Frossard, dont l'entente avec le précepteur est détestable, obtient son renvoi au motif que l'instruction donnée au Prince Impériale est catastrophique. Monnier est remplacé par Augustin Filon, qui restera très proche de Louis jusqu'à la mort de celui-ci.
Filon est estomaqué par le niveau de son jeune élève et lui prépare un programme soutenu. L'enfant est inscrit au même lycée que son ami Louis Conneau, mais il étudie aux Tuileries. Motivé par la publication des notes de toute la classe, Louis travaille d'arrache-pied. Le rêve du jeune Prince est de faire ses classes militaires à Saint-Cyr et d’être, outre un bon Empereur, un excellent soldat et pouvoir diriger lui-même ses troupes comme Napoléon III l’a fait pendant la campagne d’Italie. A ses 13 ans, il est promu sous-lieutenant et a son propre uniforme d’officier. Il en est très fier et a hâte de servir dans l’armée pour prouver sa valeur.
Fin juillet, la guerre face à la Prusse éclate. Loulou, qui a 14 ans, accompagne son père sur le front. Eloigné de la réalité de la situation, il ignore que la France n'est pas préparée à ce conflit. Tout à sa joie d'aller avec son père pour "se battre", il imagine déjà la victoire française. Lors de son baptême du jeu, il n'occupe aucun poste mais reste présent sur le champ de bataille, en parade. Un balle vient siffler près de lui et tombe à ses pieds. Napoléon III télégraphie deux messages à Eugénie : un pour le public annonçant le baptême du feu du Prince, l’autre juste pour elle en la rassurant sur le courage de son fils lorsque la balle l’a frôlé et le fait qu’il l’ait ramassée pour la garder. Ne comprenant pas la portée privée du message, le ministre Emile Ollivier, ennemi de l’Impératrice, suggère de le publier. L'effet est désastreux, Loulou est la risée des Français, l'opposition s'en donne à cœur joie et le surnomment "l'enfant de la balle". Louis ignore, heureusement, ces railleries.
Les défaites s'enchaînent, sa santé diminue, Napoléon III ne voit plus d'issue et décide fin août que son fils doit regagner Paris, car il n’a plus rien à faire sur place. Ils se séparent et Louis est confié aux commandants Lamey, Duperré et Clary avec qui il part pour Rethel, pendant que l’Empereur cherche tous les moyens de mourir au combat pour sauver l’honneur des Bonaparte. Lorsque Napoléon III capitule à Sedan, il télégraphie à Duperré d’emmener le Prince à Landrecies, puis de là fuir par la Belgique jusqu’en Angleterre. Le 4 septembre, Eugénie quitte de force les Tuileries et la République est proclamée. Déjà recherché par les autorités, Loulou est protégé par ses accompagnateurs pour qu’il ne soit pas arrêté. Il passe par Maubeuge, Namur, Charleroi puis Bruges et enfin Ostende, où il embarque vers l’Angleterre. Le 7 septembre 1870, celui que les Français adulaient et appelaient « l’Enfant de la France » n’est plus qu’un adolescent de 14 ans, exilé, seul sans ses parents, dans un hôtel de Hastings. Deux jours plus tard, il retrouve Eugénie elle aussi partie en Angleterre. Rapidement, les fidèles amis des Tuileries dont Louis Conneau et Pierre de Bourgoing les rejoignent avec leurs familles. Eugénie loue puis rachète la maison de Camden Place, où une mini Cour s’installe.
La vie de tous les jours reprend tant bien que mal son cours et Filon se remet à enseigner à son élève le programme interrompu par la guerre et l’exil. En mars 1871, le jeune homme retrouve enfin son père, qui lui manquait cruellement. Une vie de famille bourgeoise se crée. Les exilés reçoivent la visite de la Reine Victoria, accompagnée du Prince de Galles et de sa fille Béatrice, qui semble attirer Louis. Toutefois, il préfère se consacrer à ses études. Il convainc ses parents de l'inscrire au King’s College de Londres. Il vit dans une petite maison meublée, située proche de son école. Il y dort et fait ses devoirs, se promène dans Londres comme n'importe quel étudiant, côtoie le peuple comme aucun autre prince ne l'avait fait avant lui. Il est libre d’aller boire un chocolat dans un café ou de s’offrir des gâteaux dans une boutique. Rattrapé par son retard scolaire, il doit se résoudre à quitter le King's College et opte pour l'Académie militaire de Woolwich.
Dans les matières sportives, Loulou a largement le niveau de ses camarades. En revanche, pour les épreuves écrites du concours d’entrée, c’est une autre affaire. On lui propose un passe-droit afin d'intégrer l'école sans concours, mais il refuse catégoriquement. Il travaille tout l'été pour rattraper ce retard qui le poursuit depuis des années ; ses efforts payent et, bien que pas très bien classé, il valide son concours, comme son ami Conneau. Ses professeurs notent son évolution, ses camarades, eux, l’aiment beaucoup pour sa gentillesse, sa spontanéité et sa simplicité. Ils ont aussi apprécié qu’il ait passé lui aussi le concours d’entrée à l’école.
Le 9 janvier 1873, Napoléon III s'éteint. Louis arrive trop tard pour le voir vivant. Il vient de perdre la personne qu’il aime le plus au monde, son modèle, son complice. Pendant plusieurs jours, il assume les funérailles et les cérémonies, où les bonapartistes, ainsi que les nostalgiques de l’Empire, affluent. A cause de cet évènement tragique, Louis accumule trop de retard et doit redoubler son année. Mais c’est reculer pour mieux avancer et il fait des progrès considérables, au point que lors du concours de fin de cursus, il sort septième de sa promotion.
Il est désormais diplômé de Woolwich, mais on n'a pas besoin de ses services dans l'armée anglaise. Louis s'ennuie, a besoin d'activité, de travail. Maintenant majeur, il en profite pour voyager. Il découvre l’Italie où il rencontre le Pape Pie IX (son parrain), ainsi que sa famille Italienne. Il voit la Corse, la Suisse où il passe dans la maison d'Arenenberg autrefois acquise par sa grand-mère Hortense, et l’Autriche. Devenu aussi le prétendant bonapartiste au trône, il est très sollicité par les soutiens de l'Empire. Des Français n'hésitent pas à traverser la manche pour le rencontrer. Il préfère attendre son heure et se concentrer sur sa patrie d'adoption, puisque la France ne veut pas de lui.
Il veut prouver sa valeur militaire sur le terrain. Après avoir tenté de s’enrôler dans les troupes Autrichiennes de François-Joseph, il réussit à se faire embarquer en Zululand, où des tribus Zoulous se rebellent contre l’autorité Anglaise et où tout un camp militaire Anglais vient d’être massacré.
Eugénie est terrifiée. La nuit qui précède le départ de son fils, un gros orage éclate. Elle y voit un mauvais présage et lutte pour qu'il auprès d’elle, en vain. Le 27 février, il embarque à bord du Danube. A Plymouth, il écrit une lettre à sa mère, puis plus rien jusqu’au Cap. Il passe non loin de l’île de Sainte-Hélène où s’est éteint son grand-oncle et regrette de ne pouvoir y accoster, mais le temps presse. Durant la traversée, il noue des sympathies avec les membres de l’équipage ainsi qu’avec d’autres militaires partis en campagne avec lui. Le 26 mars, il arrive au Cap où il télégraphie un message à Eugénie. Mais le télégraphe passe mal et elle ne reçoit de ses nouvelles que trois semaines après.
Le 3 avril, il repart pour Durban où il achète un cheval gris, Percy, et où il engage deux domestiques, puis le 19 il quitte la ville pour aller en territoire Zoulou, dans la terre ennemie de Ceteswayo. Le gouvernement Anglais ne veut pas prendre de risque en mettant la vie du Prince en danger. Ainsi, il reste dans le camp où on le charge de dessiner un fort militaire afin de servir de repli aux troupes en cas de danger, mais il reste sans grande mission à accomplir. Il se lasse vite de l’inactivité et demande au moins un poste, aussi peu gradé soit-il. Ainsi, il réclame une nouvelle mission qui ne tardera pas à lui être confiée.
Le 31 mai, il est investi d’une mission : il doit repérer le lieu idéal pour implanter le fort dont il a dessiné les plans. Loulou est accompagné de six officiers, dont le lieutenant Carey, qui a pour seule mission de le protéger. Ils traversent la Blood River et arrivent au pied du mont Itelezi. Le groupe descend de cheval. Louis garde sa monture sellée en cas de danger. Il a absolument tenu à harnacher Percy avec la selle et les sacoches que son père avait à Sedan, en vieux cuir usé qui menace de rompre à tout instant.
Au bout de quelques heures, l’un des officiers donne l’alerte : il a repéré des Zoulous dans les parages. Tous commencent à se préparer à partir quand les guerriers sortent des hautes herbes où ils étaient cachés, et attaquent le groupe de Louis. Carey, qui devait veiller sur le Prince, file aussi vite que le galop de son cheval le lui permet, bientôt suivi par deux autres officiers. Percy suit instinctivement les autres chevaux. Tandis que les deux derniers officiers se font massacrer, le jeune Prince tente de monter en voltige sur son cheval, en se tenant à l’une des sacoches, mais la lanière casse. Malgré plusieurs essais, il finit par chuter, Percy part au galop et un coup de sabot lui casse le poignet. Quand il se relève, Louis n’a qu’un revolver pour se défendre, son sabre étant tombé dans sa chute. Il tire et tente de se défendre en revoyant les sagaies qu’il parvient à attraper, mais une première le touche au bras, une autre le blesse au torse et la troisième, meurtrière, lui renfonce l’œil droit jusqu’au cerveau. Il s’effondre au sol tandis que les Zoulous s’acharnent sur son corps. Au total, 17 sagaies lui ont transpercé le corps, toutes de face. Il n’a pas fui face à la mort, il a affronté l’ennemi en digne soldat. Il n'avait même pas 23 ans.
Le lendemain, son corps est recherché par les militaires du camp où il servait. Totalement dénudé selon la tradition Zoulou, son corps est couvert de traces de sang séché, ses médailles mises autour du cou. Il est enveloppé dans une couverture puis embaumé et rapatrié dans un cercueil de plomb jusqu’en Angleterre. Lorsqu’il arrive enfin à Camden Place, Eugénie se jette sur son cercueil en pleurant. Louis est inhumé dans la petite chapelle Saint Mary, à côté de son père. Camden Place devenant trop petite, Eugénie fait bâtir une crypte à côté de sa nouvelle demeure à Farnborough Hill. Le 9 janvier 1888, le corps de Louis et celui de son père sont transférés à l’abbaye Saint-Michel.
Aujourd’hui, en France, seule la statue de Carpeaux représentant Louis et son chien Néro, située dans le parc de la Malmaison, rappelle l’existence du jeune Prince.