La presque Reine
Gabrielle naît en 1573 au château de Coeuvres. Fille d’Antoine d’Estrées et de Françoise Babou de la Bourdaisière, elle est le cinquième enfant et la quatrième fille du couple. Sa mère et ses tantes étaient surnommées « les 7 péchés capitaux » en raison de leurs mœurs légères, Françoise, la mère de Gabrielle, n’hésitait pas à tromper allègrement son mari, et eut même une fille d’un de ses amants, qu’Antoine d’Estrées reconnut malgré tout. Cette tendance à la débauche était manifestement dans les gênes car Gabrielle et ses sœurs s’adonnèrent elles aussi rapidement aux mêmes pratiques, devenant à leur tour « les 7 péchés capitaux », bien que n’étant que six sœurs.
L’enfant grandit au Château de Coeuvres avec des parents assez absents et est surtout éduquée avec sa sœur Diane. La mère de Gabrielle quitte le domicile conjugal pour s’enfuir avec son amant, le Marquis d’Allègre en 1583, la petite fille n’a que 10 ans et ne reverra jamais sa mère. Son père étant souvent absent, son éducation et celle de Diane sont alors confiées à l’une de ses tantes maternelles, Isabelle de Sourdis. C’est donc sous l’égide de sa tante qu’elle connaît l’amour avec le seigneur de Stavay, son voisin, dont elle est éprise. Elle enchaîne plusieurs aventures qui feront faire au Marquis de Bassompierre une longue (et exagérée) liste de ses conquêtes, dont le roi Henri III. Pourtant, présentée à lui par sa mère au Louvre, il n’en avait pas voulu ! En revanche, le Roi aurait eu pour maîtresse Mme Babou de la Bourdaisière…
Gabrielle rencontre Roger de Bellegarde, Grand Ecuyer du Roi, appelé M. Le Grand. Il découvre la jeune fille et sa sœur au Château de Coeuvres et en tombe éperdument amoureux. Le sentiment est partagé par la jeune fille qui dit tout de go à son père qu’elle veut l’épouser. Mais la langue trop bavarde de Bellegarde donnera envie à Henri IV de rencontrer lui aussi cette fabuleuse beauté. Grand mal en pris à M. Le Grand puisque le Roi s’éprend de la belle et lui interdit de l’approcher de nouveau. Seulement, le sentiment n’est pas réciproque et Gabrielle repousse violemment les avances du Roi qui a plus de deux fois son âge. Elle ne voit que le Duc de Bellegarde et le lui fait bien sentir ! Le Roi lui écrit alors bon nombre de lettres dont il ne subsiste que quelques-unes aujourd’hui. Fin épistolier, il était surtout très épris de son « bel ange », mais aussi possessif, et le lui écrivait clairement. Henri ne se laisse pas démonter pour autant et tente d’assiéger Gabrielle comme il souhaite assiéger la ville de Chartres. Quand la ville tombe, Mlle d’Estrées se glisse sous ses draps mais sans conviction, uniquement poussée par sa tante et son père qui voient là une belle occasion de promotion pour la famille : bien que régnant sur un royaume éclaté, Henri IV n’est-il pas Roi ? Une favorite royale dans la famille : un honneur ! Cependant, son cœur reste à Bellegarde et un véritable ménage à trois s’instaure : Gabrielle reçoit son Grand Ecuyer chez elle lorsque Henri n’est pas là, et s’il est à deux doigts d’apprendre la supercherie, l’amant s’enfuit pour laisser place libre au roi.
Le Grand devenant plus tard l’amant de la veuve et de la fille du Duc de Guise, le « Balafré », Gabrielle finit par se détourner définitivement de lui au profit d’Henri IV, d’autant que celui-ci vient de renoncer à la foi Protestante. Elle l’aurait d’ailleurs plus ou moins poussé à ce choix. Comme dit le roi lui-même : « ce que femme veut… ». Mais Gabrielle n’étant pas mariée, elle reste sous le joug de son père et ne peut vivre librement à sa guise, et ainsi suivre son royal amant à Paris. Henri IV lui fait alors épouser, le 8 juin 1592, le complaisant – et hideux – Nicolas Benais d’Amerval, Comte de Liancourt. Devenue Mme de Liancourt, Gabrielle ne vit en tout et pour tout que trois mois avec son mari, et le mariage ne fut jamais consommé, ce qu’elle « regretta » officiellement, mais non officieusement, afin de faire croire à un mariage réel et non à un mariage blanc, afin qu’il puisse être annulé plus tard. Quelques jours après son mariage, Gabrielle apprend la mort de sa mère, assassinée avec son amant par des villageois en colère, et la pleure malgré tout.
Henri veut mener une vie paisible avec sa belle Gabrielle et tente de se défaire de sa légitime épouse, Marguerite de Valois. La maîtresse, elle, aime le confort et le recherche particulièrement. C’est ainsi que d’importantes rentes lui sont versées par son royal amant. Il veut entreprendre des travaux de rénovation au Louvre mais aussi à Fontainebleau pour bien accueillir sa favorite. En 1594, Gabrielle lui annonce qu’elle est enceinte. Henri est ravi ! Le 22 mars 1594 Henri IV, sacré un mois plus tôt, fait son entrée dans Paris qui lui ouvre ses portes. Gabrielle est ravie mais est insultée et traitée de putain. Les parisiens la détestent et pour éviter un grand esclandre, elle ne reste pas longtemps au côté de son amant et va s’installer au Château Vieux de Saint-Germain. Elle peine à le suivre dans ses campagnes avec sa grossesse et le suit souvent en litière afin d’éviter tout problème et d’assurer l’avenir de la dynastie, tout du moins c’est ce qu’espère le Roi.
Gabrielle est représentée avec sa sœur, la Duchesse de Villars. Celle-ci lui touche le sein afin de montrer qu’elle est enceinte du Roi. En arrière-plan, une nourrice coud des layettes pour l’enfant à venir.
Gabrielle, toujours avec sa sœur, a accouché d’un fils, César, que l’on voit au sein de sa nourrice, au second plan. La favorite porte un collier de perle, cadeau d’Henri IV pour la naissance de son fils.
Le 7 juin 1594 à Coucy, Gabrielle met au monde un fils tout rond qu’Henri prénomme César. Il le présente tel un Dauphin et en est très fier ! Ce sera donc César de Vendôme qui promet d’être au pire un bâtard légitimé et au mieux un futur Roi de France. Cependant, pour éviter que le père légal de l’enfant, M. de Liancourt, ne le réclame, Henri IV fait annuler rapidement le mariage de sa belle le 24 décembre 1594. Déviant de ce qu’avaient fait ses prédécesseurs, le Roi va reconnaître son fils, mais chose nouvelle, il va le légitimer ! Sans pour autant lui accorder le droit de monter sur le trône si Henri IV venait à mourir. Gabrielle a conforté sa place, mais elle n’est à l’abri de rien, d’autant que le peuple, le Pape et les ministres lui sont farouchement opposés. Clément VIII refuse de casser le mariage du Roi et de Marguerite de Valois, de même qu’elle refuse de se « démarier » s’il maintient qu’il veut épouser sa maîtresse. Henri IV se satisfait pour autant de sa vie en concubinage avec Gabrielle qui ne loge pas au Louvre mais dans un hôtel particulier tout proche. Ils forment un vrai couple très moderne puisque malgré les nombreuses nourrices qui entourent César, ils l’élèvent eux-mêmes. Ils lui apprennent ses premiers pas, ses premiers mots et se promènent avec lui dans les jardins du domaine de Montceaux dont Gabrielle est devenue la marquise.
Entre temps, de plus en plus attachée à son amant, et aussi à sa place de première dame, Gabrielle ne lâche plus Henri IV d’une semelle. Même lorsqu’il part en guerre, elle a une tente aménagée pour son confort juste à côté de celle du Roi. Elle craint que son insatiable appétit ne le pousser à aller voir ailleurs et veille à assurer elle-même le bon plaisir de son amant. Parallèlement, Gabrielle joue un rôle politique puisqu’elle sert d’intermédiaire entre Henri IV et le Duc de Mayenne, principal leader des Ligueurs qui refusait obstinément de prêter allégeance au Roi. C’est donc Gabrielle qui parvient à faire plier le frère du « Balafré », pour son amant mais aussi pour celui de son fils, car si Henri IV venait à mourir, la principale opposition étant étouffée, ce serait un trône stable et un pays en paix qui verrait son fils devenir Roi. On n’est jamais trop prudent !
Pour ce dernier tableau de la série (inspirée de celle de Clouet avec, on le suppose, Diane de Poitiers), Gabrielle est sans sa sœur. On voit derrière elle son fils César qui a bien grandi, ainsi que sa dernière née, Catherine-Henriette, au sein de sa nourrice. Le bracelet au poignet de Gabrielle est un second cadeau royal, pour ce second enfant.
Henri IV se trouvant ruiné au moment de combattre une nouvelle fois l’Espagne, Gabrielle soutient alors la candidature de Sully aux finances de l’Etat. Elle espère ainsi se faire un allié de taille, mais malgré cet avancement il n’apprécie pas la favorite et ne soutient pas l’éventuel projet de mariage entre elle et le Roi. Ce qui n’empêche pas Gabrielle de tomber une nouvelle fois enceinte. Le 11 novembre 1596, elle met au monde une petite Catherine-Henriette, Catherine en l’honneur de sa marraine et tante, la sœur du Vert Galant, et Henriette pour son père. Elle est elle aussi légitimée rapidement avant que son père ne parte en campagne.
Gabrielle, bien que très aimée du Roi, voit pourtant d’un très mauvais œil le possible mariage entre son amant et Marie de Médicis, dont la fortune redresserait considérablement la situation économique du royaume. Plus accrochée que jamais au monarque, elle n’hésite pas à prendre sur sa cassette personnelle (qu’elle a bien remplie) afin de lui avancer les fonds pour la campagne guerrière contre l’Espagne qu’il va mener après avoir légitimé leur fille. Tout argent qu’elle donnera sera une raison de moins à Henri pour épouser la « grosse Florentine ».
A la fin de l’année, Gabrielle est titrée Duchesse de Beaufort. Une jolie couronne ducale malgré quelques tromperies çà et là, mais ses beaux yeux ont eu raison du monarque. Elle a aussi pour elle les enfants qu’elle lui a donnés. Henri joue avec eux, et elle le surprend même un jour en train de couper lui-même les cheveux de César. En outre, ils parviennent à lui arranger un beau mariage avec la fille du Duc de Mercœur, Françoise de Lorraine, récupérant ainsi l’alliance avec la Bretagne encore rebelle. Le 19 avril 1598, à Nantes, elle accouche d’un autre fils, Alexandre, qui sera plus tard Chevalier de Vendôme. A peu près en même temps, Henri IV « met au monde » son Édit de Nantes. Édit auquel Gabrielle avait apporté sa touche puisqu’elle poussa son royal amant à le signer, ce qui lui valut la sympathie d’Agrippa d’Aubigné, ami du Roi et Huguenot convaincu. Agrippa, dont la petite-fille sera un jour l’épouse morganatique de Louis XIV !
Dans le même temps, alors qu’Henri IV oscillait toujours entre un mariage d’amour avec Gabrielle et un mariage de raison avec Marie de Médicis, sa favorite était traitée au Louvre comme une reine, et espérait le devenir. Henri le lui promettait plus ou moins mais le Pape et Marguerite s’y opposaient toujours. Il multiplie les lettres pour ses « doux menons » ou son « bel ange », dans lesquelles il lui dit « partagez ma couronne » ou « ma souveraine ». Gabrielle reçoit de belles parures, des terres, des rentes, elle n’en a jamais assez et se fait à cette vie. Mais le spectre florentin lui fait peur. De plus, Sully et bon nombre d’autres personnes n’approuvent pas cette union. Gabrielle est surnommée « la duchesse d’ordure » par tout le monde et le peuple la hait. De violent pamphlets et poèmes outrageux circulent dans Paris et au Louvre, mais Henri IV s’en moque. La belle maîtresse, elle, assure ses arrières en se faisant des amis. Elle convainc plusieurs personnes de s’allier à elle pour appuyer sa candidature au mariage et donc au trône, et tente de ne pas trop abuser de son influence sur le Roi.
A la fin de 1598, Gabrielle apprend qu’elle est de nouveau enceinte. Sa position est donc assurée, malgré certains échanges entre le Roi et les Médicis, elle est traitée en souveraine et son amant ne la quitte quasiment pas. Après le baptême de son dernier fils, elle espère fortement que la prochaine cérémonie officielle la fera Reine de France. Mais l’obstacle du Pape et de la Reine Margot reste présent. Ils ne veulent pas céder. Et Henri IV oscille à nouveau : Gabrielle ou Marie de Médicis ? Gabrielle n’hésite pas à faire venir son amant en catastrophe, prétextant des douleurs durant sa grossesse. Faux prétexte mais bonne idée : il vient !
Des cauchemars prennent la favorite, qui sent qu’elle ne passera pas 1599, ne sera jamais reine et mourra en mettant son fils au monde. Henri IV a les mêmes pressentiments. Gabrielle prend avis auprès de chiromanciennes, magiciens ou diseuses de bonne aventure : tous ont un diagnostic sombre. Contraints de se séparer durant la semaine Sainte pour faire leurs Pâques avant de se marier la semaine qui va suivre, Gabrielle part loger chez sa tante Isabelle de Sourdis, puis chez le financier Zamet, l’un de ses amis. Henri IV, lui, reste à Fontainebleau où son entourage lui vante les avantages d'épouser l’héritière des Médicis. Gabrielle sent qu’elle s’est fait avoir.
Le 7 avril, elle dîne chez Zamet. Goûtant un gros citron juteux, elle lui trouve un goût amer. Espérant qu’une balade la soulagerait de la chaleur, elle demande à sortir dans les jardins de l’hôtel particulier de son ami mais elle s’évanouit en se levant de table. Elle est alors transportée d’urgence à l’hôtel de Sourdis. Le lendemain elle se sent mieux et assiste à la messe, mais rapidement elle se couche, se plaignant de fortes douleurs au ventre et à l’estomac. Elle est prise de nombreuses contractions. Gabrielle fait envoyer des messages à Henri IV pour qu’il vienne la rejoindre, mais on le lui déconseille. Elle est au plus mal, les rumeurs de sa mort commencent déjà à se répandre et il voit là une action divine : il n’épousera pas sa maîtresse contre l’avis de tous, mais n’aura pas non plus besoin de l’éloigner au profit de Marie de Médicis. Il décide donc de faire demi-tour pour retourner à Fontainebleau. Gabrielle est prise de convulsions et d’immenses contractions, la douleur déforme son visage au point qu’elle devient hideuse et méconnaissable. Elle perd beaucoup de sang, son corps est tétanisé et elle perd l’ouïe et la vue. Les médecins prennent le parti de faire sortir son enfant de son ventre pour pouvoir la saigner et lui administrer des soins, mais à 7 mois de grossesse, il n’est pas arrivé à terme et il faut l’arracher des entrailles de sa mère.
Le 10 au matin, sa tante n’ayant plus de doute sur sa mort prochaine, elle demande à ce qu’on lui administre les derniers sacrements. Mais ses mâchoires sont tellement serrées et crispées qu’ils ne peuvent lui faire avaler le viatique. Ses Pâques faisant office de sacrements, on lui pose un miroir devant ses lèvres : aucune buée ne se forme. Gabrielle est morte d’une crise d’éclampsie à seulement 26 ans.
Sa tante soupçonne le poison, sa nièce étant morte trop près de monter sur le trône. Son autopsie est pratiquée quelques jours après sa mort. Si certains organes sont très atteints, aucune trace de poison n’est détectée. On en conclut à une mort naturelle (autre hypothèse : l’empoisonnement à l’albumine dont le fort taux aurait déclenché la crise d’éclampsie). Durant une semaine, une poupée à son effigie trônera sur son lit, son cercueil renfermant le cadavre étant placé en dessous, et la « Cour » viendra lui présenter offrandes et hommages.
Les obsèques ont lieu le 20 avril 1599 à l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, Henri IV n’est pas présent mais il porte le deuil et l’impose à sa « Cour ». Le lendemain, son cercueil quitte Paris pour sa dernière demeure : l’abbaye de Mautbuisson que dirige Angélique d’Estrées, sa sœur. Le Roi promet de faire ériger une chapelle à Montceaux, domaine de Gabrielle, mais le projet n’aboutira jamais, Henriette d’Entragues étant entrée dans sa vie. Aujourd’hui il ne reste plus rien de la tombe de Gabrielle.