Le boulanger, la boulangère et le petit mitron
Les journées des 5 et 6 octobre 1789 marquent le retour de la monarchie à Paris, puisqu'avant l’installation définitive de la Cour à Versailles en 1682, le pouvoir était dans la capitale. Redécouvrons ce qui a abouti à cet événement historique.
Le renvoi de Necker le 12 juillet a engendré la prise de la Bastille et des Invalides le 14. La tension est maximale. La nuit du 4 août voit les privilèges abolis. C'est la Grande Peur dans les campagnes. Ces événements ont motivé le Roi et ses ministres à augmenter la sécurité à Versailles. On a donc fait venir des Flandres un régiment, qui loge à la Grande Ecurie. La tradition veut que chaque nouveau régiment soit accueilli par un banquet. C'est chose faite le 1er octobre. Louis XVI a accepté de prêter l’opéra pour l’occasion et une table en forme de fer à cheval est dressée sur la scène. Lorsque la famille royale apparaît, la fête dégénère quelque peu, soulevant un enthousiasme immodéré de la part des régiments. La cocarde tricolore, adoptée depuis la prise de la Bastille, est alors foulée au pied, ou retournée pour montrer sa face blanche. Toutefois, cette thèse de la cocarde foulée au pied vient de « on dit ». Rien n’est donc certain, pour beaucoup, aucun outrage particulier n’a été fait sur la cocarde, il ne s’agirait que d’une rumeur surfant sur la mauvaise réputation de la famille royale. Néanmoins, il reste évident qu’il s’est forcément passé quelque chose ce jour-là, sinon aucun bruit n’aurait circulé.
Ces bruits ont été augmentés par le fait que Louis XVI refuse de signer deux décrets : l’abolition des privilèges le 4 août, et donc, par extension, l’égalité devant l’impôt (on y pensait déjà sous Louis XV, mais comme expliqué plus haut, le Parlement s’y opposait farouchement) ; la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août.
Tous ces éléments réunis poussent donc les Parisiens à marcher sur Versailles. Mais au fond, il s’agit surtout d’une crise sociale. En 1788, les récoltes ont été mauvaises, notamment au nord. Il y a peu de farine, Paris est mal approvisionnée, le pain se fait rare et cher, on voit souvent des queues interminables aux boulangeries, et lorsque les femmes parviennent aux boutiques, tout a déjà été vendu. On a peur de la soudure, c’est-à-dire que les stocks de l’année passée soient écoulés et que l’on ne soit pas en mesure d’attendre la prochaine récolte.
Au matin du 5 octobre, une femme trouve porte close à la boulangerie. Elle se met à ameuter du monde et tous marchent vers l’Hôtel de Ville, alors l’autorité compétente à Paris. La foule investit le bâtiment. Maillard, un héros de la Bastille et huissier de son état, va inciter les femmes à quitter l’Hôtel de Ville pour aller à Versailles où sont les députés de l’Assemblée Nationale en charge du bonheur et du bien-être des Français. On estime entre quatre et cinq-milles le nombre de personnes marchant sur Versailles. Beaucoup de femmes, quelques hommes, et quatre pièces de canons. Le convoi quitte la place Louis XV à Paris, passe par Sèvres et marche sur Versailles, remontant ainsi les quatorze kilomètres qui séparent le cœur de la capitale et la demeure royale, le tout sous une pluie fine et persistante. L’idée première était d’aller à l’Assemblée Nationale. Le convoi arrive à dix-sept heures en haut de l’avenue de Paris à Versailles
Au château, on savait depuis le début de l’après-midi que le cortège était en route. Selon la légende, Marie-Antoinette aurait été dans la grotte du Hameau, à Trianon. Mais c’est peu probable, vu les lieux (un renfoncement étroit), et vu la météo déplorable. Une autre version la dit au Petit Trianon, selon sa fille, Madame Royale, et sa femme de chambre, Madame Campan. Or, ce jour-là, Madame Campan n’était pas de service et n’était donc pas présente. Son témoignage en est affaibli. Dans tous les cas, la Reine était à Versailles. Louis XVI chassait du côté de Meudon, elle l’envoie donc chercher et donne l’ordre de fermer les grilles et d’appeler la garde (garde royale, garde nationale de La Fayette et les Suisses, dont les Cent-Suisses). Louis XVI réunit un Conseil du Roi. Le Comte de Saint-Priest parle le premier d’une fuite de la famille royale pour se réfugier à Rambouillet, mais le Roi refuse. Ensuite, on conseille seulement à la Reine d’y aller, mais elle refuse à son tour : sa place est avec son mari.
Pour plus de clarté, voici un schéma de la disposition de Versailles à ce moment-là, et plus précisément l’emplacement des grilles et des passages.
Outre le passage classique par la grille royale (alors en remplacement), se trouvent deux autres accès :
l'ancien passage des Princes qui se trouve devant le petit théâtre de 1682, bâti par Mansart avant la construction de l’Opéra ;
celui de la chapelle, qui relie l’entrée du château aux jardins en passant entre l’aile Gabriel et la chapelle.
Des grilles se trouvent sur chacun d'eux. Elles sont toutes fermées et les différentes gardes sont postées sur la Place d’Armes. Depuis juin, les gardes françaises (gardes de Versailles, au service du Roi) désertent et sont devenues des gardes nationaux, mais ils ont conservé leurs habitudes et savent comment ouvrir les différentes grilles. Ça aura son importance.
Maillard, le héros de la Bastille, arrive avec quinze femmes, triées sur le volet, pour parlementer avec Mounier, alors président de l’Assemblée Nationale. Elles entrent dans la salle et Mounier propose que quelques-unes seulement soient présentées au Roi pour lui faire part de leurs revendications. Les autres femmes s’installent à l’Assemblée Nationale pour la nuit. Louis XVI reçoit donc quelques femmes dans sa chambre. L’une d’elle s’évanouit, à cause de la fatigue et de l’émotion. Louis XVI leur promet que le pain arrivera à Paris et leur donne même de l’argent. Elles ressortent satisfaites mais sont mal accueillies par les assaillants, qui les accusent d’avoir été achetées par le Roi. Elles y retournent et obtiennent de Louis XVI un ordre écrit confirmant ses dires. La farine est alors acheminée jusqu’à Paris en provenance de Senlis et de Lagny-sur-Marne. En outre, trois demandes sont adressées à Louis XVI : ratifier les décrets des 4 et 26 août, remplacer les Suisses par la Garde Nationale et le retour du Roi et de la famille royale à Paris.
Louis XVI part se coucher, ainsi que la Reine, qui s’endort à deux heures du matin. La journée du 5 s’achève ainsi, mais celle du 6 promet d’être riche en évènement et en émotions. La Fayette arrive de Paris avec 15 à 20.000 gardes nationaux. En voyant ces importants mouvements de troupe, on commence à avoir peur et à redouter un coup d’État. La Fayette annonce officiellement qu’il vient protéger l’Assemblée Nationale. Les Suisses sont remplacés par la garde nationale (donc les anciennes gardes françaises). Ces gardes, qui connaissent le fonctionnement des grilles, on l’a vu, vont les ouvrir vers 5h du matin le 6 octobre.
Une partie de la foule entre et investit la Cour de Marbre. Lhéritier, un garçon ébéniste, commence à escalader l’une des colonnes du balcon de la chambre de parade du Roi. La salle des gardes du Roi se trouve juste à côté, l’un d’eux le voit grimper, tire (en l’air ou sur lui, la question reste en suspens), le jeune homme tombe et se tue en se fracassant le crâne. Les gens voient d’où viennent le coup, ils entrent alors en passant par l’escalier de la Reine. Ces assaillants n’ont jamais vu Versailles. Ils ne connaissent donc rien aux lieux, ils s’y perdent et s’y hasardent.
Une fois l’escalier monté, ils trouvent toutes portes closes : la salle des gardes du corps de la Reine, la grande salle des gardes et la porte palière de la loggia menant aux appartements du Roi. Ils entrent dans la grande salle, là encore les portes sont fermées, puis ils retournent à la salle des gardes du corps.
L’un des gardes se présente, demande le calme, veut les empêcher de passer. Il est attrapé par le col, secoué, traîné puis décapité. C’est la première victime de la journée, il est 6h15. Un autre garde du corps, Miomandre de Sainte-Marie, intervient à son tour. Il donne l’alerte : « sauvez la Reine, on en veut à sa vie ! », puis est à son tour massacré et décapité. Madame Augier, l’une des femmes de chambre de Marie-Antoinette, va alors fermer toutes les portes et emmène la Reine par le passage qui relie sa chambre à celle du Roi, en fermant tout derrière elle.
Loggia en haut de l’escalier de la Reine. Vers la droite, l'ancien appartement de Mme de Maintenon permet de rallier l'appartement du Roi.
Salle des gardes de la Reine. Elle se trouve derrière "nous" lorsque l'on regarde la photo au-dessus.
Les émeutiers s’attaquent à ceux qu’ils croisent. La garde nationale intervient, mais trop tard. Il n’empêche que les émeutiers n’ont pas réussi à passer les portes des salles des gardes de la Reine. La Fayette, qui dormait à l’hôtel de Noailles appartenant à sa famille, arrive « après la bataille » et est alors surnommé le « Général Morphée ». Comme les émeutiers n’ont pas pu entrer chez la Reine, ils repartent vers la salle des gardes du Roi. En entrant, ils jettent le mobilier par les fenêtres, puis ressortent et sont alors fouillés pour récupérer tout ce qu’ils ont pu voler.
Le Roi et la Reine dorment chacun sans sa chambre privée, toutes deux situées dans leurs petits appartements. Lorsque l’alarme est donnée, ils rejoignent tous les deux leurs chambres d’apparat respectives. Elles sont reliées par un passage qui démarre de la porte à gauche du lit de la Reine, passe par son cabinet de toilette (où sont ses produits de beauté et son nécessaire de coiffure), la chambre de sa femme de chambre, l’antichambre de l’Œil de bœuf et enfin la chambre du Roi.
Pour plus d’intimité, Louis XVI a fait faire un passage secret, qui passe juste en dessous de celui-ci, pour qu’il rejoigne la chambre de son épouse en toute discrétion. Quand le garde du corps donne l’alerte et que Madame Augier emmène la Reine, elle ferme toutes les portes. Elles passent donc par le passage classique, mais se heurtent à la porte de l’œil de bœuf, fermée du côté des appartements du Roi, les gardes du corps de Louis XVI ayant adopté la même stratégie que Madame Augier. La Reine et sa femme de chambre frappent donc à la porte pendant de longues minutes, avant qu'un valet de la garde-robe vienne enfin leur ouvrir.
De son côté, Louis XVI quitte sa chambre d’apparat, passe par le passage « discret », trouve la chambre de la Reine totalement vide. Alors, il redescend par là où il vient, se dirige vers la chambre du Dauphin, située au rez-de-chaussée, et retrouve son fils et sa fille avec leur gouvernante, Madame de Tourzel. Il achève de remonter le passage jusqu’à sa chambre, où la Reine a fini par arriver.
Dans la chambre du Roi arrivent alors Madame Élisabeth, la sœur de Louis XVI, ainsi que le Comte et la Comtesse de Provence. Étant logés dans l’aile du Midi, ils n’ont rien entendu et découvrent à peine ce qui se passe. Arrivent à leur tour Mesdames Adélaïde et Victoire, qui vivent au rez-de-chaussée et sont terrorisées.
La famille royale est donc rassemblée dans la chambre de parade du Roi, face à la Cour de Marbre et à l’avenue de Paris. Insouciance de l’enfance, le Dauphin, âgé de 4 ans, se tient debout sur un petit tabouret et regarde par la fenêtre, lorsqu’il interpelle Marie-Antoinette : « Maman, j’ai faim ! ». Peu à peu, les émeutiers réclament le Roi au balcon, le veulent à Paris. Louis XVI apparaît sur le balcon avec La Fayette et le capitaine des gardes du corps. La Fayette annonce que le Roi revient dans la capitale, on l’acclame. Ensuite, on réclame la Reine. Elle se sait haïe et est tout à fait consciente qu’elle peut parfaitement mourir si elle se présente au balcon à son tour, victime d’une balle. Elle tient son fils dans ses bras et sa fille par la main. La foule crie « pas d’enfant ! ». Marie-Antoinette renvoie ses enfants dans la chambre et se dresse face aux émeutiers. D’un coup, un homme se met à crier « Vive la Reine ! Le Roi à Paris ! ». Marie-Antoinette a réussi à amadouer la foule. Il est onze heures du matin.
Le convoi quitte Versailles à quatorze heures. Environ cent charriots se succèdent, contenant le mobilier de la famille royale. En effet, les Tuileries sont vides et inaptes à accueillir le Roi et sa famille. Seule Marie-Antoinette dispose d’un petit appartement lorsqu’elle se rendait à Paris.
Louis XVI passera une dernière fois à Versailles en 1790, dans le quartier de Clagny, alors qu’il chasse. Mais il n’y restera que quelques minutes.