Du petit relai au plus grand palais d’Europe
Louis XIV voit Versailles pour la première fois en 1641, à l’âge de trois ans. Louis XIII, voulant protéger ses fils de la petite vérole, les avait fait venir dans son relai de chasse. Il y retourne en 1651, puis ainsi régulièrement pour des séances de chasse ou des dîners. Contrairement à son père, Louis XIV y convie son épouse, Marie-Thérèse d’Autriche. La Reine-mère, Anne d’Autriche, occupe enfin l’appartement qui lui est dédié mais dans lequel elle n’a jamais séjourné.
Le regain d’intérêt du jeune Roi pour Versailles date de l’année 1661, qui est aussi celle de la mort de Mazarin (et donc le début du règne personnel du monarque), l’année de la naissance du Dauphin et l’année de ses amours avec Mlle de La Vallière. Ce petit château abrite leur relation comme aucun autre château royal ne le pourrait et, sans la douce Louise, il est fort probable que le château de Versailles n’aurait pas eu la même importance. Les femmes ont, à leur manière, façonné ce château, qui reste toutefois celui de Louis XIV. Versailles connaîtra deux autres « périodes » : celle de Mme de Montespan, du début des années 1670 jusqu’à 1684, puis celle de Mme de Maintenon, de 1684 à la mort du Roi. Versailles évoluera durant les périodes de paix, entre deux conflits, une partie des gains de guerre passant dans sa construction. Les politiques guerrières et artistiques du souverain s’entremêlent. Toutefois, ce qui plaît le plus au Roi, ce sont les jardins, dans lesquels il projette plaisirs et fêtes. Ils ne sont pas créés juste pour l’amusement et le faste. Il y a aussi un message politique : le Roi expose sa personne et s’impose à la vue de sa noblesse, dont il se méfie. Cela montre aussi la puissance et le faste du jeune monarque, la façon dont il a dominé la nature et les sciences.
Le 17 août 1661, Nicolas Fouquet organise une fête magnifique dans son château de Vaux-le-Vicomte. C’est la plus somptueuse fête donnée par un particulier à son souverain. Il y invite le Roi et sa Cour, mais Louis XIV, loin d’être impressionné et conquis, prend ombrage de la magnificence des lieux. Il décide que lui aussi aura son château à sa mesure. Il aime Versailles et opte pour ce lieu, qu’il va modeler à son image. Le jeune souverain va alors « recruter » les artistes ayant créé Vaux-le-Vicomte et les prendre à son service. C’est à la fois un choix logique et étrange. Logique car il s’agit du château de son enfance, bâti par son père, à mi-chemin entre Paris et Saint-Germain. Etrange car c’est un lieu compliqué, en haut d’une colline, le terrain est marécageux et il n’y a pas d’eau en abondance. Ce choix va avoir trois conséquences : il faut drainer l’endroit, ce qui est à l’origine du Grand Canal ; aménager toutes les pentes, ce qui engendre d’importants travaux de terrassement ; et niveler le terrain en apportant de la terre pour adoucir les pentes et permettre de réaliser d’amples constructions.
Les premiers travaux que Louis XIV entreprend à Versailles datent de 1661 et sont assez mal connus jusqu’à 1664, quand Colbert prend la tête de la Surintendance des Bâtiments. En outre, ils sont rapidement « enfouis » sous les nouveaux changements voulus par le Roi. On peut donc, les concernant, émettre seulement des hypothèses ou se baser sur les fouilles archéologiques et travaux d’assainissement, mais aussi sur les gravures et les plans. Grâce à eux, le Versailles des débuts refait surface. Par exemple, sous ce qui sont aujourd’hui les appartements du Dauphin et de la Dauphine, se trouvent les restes d’une maçonnerie grossière en pierre qui s’étend jusqu’à la Galerie basse. C’est la preuve qu’autrefois se trouvait ici un passage couvert permettant, depuis Paris, un accès en voiture jusqu’aux appartements et qui continue jusqu’aux jardins.
A la fin des années 1660, le château n’est encore qu’une modeste bâtisse traditionnelle à la française, basée sur un plan encore féodal. Pour moderniser l’ensemble, on ajoute une avant-cour en ellipse, dans un style baroque italien. Le jeune monarque fait reconstruire les ailes reliées au corps central et à l’avant-cour et achète des terrains afin d’agrandir le domaine. En une dizaine d’années, Louis XIV va façonner Versailles, de sorte que cette gentilhommière à la française va devenir l’un des plus grands et brillants palais d’Europe.
Louis XIV, qui semble ferme et décidé, hésite en réalité sur ce qu’il veut faire à Versailles. La première idée du Roi est d’avoir un château relativement simple. Entre 1661 et 1663, Versailles a déjà englouti 1.500.000 livres. Louis XIV investit encore pour agrandir le domaine, notamment en y ajoutant les paroisses de Saint-Pierre-de-Choisy et de Notre-Dame-de-Trianon. Les travaux restent toutefois « simples » dans le sens où l’on améliore plus le relai de Louis XIII, le rendant plus luxueux, qu’on ne le bâtit vraiment. Aussi, le souverain opte pour conserver l’ancien château de Louis XIII et y accoler une enveloppe en pierre de taille tout autour. La façade en pierre, de style baroque italien, est littéralement collée à celle du château ancien.
Vue du château de Versailles, du côté des jardins, avant 1678, Anonyme
La démarcation est d’ailleurs toujours visible dans le Vestibule menant à la Galerie basse. Ce que l’on appelle « enveloppe Le Vau » devient le « château-neuf ». Le bâtiment de Louis XIII et son enveloppe ont la même hauteur. On ne voit donc jamais les deux façades en même temps, ce qui permet la cohabitation harmonieuse des deux bâtiments, pourtant très différents. A l’extérieur, le château est alors entouré de fossés, on arrive dans la cour (future Cour de Marbre) par un pont-levis et on accède aux jardins de la même façon.
Vers 1662-1663 sont bâtis les communs (une aile nord et une aile sud), pour remplacer ceux, trop modestes, de Louis XIII. En effet, Louis XIV voit les choses en grand et, quand il convie sa femme et sa mère, il ne fait pas les choses à moitié. L’aile Nord, située du côté de l’étang de Clagny, abrite vraisemblablement la pompe à cheval et les réservoirs. Elle comprend aussi les cuisines de 1662, avec leur basse-cour devant la Grotte de Thétis. L’aile sud comprend les écuries de 1662 avec, elles aussi, leur basse-cour. Cette aile subsiste en partie aujourd’hui, c’est la Vieille-Aile en arrière du Pavillon Dufour. Durant cette période naissent aussi la Ménagerie et la Laiterie, que le Roi va découvrir en 1664. Son attention se pose rapidement sur ces deux bâtiments. En 1664 ont lieu de nouveaux travaux d’embellissement du château, l’achat de nouvelles terres pour augmenter le domaine, la transformation des parterres sud et nord, l’installation de sculptures et le pavage des cours. C’est aussi l’année des Plaisirs de l’Île Enchantée, fête donnée en l’honneur de Louise de La Vallière et qui s’étale sur plusieurs jours. Les jardins, que Louis XIV adore, sont développés plus vite que le château et accueillent cette somptueuse fête. La majorité des spectacles se déroule entre le futur parterre de Latone et le Rondeau (futur Bassin d’Apollon). Louis XIV utilise ses jardins pour la mise en scène des pièces de Molière, il organise des joutes auxquelles il participe et utilise, si l’on peut dire, le « son et lumière » pour ses différents spectacles.
Louis XIV passe de plus en plus de temps dans son château, pour des séjours de plus en plus longs et dépense sans compter pour le réaménager et le meubler. Colbert, le Surintendant des Finances, commence à adresser ses remontrances au Roi face aux dépenses faramineuses faites pour ce simple château, quand le Louvre, résidence royale officielle avec Saint-Germain et Fontainebleau, aurait tant besoin d’être rénové. Le souverain veut loger les courtisans sur place, avec toute la domesticité nécessaire, ce qui va le pousser à réaliser toujours plus d’agrandissements. En 1669, le premier projet simpliste pensé pour Versailles est modifié. Les travaux entrepris s’arrêtent et le passage retrouvé sous les appartements du Dauphin ne sera jamais achevé. Louis XIV souhaite la création de deux ailes latérales rattachées au corps central, une au nord et une au sud. On parle même de détruire le château de Louis XIII, ce qui ne plaît pas spécialement au souverain, qui veut conserver une trace de son père. Mais le coût de l’opération effraye Colbert ; il raisonne le Roi et le ramène à une ambition plus réaliste. Le corps central est sauvé et va imposer sa mesure au reste de l’édifice. Pour preuve, les fenêtres de la terrasse à l’italienne sont espacées et placées dans l’exact alignement de celles du corps central, soit un écart de trois mètres trente-trois. C’est une taille normale pour une modeste bâtisse, mais c’est assez petit pour un château royal. Il a fallu tout le talent des architectes pour que cette « faille » soit invisible et passe totalement inaperçue. Les ailes latérales restent en place, mais leur importance diminue. C’est aussi la naissance des cours intérieures et des escaliers du Roi et de la Reine. Le Vau décède en 1670. Les travaux ralentissent peu à peu, puis sont confiés à Hardouin-Mansart, qui avait déjà réalisé, avec succès, le château de Clagny pour Mme de Montespan.
En 1677, Louis XIV prend définitivement la décision d’installer sa Cour à Versailles. Le château devient l’une des résidences officielles du Roi, perdant son ancien statut de résidence de plaisance. Il faut loger les ministres et leurs familles, les courtisans, la domesticité. Le souverain édite alors des décrets afin de faciliter les constructions d’hôtels particuliers et de logements populaires dans la ville de Versailles. La dimension politique et de communication du palais prend tout son sens.
Dès 1678, de gros travaux sont entrepris pour agrandir Versailles, qui va être en chantier quasi-ininterrompu jusqu’à 1715.
La construction de Versailles vers 1680, par Adam Frans Van der Meulen
Cette vague de travaux comprend la construction de la Grande Galerie, le raccordement des pavillons isolés de l’avant-cour qui va aboutir à la création des ailes des ministres, le doublement du parterre du Midi pour être équivalent à celui du Nord, la nouvelle Orangerie avec ses deux escaliers, le nouveau Potager et la pièce d’eau des Suisses.
La Cour s’installe définitivement à Versailles le 6 mai 1682. Le château est toujours un chantier, les courtisans côtoient les maçons. En 1684, on voit encore des échafaudages dans la Grande Galerie. En 1710, ce sera pareil dans la Chapelle, fraîchement consacrée. C’est au point que, à peine installée, la Dauphine doit quitter son appartement pour celui de Mme Colbert, alors qu’elle va accoucher dans quelques mois. En effet, les pièces devant l’accueillir ne sont pas finies et les travaux font un bruit infernal.
Le coût de logement des ouvriers en 1684 est le 34.000 livres, auxquelles s’ajoutent 5.000 livres pour les bois de lit et les paillasses. Comme il manque de main d’œuvre, Louis XIV emploie une partie de ses troupes. Ainsi, il fait appel à « son infanterie, à ses Suisses, au régiment Dauphin* », qui travaillent « aux terrassements, aux réservoirs, aux bassins, à la nouvelle Orangerie, qui exige une modification colossale du terrain** ».
Sur les 4000 personnes vivant à Versailles, environ 1500 occupent l'Aile du Midi, qui a beaucoup évolué en termes d'organisation : changement de pièce, ajout d’entresol ou d’une cloison, etc. Les plans à retombes dont disposent aujourd'hui les conservateurs sont une source exceptionnelle pour comprendre l'évolution de la vie de la Cour aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'Aile du Midi comporte 4 étages. Son entrée se situe au milieu du bâtiment, côté rue. Ceux qui y logent sont soit membre de la famille royale au sens large, soit ils ont une charge à la Cour. Dans la partie la plus au nord du rez-de-jardin, collée au corps central, se trouve le Prince de Condé. Au sud, sur la terrasse surplombant l’Orangerie, est le Prince de Conti. Au premier étage sont répartis de la même façon le Dauphin et la Dauphine. Ils ont une antichambre commune au centre de l’aile. Rapidement, ils se déplacent au rez-de-chaussée du corps central et leurs appartements sont attribués respectivement à Monsieur et Madame. Au dernier étage, dans l’attique, sont les courtisans. Les plus en vue sont côté jardin, quand on trouve côté rue ceux pour qui le vent tourne. Par la suite, l’aile du Midi devient trop petite pour accueillir tout le monde et on construit l’aile Nord.
C’est le même système d’attribution qui régit ce bâtiment, avec le côté rue et le côté jardin. Bien entendu, le Roi ne gère pas lui-même l’attribution des appartements. C’est son Premier valet de chambre, Bontemps, qui s’occupe de distribuer les logements, d’effectuer les changements nécessaires et de présenter le tout à Louis XIV, qui donne son accord final. Prenons l’exemple du Duc et la Duchesse de Chevreuse, qui sont logés côté jardin sur le parterre Nord. Un appartement très bien situé. Un inventaire permet de savoir comment se composait cet appartement. Les pièces étaient simples, sobres, tout comme le mobilier. En effet, il s’agit là d’un appartement de fonction, les Chevreuse avaient, tout près du château, un hôtel particulier. La chambre du Duc est très simple, celle de la Duchesse plus ornée et plus remplie, on en déduit que c’est chez elle que les visiteurs étaient reçus. En outre, elle possédait une chaise à porteur. En tant que Duchesse, elle avait le droit d’en avoir une et de circuler ainsi dans le château.
Versailles devient donc le siège du pouvoir. Pour cela, il faut des matériaux à la hauteur du souverain. Le marbre est le principal matériau du château, il est à la mesure de Louis XIV : c’est celui des Dieux, des empereurs, des rois. Il y en a partout : murs, sols, colonnes, lambris, cheminées. C’est une matière très onéreuse : en 1672-1673, 70.000 livres sont dépensées en marbre et en glaces pour les appartements du Roi et de la Reine. C’est aussi une matière difficile à travailler. Si le plus beau marbre est italien ou belge, on s’y approvisionnera. Mais Louis XIV tente, le plus possible, d’utiliser des matériaux français. C’est ainsi que l’on va piocher dans les carrières de Campan, dans le sud-ouest de la France, pour s’alimenter en marbre que l’on retrouvera un peu partout dans le château. Ce marbre quitte Campan, remonte la Garonne puis embarque à bord d’un bateau qui le ramène à Rouen. De là, il est remonté le long de la Seine jusqu’à Paris, où il est taillé avant d’être envoyé à Versailles. Il existe quatre sortes de marbres utilisées dans le château : le marbre de Campan « grand mélange » (rouge profond, des veines blanches et des veinules vertes), mais aussi le vert ; le marbre de Sarrancolin, mélange de grandes lignes blanches et rouges ou roses, qui présente presque des figures abstraites ; le marbre rouge de Rance qui vient de Belgique et se retrouve un peu partout dans le château sous forme de colonnes et pilastres ; et le marbre blanc veiné de Carrare, qui est celui utilisé dans les fonds des décors du Grand Appartement.
* Le château de Versailles, Pierre Verlet, Fayard, 1960, réédition de 1998
** Le château de Versailles, Pierre Verlet, Fayard, 1960, réédition de 1998