A une marche du trône
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Ce sont des personnalités très peu connues de l’histoire du XVIIe et du XVIIIe siècles, il s'agit des Dauphins de France. Fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Louis XIV, fils de Louis XV et fils de Louis XVI, ils ont tous été éclipsés par les destins fastueux ou tragiques de leurs prédécesseurs. Pourtant, plusieurs d’entre eux auraient sans doute été de bons monarques. Peut-être même que s’ils avaient vécu, la Révolution n’aurait pas eu lieu. Les fils se Louis XVI, morts très jeunes, ne seront pas évoqués. Louis-Charles aura sa page dans ce site plus tard.
Le premier Dauphin évoqué est Monseigneur, fils de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche. Il naît le 1er novembre 1661 à Fontainebleau. Pour le Roi, c’est un triomphe sur ses parents. Quand Louis XIII et Anne d’Autriche ont mis 22 ans à concevoir un héritier, lui a un fils un an après son mariage. Sur le tableau ci-contre, la symbolique est forte : Anne d’Autriche représente Sainte Anne, Marie-Thérèse évoque la Vierge et le Grand Dauphin symbolise l’enfant Jésus.
Le Grand Dauphin a pour gouvernante la Duchesse de Montausier, Julie d’Angennes, fille de la fameuse Marquise de Rambouillet, la reine des Précieuses avec sa fameuse chambre bleue. Ce poste a été attribué à Mme de Montausier sur l’avis de la Reine et contre celui d’Anne d’Autriche, qui elle voulait nommer Mme de La Motte, elle-même petite-fille de la gouvernante de Louis XIV, ce qui aurait été une suite logique. Finalement, Mme de La Motte entre au service de la Reine. Mme de Montausier reste gouvernante du Dauphin pendant 2 ans. Lorsque l’enfant a 7 ans, il passe aux hommes. Son précepteur n’est autre que le mari de sa gouvernante : le Duc de Montausier. C’est un très bon choix, l’homme est très cultivé et bon militaire. Très vite, le Dauphin devient l’âme des fêtes organisées par son père. Il participe aux fêtes costumées et adore se déguiser, allant parfois jusqu’à avoir plusieurs costumes en une seule soirée, afin qu’on ne le reconnaisse pas.
Ce tableau à gauche représente un carrousel organisé par Louis XIV en 1662 devant les Tuileries, la dernière fête parisienne du Roi. En effet, les deux suivantes, organisées pour Mlle de La Vallière puis Mme de Montespan, respectivement en 1664 et 1668, sont organisées à Versailles. Les carrousels remplaçaient les anciens tournois, interdits depuis le décès d’Henri II lors de la joute des Tournelles. Ce tableau montre le lien festif entre Louis XIV et le Grand Dauphin, qui justement va reprendre le flambeau de son père. Lui-même va organiser deux carrousels ; l’un en 1685 et intitulé « Carrousel des galants maures », l’autre en 1686 dédié aux femmes et intitulé « Carrousel des amazones ».
L’apprentissage du Prince est surtout composé de cours d’histoire. Le modèle historique qu’on lui présente est celui d’Alexandre le Grand, contrairement aux générations suivantes à qui on présente plutôt comme modèles des personnalités de l’histoire de France comme Saint-Louis. Le Duc de Montausier n’hésite pas à user du fouet sur son élève. Louis XIV et Marie-Thérèse approuvent par ailleurs cet usage, qui s’arrêtera avec la génération du Duc de Bourgogne (changement voulu par le Grand Dauphin, qui refusait que son fils subisse ce qu’il avait subi). Madame Palatine par ailleurs critiquait vivement le fait que le Grand Dauphin soit battu, pourtant elle-même rossait son fils le Duc de Chartres. L'usage du fouet était fréquent à cette époque, surtout sur les jeunes enfants.
On peut donc dire que, contrairement à ce qu’a écrit Saint-Simon (pas du tout objectif) le Grand Dauphin est quelqu’un de cultivé, un érudit. En outre, il est un excellent cavalier, comme son père, et aussi un grand chasseur. On dit même qu’il pratique tellement la chasse qu’il a failli décimer les loups. A l’inverse, son fils Bourgogne « tient à cheval » mais n’est pas un cavalier extraordinaire.
Sur le plan politique, Louis XIV rédige ses mémoires pour en faire une sorte de ligne de conduite politique à tenir lorsque son fils régnera. Il parfait aussi son éducation en le faisant entrer au Conseil en 1672, le Grand Dauphin a alors 21 ans. Il n’a rien le droit de dire. En 1678, il a 27 ans et a le droit d’opiner de la tête, mais n’est pas écouté. Enfin, en 1681, à 30 ans, il entre au Conseil d’en haut. Là, il a enfin le droit de parole et se fait entendre. Notamment lorsque Charles II d’Espagne (demi-frère de Marie-Thérèse) meurt sans descendance et lègue son trône à son petit-cousin, le Duc d’Anjou. Louis XIV ne voulait pas que le trône espagnol revienne à un Bourbon. Au mieux, il réclamait quelques morceaux (notamment en Italie, vieux rêve français depuis Charles VIII) qui revenaient de droit au Grand Dauphin par héritage maternel. Il préférait qu’un autre Habsbourg reprenne le trône laissé vacant par Charles II. Mais la guerre était inévitable, qu’il refuse ou non le trône. Au Conseil, un premier se dit favorable à la guerre. Le second est contre. Le troisième mitigé. Enfin arrive le tour de parole du Grand Dauphin, qui réclame l’héritage de sa mère. Il veut absolument le trône espagnol pour le Duc d’Anjou, également son fils préféré. Son ton est plein de respect pour son père, mais il est ferme. Personne n’est surpris de l’attitude du Grand Dauphin, sauf Saint-Simon qui en dépeint un portrait peu flatteur. Le Prince n’était absolument pas le gros bonhomme amorphe et stupide, terrorisé par son père, que Saint-Simon a essayé de faire croire. Toujours est-il que Louis XIV écoute son fil et lui fait confiance.
Le Grand Dauphin épouse Marie-Anne-Christine de Bavière. La Dauphine est quelqu’un de très intelligent, qui a sans doute eu une vie beaucoup plus intéressante quand elle était en Bavière qu’après son arrivée à la Cour. C’était une femme politique qui avait son mot à dire dans sa Bavière natale, mais qui une fois en France doit être docile, silencieuse, ne pas donner son avis, tenir une cour et surtout donner des héritiers. Dans cette Cour où elle s’ennuie et ne se sent pas à sa place, elle déçoit à la fois son beau-père et son mari, mais surtout elle devient dépressive et est usée par les grossesses. Elle meurt en 1690.
Après la mort de Marie-Thérèse d'Autriche en 1683, sa belle-fille la Dauphine s'installe dans ses appartements. Monseigneur, qui vivait au premier étage de l'aile Sud, doit déménager pour se rapprocher de son épouse. Il prend place au rez-de-chaussée, sous le logement de sa femme, là où se trouve toujours l'appartement du Dauphin. Monseigneur fait faire des travaux avec des décorations splendides, on reprend des éléments de son ancien appartement pour les installer dans le nouveau. Il est l’un des premiers à faire appel à Boulle. Pour la décoration, il a le même goût élégant que Louis XIV. Il raffole également des « chinoiseries », qu’il collectionne. Son père lui fait d’ailleurs cadeaux de présents envoyés par le Roi de Siam. Contrairement à Louis XIV, il achète lui-même et est fin connaisseur. Une sorte d’antiquaire avant l’heure. Petit à petit, il grappille des pièces du rez-de-chaussée pour agrandir son appartement. En 1695, la Marquise de Thianges, sœur de Mme de Montespan, décède. Il récupère donc la chambre qu’elle occupait et continue son expansion.
Il naît à Versailles, dans l’appartement occupé par Colbert et sa femme dans une des ailes des ministres. En effet, l’appartement qu’occupera la Dauphine est encore en construction. L’accouchement est pénible, il dure 3 jours. Le Grand Dauphin est absent, contrairement au Roi qui est là : Louis XIV écarte purement son fils de l’éducation des enfants, qui sont confiés à Mme de La Motte. Bourgogne est un enfant coléreux au possible mais il finit par se calmer avec l’âge. Ses précepteurs sont Messieurs de Beauvillier et de Chevreuse, tous les deux des gendres de Colbert et des amis de Mme de Maintenon. Beauvillier n’a pas la trempe du Duc de Montausier mais est quand même une personne de qualité. C’est un homme cultivé, respecté pour des valeurs morales, écouté et c’est le premier Grand à entrer au Conseil d’en haut, jusque-là réservé aux ministres de plus modeste extraction. Autour de Bourgogne est aussi M. de Fleuri (à ne pas confondre avec le cardinal, précepteur du futur Louis XV).
Le Duc de Bourgogne a un an de plus que son frère le Duc d’Anjou, ils sont élevés ensemble. Ils vivent dans l’aile nord du château, au premier étage. Leur emploi du temps est réglé comme une horloge : lever à huit heures moins le quart, ensuite messe, leçons puis dîner. L’après-midi, c’est danse ou jeux, ensuite promenade (quel que soit le temps) et études. En hiver, c’est 2h de promenade, 3h d’études, en été c’est l’inverse. Leur éducation est stricte, leur nourriture est simple, saine et diététique, composée surtout de plats cuits plus que de crudités (qui font mal au ventre), avec un verre de vin par repas.
On peut donc dire que les enfants du Grand Dauphin sont très protégés, voire trop. Le premier gros défaut de cette éducation est que les enfants ne sont pas assez montrés en public. Ils assistent à leur première fête après le mariage du Duc de Bourgogne. Par conséquent, ils ne sont pas à l’aise en public et ne savent pas s’y tenir. Ils ne sortent quasiment que pour les soirées de concerts. Il est même arrivé que, lors d’une soirée où était jouée une pièce de Molière, Bourgogne et ses frères, en décalage avec la pièce, aient éclaté d’un énorme rire. En ça, ils sont très différents de leur père qui a eu au contraire une vie publique dès son plus jeune âge et est d’ailleurs adoré des parisiens. Il va souvent à Paris pour des fêtes, les femmes des halles l’adorent et quand il est malade, elles viennent prendre de ses nouvelles. L’autre défaut de l’éducation de Bourgogne et de ses frères est le fait qu’ils n’aient jamais appris à prendre des décisions. Ce sera le principal problème du Duc d’Anjou quand il sera Roi d’Espagne. Bourgogne n’ayant pas régné, le problème s’est moins posé pour lui. Finalement, le Grand Dauphin est très distant avec ses fils car ils sont très différents de lui.
Le mariage du Duc de Bourgogne a lieu en 1690, avec Marie-Adélaïde de Savoie. Le père de la mariée est le Duc de Savoie, un allié de poids dans la future guerre de Succession d’Espagne. Autant dire que Louis XIV prépare le terrain pour cette guerre annoncée et se hâte de faire venir la Princesse en France, afin de la marier au plus tôt. Bourgogne a alors 17 ans, elle en a 12. Il tombe éperdument amoureux d’elle au point qu’en campagne, il lui écrit des lettres avec son sang. La Duchesse aime bien son époux, elle le supporte, s’en amuse. Lorsqu’il s’agira de le défendre, elle se montrera farouche et assidue. Comme elle n’est pas encore nubile, elle vit séparée de son mari. Mais pour la forme et la tradition, le soir des noces elle est mise au lit avec le Duc de Bourgogne, les rideaux sont tirés et la Cour quitte la chambre. Là, le marié doit retourner chez lui, tandis qu’elle reste. Avant de partir, il demande s’il peut embrasser sa femme. Son précepteur, Beauvillier, est d’accord. Mme de Ventadour, chargée de l’éducation de la Duchesse, est contre, mais doit céder. Le lendemain, lorsque Louis XIV apprend l’anecdote, il trouve la chose osée. Le Duc de Berry, dernier frère de Bourgogne, affirme quant à lui qu’on ne lui aurait jamais fait quitter le lit de sa femme. C’est donc deux ans après que le Duc et la Duchesse de Bourgogne sont mis ensemble. La Duchesse loge dans l’appartement de la Dauphine, resté libre depuis la disparition de Marie-Anne de Bavière en 1690. Mais l’appartement du Dauphin est occupé par Monseigneur, le Grand Dauphin, qui n’a absolument aucune envie d’en bouger alors qu’il avait déjà déménagé une fois. Aussi, pour loger le Duc de Bourgogne proche de sa femme, on lui crée un logement là où se trouvent actuellement les appartements privés de Marie-Antoinette, au niveau du Cabinet Doré. Le couple Bourgogne a trois fils. Lorsque le premier meurt à un an, la Duchesse en éprouve beaucoup de tristesse. Le Duc beaucoup moins, son fils était petit, pas encore passé aux hommes et donc pas intéressant à ses yeux.
Un Roi n’a pas besoin d’être cultivé ou brillant, même s’il doit avoir une base. En revanche, un Roi ne peut pas se permettre d’être un mauvais militaire. Il doit briller au front, sinon c’est le déshonneur assuré. Louis XIV envoie le Grand Dauphin au front en 1688, à Phillipsburg, durant la guerre du Palatinat (survenue après la mort du père de Madame Palatine sans héritier mâle). Monseigneur s’avère un excellent militaire, très courageux (limite téméraire) et très populaire auprès de ses troupes. Le Duc de Bourgogne, lui, part au front durant la guerre de Succession d’Espagne en 1702, puis ne repart plus jusqu’en 1709, sous les ordres du Duc de Vendôme, un arrière-petit-fils, par voie bâtarde, d’Henri IV. Vendôme est un excellent militaire, mais surtout un ivrogne, homosexuel affiché et provocateur notoire. Il est tout l’opposé du prude et discret Bourgogne. A la bataille d’Audenarde, Bourgogne est pour une retraite, Vendôme contre, mais le petit-fils de Louis XIV l’emporte, c’est une défaite cinglante. Vendôme est furieux, d’autant plus qu’il est exilé sur ses terres durant deux ans avant de revenir et de remporter de nouvelles victoires. Lorsque la nouvelle arrive à Versailles, Louis XIV, qui est à son Grand Couvert, se lève et s’en va, lui aussi furieux, au point de casser sa canne sur le dos d’un valet qui apportait des biscuits. Pourtant, Louis XIV est courtois et maître de lui, mais il sait que son petit-fils va passer pour un couard et le déshonneur va s’abattre sur lui. La cabale de Meudon se monte alors contre le Duc de Bourgogne, le Roi reste impassible. La Duchesse de Bourgogne défend alors son mari bec et ongles. Elle s’allie à Mme de Maintenon pour qu’elle interfère auprès du Roi avec le soutien du Duc du Maine (frère des Duchesses de Bourbon et de Chartres). Maine est en faveur de la cabale de Meudon mais cède à son ancienne gouvernante, ils font plier Louis XIV qui intervient et fait taire la cabale de Meudon. C’est la dernière fois que Bourgogne met un pied sur un champ de bataille.
Le Grand Dauphin est à Meudon lorsqu’il tombe malade en 1711. Son décès et rapide et, après un léger mieux, il décède en avril. Il est très probable que s’il avait vécu, le Grand Dauphin aurait été un grand Roi. Toute la Cour se tourne alors vers l’avenir de la monarchie : le couple Bourgogne. La Duchesse ne s’entendait pas avec son beau-père et verse des larmes de parade. Louis XIV va alors former son petit-fils. Bourgogne entre au Conseil et montre beaucoup de sérieux et d’application dans son apprentissage. Avec son cercle de conseillers, Fénelon et les Ducs de Beauvillier, de Chevreuse et de Saint-Simon, il prépare ce qui sera son programme politique. Mais il est fort probable que Bourgogne n’ait pas eu une réelle implication dans ce programme, davantage rédigé par ses maîtres à penser que par lui-même. Ce programme est totalement l’opposé de celui de Louis XIV :
Le Conseil ne serait plus composé que de Grands ;
La fin du pouvoir centralisé ;
20 grandes provinces avec des états provinciaux ;
La réunion d’États Généraux tous les 5 ans afin de voter le montant des impôts.
Après la mort du Duc de Bourgogne, quand Louis XIV découvre ce programme, il est horrifié. Pourtant, les idées de base n’étaient pas si mauvaises, puisque c’est la centralisation du pouvoir et la sclérose de la machine administrative qui vont provoquer la Révolution de 1789. Il est surtout probable, si Bourgogne avait régné, qu’il aurait été à l’écoute de sa femme, et qu’elle aurait freiné ses « ardeurs » politiques.
La Duchesse meurt le 12 février 1712. Son corps doit être exposé dans son appartement, situé au-dessus de celui de son mari, malade. Son frère, le Duc de Berry, veut lui épargner d’entendre le bruit des travaux consistant à fabriquer le lit où sera exposé le corps de la Duchesse. Aussi, il lui conseille d’aller à Marly, ce qu’il fait. Mais la rougeole le rattrape, il décède le 18 février. On rapatrie son corps à Versailles et il est exposé à côté de celui de sa femme. Leur fils, le Duc de Bretagne, les suit dans la tombe. Ils sont enterrés à Saint-Denis le 23.
Monseigneur apprend l’italien (langue importante à l’époque) et l’espagnol. Ses fils apprendront les mêmes langues, ce qui fait qu’à sa montée sur le trône sous le nom de Philippe V, le Duc d’Anjou parle parfaitement la langue de sa grand-mère Marie-Thérèse. Plus tard, Louis XV apprendra l’anglais, mais pas l’espagnol, l’Espagne ayant perdu de son importance. Louis XVI quant à lui parlait allemand, sa mère étant allemande, et a appris l’anglais tout seul car Marie-Josèphe de Saxe refusait que ses enfants l’apprennent. Toutefois, l’apprentissage des langues est surtout pour l’amusement, puisque la langue universelle à cette époque, c’est le français. Les Dauphins apprennent également le latin.
Les sciences prennent une place très importante dans l'apprentissage princier, mais contrairement à aujourd’hui, c’était de l’amusement : ils l’apprenaient presque pendant leurs temps de recréation. Le Grand Dauphin est très fort en sciences, tout comme son fils le Duc de Bourgogne qui est un matheux né. C’est de là que vient ce goût pour les sciences que l’on retrouvera dans les générations suivantes, notamment chez Louis XV, Louis XVI, mais aussi chez son frère le Comte d’Artois (Charles X) et même chez sa sœur Mme Élisabeth qui était une fine mathématicienne.
Louis-Ferdinand de France est le fils de Louis XV et Marie Leszczynska. Louis XV devient roi à 5 ans. De la belle et florissante descendance de Louis XIV, il ne reste que lui. Il a pour ainsi dire été sauvé par sa gouvernante, Mme de Ventadour, dite « Maman Ventadour », qui l’a arraché aux mains des médecins, qui ont déjà poussé ses parents et son frère dans la tombe. La dynastie est donc mal assurée et on redoute tout particulièrement la mort de ce précieux enfant, car la couronne passerait aux mains des Orléans. Le jeune roi est fiancé à Marie-Anne-Victoire d’Espagne, sa cousine (elle est la fille de son oncle le Duc d’Anjou devenu Philippe V d’Espagne). Il a 11 ans, elle en a 3. Mais attendre que la Princesse soit nubile est beaucoup trop long : au moins 11 ans. Aussi, elle est renvoyée en Espagne quatre ans plus tard. On cherche alors une Princesse « épousable », en âge de procréer et catholique. Les regards se tournent alors vers Marie Leszczynska, fille du Roi déchu de Pologne Stanislas Leszczinski. Elle est plus âgée que Louis XV mais les fiancés se plaisent ! Après un an de mariage, pourtant, ils n’ont pas encore d’enfant. Des doutes commencent à venir lorsque la Reine met au monde les jumelles Louise-Élisabeth « Madame Première » et Anne-Henriette « Madame Seconde ». Le Roi est ravi : deux bébés d’un coup ! Vient ensuite Marie-Louise « Madame Troisième ». Bien qu’il soit heureux de ses enfants (il en est proche, surtout des aînées, et les aime), Louis XV attend surtout un héritier, qui naît enfin, c’est Louis-Ferdinand, en 1729, suivi par Philippe-Louis l’année d’après.
Ce tableau représente à l'origine le Dauphin, seul. Forte de sa position à la Cour après avoir donné cinq enfants à son mari, la Reine est alors rajoutée dans une version plus grande.
Le Dauphin est installé au premier étage de l’aile Sud, dans ce qui est une sorte de nurserie. Bien qu’il soit entouré, Louis-Ferdinand voit plusieurs de ses sœurs ainsi que son frère mourir jeunes. Quant à ses plus jeunes sœurs, elles sont envoyées à l’Abbaye de Fontevrault pour y être éduquées à moindre coût. Il ne reverra jamais certaines d’entre elles.
Quand il passe aux hommes, il s’installe dans l’appartement jadis habité par le Grand Dauphin. Il est très triste de quitter ses sœurs, qu’il adore. Aussi, parfois, durant ses pauses, il lui est permis de les voir. Ses précepteurs sont des dévots, ils sont respectés, mais ils n’ont cependant pas les qualités des précepteurs de ses aïeuls. Louis XV et son fils s’adorent, et en même temps ils sont totalement opposés politiquement et dans leurs modes de vie. Quand Louis-Ferdinand se marie avec Marie-Thérèse-Raphaëlle de Bourbon-Espagne, il va s’installer dans l’aile Sud, conformément à la tradition, et l’appartement qu’il occupait revient à Mesdames, ses sœurs. Veuf au bout de deux ans, il doit se remarier avec Marie-Josèphe de Saxe. Très amoureux de sa première femme, il a beaucoup de mal à accepter la nouvelle. Mais à force de patience, la nouvelle Dauphine gagne le cœur de son mari et ils formeront l’un des couples les plus unis de la monarchie. Une fois que les travaux de réaménagement des appartements du Dauphin sont terminés, afin d’y accoler ceux de la Dauphine, le couple delphinal s’y installe. Mais à cette époque, ils ne communiquaient pas encore par l’enfilade de salons que l’on connaît aujourd’hui. Ils étaient séparés par un mur et communiquaient par un couloir qui passait derrière, dans la partie privée des appartements.
Louis-Ferdinand est un enfant qui a très bon fond, qui est très intelligent mais très coléreux, comme l’était le Duc de Bourgogne. Il donne des gifles à tours de bras. Sa mère refuse le fouet mais lui donne elle aussi des gifles pour le punir. Son précepteur, l’évêque de Mirepoix, a alors une idée : plus personne ne rend au Dauphin les égards dus à son rang. Il est proprement ignoré par la Cour et sa famille. Il ne le supporte pas et change enfin d’attitude. Il est aussi très instruit : il parle le latin et l’anglais, contrairement à son père. Il est aussi plus rigoureux dans les études et le travail, il l’aurait sans doute été davantage dans son règne que ne l’était Louis XV, s’il avait régné. Il est représenté, adolescent, entouré de livres et d’une mappemonde. L’image du Dauphin sérieux et érudit qui y est véhiculée est en totale opposition avec celle du Duc de Bourgogne dans le tableau représentant le Grand Dauphin et sa famille. En effet, le jeune Prince était mis à l’écart, avec une petite épée, une lance et un chapeau à plumets montrant clairement sa place d’aîné.
Le couple delphinal est très privé. Ils participent à peu de dîners en public, contrairement au temps de Louis XIV. Louis-Ferdinand et Marie-Josèphe de Saxe ont d’ailleurs un cercle privé, principalement composé de la Reine et de Mesdames. Il est fréquent que le Dauphin étudie ou joue de la musique tandis que la Dauphine brode, c’est un couple très bourgeois. Dans leurs appartements, ils reçoivent aussi leurs enfants, afin d’examiner leurs cahiers de notes, et si les notes sont mauvaises, ils les punissent. C’est ainsi qu’une fois le futur Louis XVI est privé d’une chasse qu’il attendait impatiemment, d’autant que c’est un rendez-vous annuel important. Son absence est remarquée, et le motif de cette absence aussi.
Il est aussi fréquent que le couple delphinal organise des interrogations écrites pour ses enfants. Contrairement à Louis XIV qui a pris en charge l’éducation de ses petits-fils, Louis XV laisse son fils gérer ses propres enfants. Pour autant, Louis XV s’en soucie assez pour leur offrir des jouets ludiques visant à aider leur apprentissage. A l’arrivée à la Cour de Mme de Pompadour, se crée une rupture au sein de la famille royale. Louis XV se soucie alors davantage de sa favorite que de ses petits-enfants, et c’est aussi une des raisons pour lesquelles il confie leur éducation à son fils. Il y a donc deux clans : celui de la Reine dont fait partie le Dauphin, et celui du Roi avec la coterie de Mme de Pompadour.
Marie-Josèphe de Saxe est le lien entre le père et le fils. Elle a un grand sens politique et comprend que monter l’un contre l’autre est contre-productif. Par son biais, les liens entre Louis XV et son fils sont renforcés, les deux s’aiment beaucoup. D’ailleurs, lorsque Louis XV est blessé par Damiens, c’est Louis-Ferdinand qui gère le Conseil. Il y montre ses capacités, même si ses actions sont moindres. Le Roi reprend rapidement les rênes et il n’a pas le temps de montrer toute l’étendue de ses talents.
Louis-Ferdinand connaît lui aussi une éducation militaire. Il participe à la bataille de Fontenoy lorsqu’il a 15 ans et c’est une victoire. Mais il aura assez peu d’occasions d’aller sur le front, ce qui l’arrange. Il n’aime ni la guerre, ni la chasse, ni l’équitation, d’autant qu’il est très obèse. Forcément, l’exercice physique ne lui convient pas. Il préfère de loin la musique et la culture, comme sa mère et ses sœurs il est un excellent musicien, mais aussi un très bon chanteur.
Marie-Josèphe de Saxe est une princesse assez moche, mais elle a beaucoup de charme. Elle et le Dauphin forment un très beau couple. Louis-Ferdinand est adulé par sa mère, ses sœurs et sa femme. En 1765, il commence à maigrir. La Cour s’en réjouit, alors que c'est le premier signe de la maladie qui va l'emporter, sans doute la tuberculose. Il effectue un voyage à Compiègne où son mal se révèle mais ne semble pas très grave. Il refuse l’offre de Louis XV d’annuler un séjour à Fontainebleau et s’y rend. La Cour attendra son décès pour regagner Versailles. Il est veillé par son épouse qui contracte aussi la maladie et le suit dans la tombe deux ans plus tard. Le corps du Dauphin est inhumé à la cathédrale de Sens, comme celui de la Dauphine, mais il demande que son cœur repose à Saint-Denis auprès de sa première femme.
Après la mort du Dauphin, Marie-Josèphe de Saxe reprend l’éducation de ses enfants. Elle essaye de repousser le plus possible le mariage projeté par Louis XV et Marie-Thérèse d’Autriche : celui du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette. Tant que le mariage n’est pas célébré, l’Impératrice se « tient tranquille ». Louis-Ferdinand et sa femme étaient opposés à un mariage autrichien et l’ont assez exprimé pour que Louis XVI ait de gros a priori sur sa femme, qui auront les conséquences que l’on connaît. Il est très probable que si la Dauphine avait vécu, elle aurait été de bien meilleur conseil auprès de sa belle-fille que ne l’a été Madame Adélaïde, et Marie-Antoinette aurait eu une tout autre attitude. A cela s’ajoute l’opposition d’un ministre très bien placé à la Cour, le Duc de Choiseul. Fervent acteur du mariage autrichien, il est surtout très opposé à Louis-Ferdinand qu’il n’aimait pas, pas plus qu’il n’aimait sa descendance.
Le fils aîné de Louis-Ferdinand est le Duc de Bourgogne, Louis-Joseph-Xavier. C’est un petit Prince vif, volontaire, rapide, en un mot le Prince idéal. Lorsqu’il a 7 ans, il passe aux hommes mais se blesse, vraisemblablement après être tombé d’un cheval en carton. Se forme alors un abcès qui doit être crevé. Le Dauphin, qui adore son fils, ne peut pas rester auprès de l’enfant tant il ne peut supporter ses cris de douleur. C’est donc Louis XV qui veille son petit-fils. Le Duc de Bourgogne entame une lente agonie. Il est très probable que sa chute et son abcès n’aient réveillé l’inévitable tuberculose osseuse qui va le ronger. Pour lui tenir compagnie, on lui donne un « compagnon d’agonie », qui n’est autre que son petit-frère, le Duc de Berry, futur Louis XVI. Il meurt en prince chrétien et met en scène sa mort afin de montrer l’exemple à son frère. Louis XVI tombe aussi malade, il maigrit beaucoup, mais passe totalement inaperçu : ses parents sont préoccupés par la mort de Bourgogne et reportent leur affection sur le Comte de Provence, son cadet. Aussi, lorsque son fils, appelé Louis-Joseph-Xavier en hommage à son frère aîné, décède également d’une tuberculose osseuse en juin 1789, Louis XVI voit remonter le souvenir de la mort de son aîné.