Versailles et Louis XV
Autour des Cours des Cerfs et du Roi vont se multiplier escaliers et cabinets, qui vont coûter fort cher, puisqu’ils « représentent environ le quart de ce que coûtera plus tard l’Opéra* », et ce échelonné sur 15 ans. Louis XV va modifier, récupérer, détruire, rebâtir, remplacer. On verra apparaître des « cabinets ‘à niche’ pour le repos, un autre pour le Tour et d’autres encore pour le jeu, les bains, les garde-robes, mais aussi des bibliothèques de plus en plus étendues, des salles à manger d’hiver et d’été, des cuisines et des laboratoires, des volières et des terrasses, qui donnent une physionomie nouvelle, presque mystérieuse, à tout ce qui entoure la Cour des Cerfs ; des escaliers intérieurs, constamment modifiés et multipliés, des couloirs, des passages, de petites antichambres, assurent à l’intérieur des Cabinets des communications faciles au Roi ou à son service** ».
Bien entendu, la vie intime de Louis XV n’y est pas pour rien. Entre la succession de ses maîtresses, installées au deuxième étage (exception faite de Mme de Pompadour qui finira sa vie au rez-de-chaussée), la présence de la Dauphine Marie-Josèphe, elle aussi au second étage, et les petits-soupers privés où le Roi ne convie qu’un petit nombre de personnes, cette partie du château est « vivante » et en constante évolution. Le monarque développe ses appartements privés dès 1738, laissant l’Appartement de parade pour sa vie de représentation. Il va moduler selon son goût les pièces privées jadis occupées par son arrière-grand-père.
On pénètre dans ces appartements par le rez-de-chaussée, au niveau de la Petite Salle des Gardes du Roi. C'est là que démarrait l'Escalier des Ambassadeurs, détruit en 1752, et qui constituait l'accès au Grand Appartement.
C'est ici qu'en 1757 Damiens a tenté d'assassiner Louis XV, tentative qui laisse son surnom à cet escalier, dit "de Damiens".
La Cour du Roi est décorée, en 1723, de 24 têtes de cerfs, ce qui lui donne son nouveau nom de Cour des Cerfs. En 1729, une 25e tête de cerf ainsi qu’une tête de daim rejoignent celles déjà en place. Véritable centre névralgique des appartements intérieurs, Louis XV s’intéresse à cette Cour et va l’utiliser pour agrandir son appartement privé. Tout en essayant de préserver l’architecture des lieux et l’unité visuelle du château : il faut éviter que cela se voie trop depuis la Cour de Marbre. Louis XV va doter cette Cour de deux autres étages selon ses besoins. L’autre cour est la Petite Cour Intérieure du Roi, qui est principalement le centre de la vie du Service du Roi.
Sur le palier se trouve l’Antichambre des Chiens, qui apparaît dès 1738. De style rocaille ou rococo, c'est l'ancienne chambre de Louis XV. Collée à la salle à manger dite « du retour de chasse », elle est décorée sur ce thème. Tout autour se trouve une corniche en bois doré avec des chiens et des cerfs. On lui ajoute également des boiseries de l'ancien Billard de Louis XIV. Les tableaux ronds au-dessus des portes sont les originaux.
Le monarque fait dormir dans cette pièce ses chiens préférés ou ceux qui se sont distingués durant la chasse, dans des nicjes en bois doré. Les autres chiens logeaient à l'hôtel du Grand Veneur.
Pour qu'ils obéissent au Roi durant la chasse, les chiens doivent connaître sa voix et son odeur. Pour que Louis XV leur donne des ordres, il doit connaître leurs noms par cœur. Le Roi passe donc tous les soirs 30 minutes dans cette pièce, pour nourrir lui-même ses chiens : il apprend alors leurs noms et les chiens s'habituent à sa voix et son odeur.
En 1739, un petit balcon est aménagé sur tout le tour de la Cour des Cerfs, où le Roi laisse dormir et courir ses chiens.
Louis XVI, qui trouve absurde d'entretenir des chiens au château, fait retirer la quinzaine de bêtes présentes, comme leurs coûteuses niches.
A gauche de la Salle des Chiens se trouve le Salon de la Pendule, créé en 1738 à l'ancien emplacement du Petit Degré de Louis XIV et du Cabinet en niche de Louis XV, qui s'en sert de salle de jeux. L'espace étant limité, le Roi convie un nombre restreint de personnes, environ une cinquantaine, dont peu de femmes en raison de la largeur de leurs robes.
En 1754, le monarque rapatrie depuis Choisy la pendule de Passemant et Dauthiau, créée en 8 ans et approuvée par les facultés de science au bout de 3 ans. Son mécanisme a été créé pour aller jusqu'en 9999. Elle affiche les heures, les minutes, les secondes, les quartiers de lune, les jours, les méridiens, les saisons et le passage de la comète de Halley. Elle présente également un globe avec les sept planètes. On la remonte tous les 45 jours. En 1760, les cadrans marquant les levers et couchers de la Lune et du Soleil, jusque-là présents dans cette pièce, sont retirés et remplacés par un piédestal en marbre pour la préserver des vibrations.
Au sol se trouve une baguette en cuivre qui représente le méridien nord-sud de Versailles. La pendule a été placée selon le méridien. A midi, le soleil se reflète sur cette barre qui s'illumine pendant quelques secondes : on règle les horloges afin de respecter le programme prévu pour la journée.
On trouve également la miniature de la statue équestre de Louis XV en empereur romain qui se situait avant la Révolution sur la place Louis XV, actuelle place de la Concorde.
A droite du Salon de la Pendule se trouve la Chambre privée de Louis XV, qui touche le Cabinet du Conseil et le Cabinet des Perruques, là où était le Cabinet du Billard (puis des Chiens) de Louis XIV.
Louis XV la veut vaste et, pour cela, il fait abattre le mur donnant sur la Cour des Cerfs, qui sera rebâti un peu plus sur la Cour (qui perd donc sa forme de carré parfait). Cette pièce est plus petite que la chambre de parade, qui fait environ 100 m². Elle est beaucoup plus facile à chauffer et plus commode pour le Roi.
Pour créer cette pièce, outre les travaux, le Roi fait expédier au Louvre les peintures jadis exposées par son arrière-grand-père et les remplace par des portraits de ses filles, toutes musiciennes, chacune avec un instrument. La corniche (carrousel de photos à droite) en haut de cette chambre rappelle les passions du Roi et provient des appartements royaux de Compiègne. A l’inverse, celle du Cabinet du Conseil présente des thèmes généraux.
Il n'y a pas de rosace au plafond. Celle-ci marque l'emplacement du lustre, or celui présent dans la pièce est faux. Le Roi n'allant dans sa chambre que pour y dormir, fabriquer un lustre, l'entretenir et l'allumer pour seulement 15 minutes n'aurait servi à rien.
C'est dans cette chambre que Louis XV meurt le 9 mai 1774. Petite vérole oblige, son lit est brûlé pour aseptiser la pièce. Celui de Louis XVI, avec un baldaquin recouvert d'or, est perdu. Le faux-lit actuel et les meubles présents montrent le mobilier tel qu'il aurait pu être à l'époque.
A droite, la chambre privée du Roi avec, en fond, le Salon de la Pendule et le Cabinet d'Angle, vus depuis la Salle du Conseil.
La chambre privée dispose d’un Cabinet de Garde-Robe installé en 1738-1739 (porte dissimulée dans le mur à droite de la photo ci-contre). Il est équipé d’une chaise percée richement décorée (ci-dessous à gauche). Les décorations, à la mort du Roi, sont revenues au Premier Gentilhomme de la Chambre, le Duc d’Aumont. Aujourd’hui, elles font parties de collections privées.
Le cabinet actuel dispose d’un décor Louis XVI (ci-dessous à droite). Il ne reste rien de Louis XV, qui aimait passer des moments seul ici.
A l'est du Salon de la Pendule se trouve le Cabinet d'Angle, ou Cabinet-Intérieur, à l'angle de la Cour de Marbre et de la Cour Royale. Il touche le Salon-Ovale de Louis XIV jusqu'à sa destruction en 1760. C'est depuis la fenêtre du Cabinet d'Angle, dit-on, que Louis XV a regardé partir le cercueil de Mme de Pompadour.
Les boiseries sont d'origine.
Louis XV y expose de somptueux tableaux des collections royales, ainsi qu’une partie des médailles présentées autrefois dans le Cabinet des Médailles. Le Roi aime beaucoup cette pièce, l’une des plus belles de son appartement.
C’est aussi là que se trouve son bureau à cylindre, créé par Oeben et Riesener, achevé en 1769 et qui a coûté 62.000 livres. Le mécanisme verrouille le tiroir à cylindre mais aussi ceux qui sont cachés. Il existe également un système de trappe latérale pour recharger l’encre. C’est le valet du Roi qui s’en occupait. Cette trappe était nécessaire puisque seul Louis XV possédait la clé de son bureau. Sa dernière utilisatrice fut l’Impératrice Eugénie à Saint-Cloud.
Aussi appelé Arrière-Cabinet, il remplace le Salon-Ovale de Louis XIV en 1760. Il s’agit d’une toute petite pièce en forme de trapèze, collée au Cabinet d’Angle et communicante, via un passage, avec le Petit Degré.
Elle accueille le petit bureau du Roi et, surtout, son Secret. La correspondance secrète de Louis XV est cachée dans des faux livres et l’ensemble des courriers y est dépouillé.
Louis XVI utilisera cette pièce pour exposer sa collection de montres.
Ancienne salle de bains, elle a été remaniée en 1750. C’est un endroit exigu collé à la Pièce des Buffets, servant à stocker les plats cuisinés au troisième étage. Cette pièce a été décorée par l’architecte Gabriel, auteur également des boiseries (à droite).
Louis XV se fait installer un Cabinet de Chimie et un Cabinet du Tour au 2e étage, aujourd'hui rattachés à l'appartement que Mme du Barry a occupé.
Le Cabinet du Tour permet au Roi de s'adonner à son intérêt pour les travaux manuels. Il tourne le bois, l'ivoire et l'argent. Il lui arrive aussi de créer des pièces qu’il offre à son entourage.
Au deuxième étage se trouve le Premier Cabinet de la Bibliothèque, situé au-dessus du Cabinet-Doré. De cette pièce, en longeant le haut des murs des salons du Grand Appartement, se trouve la Galerie de la Bibliothèque. Au bout de cette Galerie, c’est la Grande Pièce de la Bibliothèque, qui voisine avec le Cabinet de la Bibliothèque. Celui-ci, via un passage, va jusqu’à un escalier ovale, dans un angle de la Petite Cour intérieure du Roi. Cet escalier mène, au-dessous, aux Bains, et au-dessus, aux Laboratoires du Roi.
Dès 1732 apparaissent des salles à manger, répondant ainsi au besoin d’intimité de Louis XV.
Au troisième étage, on crée celle d’été, à peu près au niveau du Cabinet des Perruques (situé deux étages en-dessous) et entourée de terrasses. En 1735 sont installés les premières tables « servantes », créées pour contenir les plats et bouteilles, ce qui limite le personnel dans la pièce.
La salle à manger d’hiver est créée au deuxième étage en 1735. Elle fait l’angle de la Cour de Marbre et de la Cour Royale, au bout de la Petite Galerie, avant d’être déplacée en 1738 au-dessus de la Pièce des Chiens, rognant ainsi sur l’espace de la Bibliothèque. Ces salles sont toujours accompagnées d’une pièce des Buffets (pour les invités qui dînent debout), d’un Cabinet de Jeux d’après souper et d’un Petit Cabinet particulier, ce qui nécessite beaucoup de place. L’installation de ces pièces demande ingéniosité et créativité.
En 1745, la Salle à manger d’été et la Pièce des Buffets disparaissent pour laisser leur place aux Bains du Roi. Il semble alors que Louis XV utilisait uniquement la salle à manger du deuxième étage. C’est en 1751 que réapparaissent deux Salles à manger différentes. Au premier étage, là où étaient les Bains, Louis XV en installe une nouvelle (à droite de la Pièce des Chiens) avec sa pièce des Buffets. Juste au-dessus et créée la même année se trouve la seconde, à la place de la Grande Pièce de la Bibliothèque. En 1756, cette salle disparaît, remplacée par une cuisine. En 1753, Madame Adélaïde arrive au premier étage, sa suite s’installe au deuxième. Poussé dans ses retranchements, Louis XV fait déplacer les pièces de sa Bibliothèque en 1763, au-dessus du Cabinet du Conseil, là où, on l’a vu, étaient les Bains qui ont, par conséquent, changé de place et d’étage.
En 1769, à l’angle de la Cour Royale, est créée une nouvelle Salle à manger dite « aux Salles neuves », qui est toujours en place aujourd’hui. Commandée par Louis XV, elle a surtout été utilisée sous Louis XVI pour recevoir des invités particuliers lors de dîners de société. Les plats étaient très nombreux afin que chaque convive, selon sa religion et ses convictions, ait le choix de ce qu’il voulait manger, sans contrainte. Les plats sont prédécoupés en portions et mis à portée des convives qui se servent eux-mêmes.
Le centre de table est alors composé non de fleurs (cette pratique date de la Première Guerre Mondiale) mais de statues appelées biscuits, issus de la manufacture de Sèvres. Ainsi, les convives pouvaient engager la conversation à leur propos. Et comme il faut changer de conversation à chaque repas, les biscuits ne s'achetaient pas mais se louaient! Et ils pouvaient donc être changés chaque soir. D’ailleurs, peu avant Noël, Louis XVI exposait dans cette pièce les créations de porcelaines issues de la manufacture de Sèvres durant l’année écoulée. Les tentures bleues tiennent aussi leur nom de la manufacture : bleu de Sèvres.
L'Arrière-Cabinet communique avec un passage qui longe le Petit Degré du Roi. Ce passage aboutit à la Pièce des Buffets, qui servait auparavant de Salle de Billard (à droite, la photo présente cette salle, dos à la Salle à manger et face à l'escalier Louis-Philippe).
Au nord de cette pièce se trouve l’escalier menant aux cuisines, situées au deuxième étage. A l’Est se trouve la Petite Cour intérieure du Roi. Enfin, à l’Ouest, on trouve la Salle à manger d’hiver. A l’extrémité Nord-Est de la Petite Cour intérieure du Roi, on trouve le Degré d’Epernon.
Une pièce des Buffets a été réaménagée pour exposer la vaisselle de Louis XV et de Louis XVI là où était l'ancienne Salle de Billard. C'est la même pièce que sur la photo précédente, mais vue dans l'autre sens.
© Château de Versailles / Didier Saulnier
Il est proche des Bains du Roi. La porte que l'on voit au fond donne directement sur le Salon d'Apollon.
Le Roi a également un intérêt pour les Bains. Il va avoir, en 1728, sa chambre première des Bains, située à côté de la Pièce des Chiens. En 1750, Cette pièce, ainsi que sa salle des Cuves, sont déplacées et recréées au 3e étage, où se trouvaient jusque-là la Salle à manger d’été et la pièce des Buffets.
En 1755, elles sont à nouveau déplacées là où était le 2e emplacement du Cabinet du Tour, au-dessus du Cabinet du Conseil. En 1763, elles sont placées au 2e étage, au-dessus de leur 1er emplacement.
La pièce des Cuves est associée à la Chambre des Bains et se trouve juste à côté, puis au-dessus, en entresol. Les travaux de Louis-Philippe ont permis de sauver cette pièce, dont la tuyauterie avait sauté à cause du gel et de l'absence d'entretien.
Ci à gauche, une pièce des cuves, vestiges des différents changements de Salles de Bains de Louis XV et restée telle qu'en 1789.
Elle est en face, séparée par un escalier, du bureau de M. Séguret, secrétaire de la Cassette de Louis XVI (voir L'appartement privé de Louis XVI).
Le long de la Cour de Marbre, au-dessus de la Chambre de Louis XV et du Salon de la Pendule, se trouve la Petite Galerie du Roi, qui sert de salon de jeux pour après les petits-soupers de retour de chasse. En 1738, la Galerie s’agrandit, empiétant sur une Salle à manger qui fait l’angle de la Cour Royale et qui devient alors le Cabinet de la Petite Galerie. En 1768, cette Galerie est divisée en deux pièces qui sont attribuées à la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe puis à Mme du Barry. Le Cabinet qui y est collé, un temps attribué à Mme de Mailly, va devenir un Salon des Jeux, puis encore une Salle à manger avant d’être à son tour intégré à l’appartement de Mme du Barry.
Ancien Cabinet Doré ou Salon de Musique de Madame Adélaïde, Louis XV récupère cette pièce pour son propre compte en 1769, lorsque sa fille retourne au rez-de-chaussée. Il la transforme en Pièce de la Vaisselle d’Or.
La Chambre de Madame Adélaïde devient un Salon des Jeux et sera la future Bibliothèque de Louis XVI).
Les cuisines se trouvent au troisième étage, principalement du côté de la Petite Cour intérieure du Roi, au-dessus de la Bibliothèque. Louis XV possède aussi, aux deuxième et troisième étages, des laboratoires qui, petit à petit, vont se confondre avec les cuisines. Le Roi fait aménager ses terrasses : treillages, fleurs, mais aussi des volières. Tout disparaît sous Louis XVI. Louis XV, enfin, se fait aménager un Petit Cabinet de retraite, au troisième étage, au-dessus du Salon de la Guerre.
* Le château de Versailles, Pierre Verlet, Fayard, 1960, réédition de 1998
** Le château de Versailles, Pierre Verlet, Fayard, 1960, réédition de 1998
Source photo de la pièce des Buffets : Les Carnets de Versailles