"Très Belle"
Blanche Zélia Joséphine, dite Caroline, est la dernière fille d’une famille de treize enfants. Née à Bucarest, en Roumanie, elle est la fille de Jules Delacroix, une sorte d’ingénieur avant l’heure qui travaillait dans une fonderie française installée en Roumanie. Lorsque l’industrie ferme ses portes, le père de Blanche est au chômage et la famille Delacroix retourne vivre en France. Les parents de Blanche meurent peu après et c’est sa sœur Angèle, qui a vingt ans de plus, qui s’occupe d’elle. Angèle a un amant très riche qui lui permet, ainsi qu’à sa cadette, de fréquenter les salons mondains, d’aller dans un pensionnat, avenue d’Orléans, et même d’avoir une gouvernante qui lui enseigne les bonnes manières.
Mais Angèle change d’amant et quitte son riche protecteur pour un jeune poète passablement malhonnête qui s’enfuit en Amérique du Sud. Blanche suit sa sœur et son « beau-frère » à Buenos Aires en 1898. En grandissant, Blanche devient très belle, autant, voire plus, que sa sœur, qui en devient jalouse. Les deux sœurs amies deviennent rivales. Aussi, quand Blanche découvre un beau paquet d’argent dans sa chambre, ne se pose-t-elle aucune question et s’enfuit vers le port. Elle invente un mensonge qui lui permet d’embarquer, à quinze ans, sur un paquebot en direction de Dakar. Sur le bateau, Blanche rencontre un lieutenant de l’infanterie coloniale âgé de trente-trois ans : Antoine-Emmanuel Durieux.
Le bateau fait escale à Bordeaux, le couple se dirige vers Bayonne. Blanche devient la maîtresse du lieutenant qui lui promet le mariage. Ils remontent à Paris où il dépense des sommes folles pour plaire à Blanche mais il n’est qu’un simple escroc désargenté. Antoine-Emmanuel parie, joue gros. Lorsqu’il gagne, il emmène Blanche dans de grands restaurants, à l’inverse, le couple reste cloîtré dans sa chambre à grignoter, faute de pouvoir payer le restaurant et la chambre. Inquiète, Blanche le relance sur la question du mariage, sachant qu’au pire, il lui restera le divorce. Les papiers sont présentés à la mairie du huitième arrondissement, ce n’est que l’affaire de quelques semaines.
Un jour qu’elle est seule dans sa chambre, une certaine Mme Morniloff lui laisse un message. Elle souhaite voir Blanche de toute urgence et lui explique qu’un grand personnage veut la rencontrer. Blanche accepte sans rien dire à son futur mari et, le lendemain, elle est conduite dans un hôtel particulier de la rue Lord-Byron où elle rencontre un homme assez âgé – soixante-cinq ans – avec une longue barbe blanche et une haute stature : Léopold II, Roi des Belges. Il l’a remarquée dans un restaurant, elle lui plaît, il veut l’emmener avec lui. Blanche n’hésite pas longtemps. Le lendemain, elle est installée dans une autre chambre de son hôtel où elle reçoit un trousseau complet, des tenues élégantes et de l’argent. N’osant pas tout avouer à son fiancé, Blanche se contente de lui écrire une lettre où elle raconte devoir repartir en Amérique Latine. Puis elle quitte l’hôtel pour aller à la gare de Strasbourg – aujourd’hui gare de l’Est – et Blanche se fait passer pour la nièce de Léopold II.
Elle débarque à Bad Gastein, une station thermale autrichienne, et s’installe dans un palace où elle est traitée en reine. Léopold II la rejoint, l’idylle commence. Même si elle n’est pas amoureuse de ce vieil homme qui a près de quatre fois son âge, Blanche éprouve pour lui beaucoup de respect, d’admiration et de tendresse. Il la surnomme alors « Très Belle » et insiste pour qu’elle l’appelle « Très Vieux ». La presse fait déjà des gorges chaudes de cette nouvelle aventure du Roi, amateur invétéré de femmes et qui délaisse totalement son épouse, Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine.
Le séjour de Léopold II prend fin, il doit retourner à Bruxelles. Mais Blanche, par égard pour la Reine, ne le suit pas. Elle s’installe à Paris et visite son amant au moins une fois par semaine, en logeant dans un appartement de l’aile Bellevue du palais royal. Par la suite, Léopold II s’extirpe de la Cour pour partir dans diverses cures thermales où il rejoint Blanche. Tout le monde est au courant, il n’en a cure. Lorsque la Reine meurt le 19 septembre 1907, le Roi est effondré. Mais Blanche ne se retire pas pour autant. Elle veut garder sa place de choix auprès de Léopold II, le suit à Bruxelles et assiste même aux funérailles de Marie-Henriette. Blanche est alors la favorite en titre et s’installe dans les résidences que le Roi lui offre à Ostende et Laeken. Elle a 19 ans. Rapidement fustigée, les pamphlets et la presse se déchaînent contre elle. Même Léopold II est visé et il échappe de peu à un attentat. Mais qu’importe, il est amoureux et ne veut pas se passer de sa favorite. Il fait même construire une passerelle pour la rejoindre plus facilement et discrètement, tout du moins le croit-il.
Un jour de passage à Paris, Blanche croise Durieux, son ancien fiancé. Ils discutent, déjeunent, re-sympathisent. Elle l’invite à la villa Vanderborght, qu’elle occupe. Léopold II l’apprend et débarque, mettant ainsi Blanche et Durieux dans une position délicate. Elle invente des mensonges, ils s’en sortent. Léopold II ne parle plus à sa favorite durant quinze jours puis revient la voir et passe l’éponge. Blanche respire. Sa place de favorite est renforcée le 9 février 1906 lorsqu’elle accouche d’un garçon, Lucien, qui porte le nom de sa mère. Un an plus tard, Blanche donne naissance à Philippe, mais l’enfant, malformé, décèdera à 6 ans et demi. Lucien n’aura aucune postérité.
Malgré les pamphlets qui continuent de se déchaîner, Blanche est tranquille. Léopold II est toujours fou d’elle et il la crée même Baronne de Vaughan, un titre complètement fantoche, là uniquement pour faire plaisir à sa « Très Belle », mais qu’elle gardera jalousement toute sa vie.
La vie de Blanche va bientôt changer. En 1909, Léopold II, âgé de soixante-quatorze ans, va sur sa fin. Le 14 décembre, il épouse morganatiquement Blanche – qui en a vingt-six – et s’éteint trois jours après. A peine mariée, elle est déjà veuve. Elle n’est plus rien à la Cour de Belgique, elle fait ses malles en emportant tout ce qui a de la valeur et s’installe à Paris avec ses fils. Là, elle retrouve Durieux, qu’elle épouse six mois après son veuvage (il reconnaîtra même les enfants qu’elle a eus avec Léopold II), mais ils divorcent en 1913. Blanche décède le 12 février 1948 à Cambo (Pays Basque) et est inhumée au cimetière du Père-Lachaise.