Je trahirai demain
Un poème par Marianne Cohn
Un poème par Marianne Cohn
Marianne Cohn est née en Allemagne en 1922. Quand ses parents sont internés en camp de concentration au début de la Deuxième Guerre mondiale, Marianne est envoyée en France. Elle a 17 ans.
Devenue résistante, elle prend un nom de guerre, Colin, et aide des enfants juifs à s’échapper de France (où ils risquent la déportation et la mort en camp de concentration).
En 1944, alors que Marianne accompagne un groupe d’enfants en Suisse, elle est arrêtée par la Gestapo.
Elle meurt assassinée par les nazis, à l’âge de 22 ans. Les enfants survivent.
Marianne écrit ce poème en prison.
1 Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
5 Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
10 Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
15 Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
20 La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
trahirai : will betray
ongles : fingernails
bagues : rings
clous : nails (for carpentry)
abjurer : to give up, to renounce (allegiance to a political party, religion)
lime : file (sharp tool); stone floor tile
le bourreau : torturer/executioner
poignet : wrist
Lisez le titre du poème. Qu’est-ce que le titre suggère ? Cochez toutes les réponses qui vous semblent possibles :
a. La poétesse a l’intention de trahir demain.
b. Chaque jour, la poétesse fait tout son possible pour ne pas trahir.
c. La poétesse ne trahira jamais.
d. La poétesse a déjà trahi.
Parcourez (skim) le poème pour voir si les vers riment.
Trouvez la phrase la plus courte du poème.
Trouvez trois mots ou groupes de mots répétés dans le poème.
Lisez le poème une première fois, silencieusement, sans vous servir du dictionnaire. Ensuite, relisez le poème à haute voix, toujours sans dictionnaire. Est-ce que la lecture à haute voix vous aide à comprendre le sens général du poème ?
Relisez le poème attentivement. Quand on lit un roman, il n’est pas nécessaire de comprendre chaque mot du texte. Cependant, quand on lit un poème, il est essentiel de saisir le sens et les nuances de tous les mots.
Lisez d’abord les questions figurant dans la section Compréhension et réactions. Ensuite, lisez le poème. Enfin, répondez à ces questions en classe ou chez vous, selon les indications de votre professeur.
Avant de chercher dans le dictionnaire les mots que vous ne comprenez pas, regardez la section Pour mieux lire. Pouvez-vous deviner le sens de quelques-uns de ces mots ?
arrachez-moi : Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles…
le bout : Vous ne savez pas le bout de mon courage.
me résoudre : Il me faut la nuit pour me résoudre.
À votre avis, pourquoi est-ce que Marianne Cohn a écrit ce poème ? Quel public visait-elle ? Regardez une fois de plus les motivations possibles de la poétesse (Anticipation, numéro 2).
Voici quelques stratégies mentales dont Cohn se sert pour ne pas trahir les Résistants (les gens qui résistaient à l’occupation allemande, et qui risquaient leur vie en essayant de reconquérir la France). Elle utilise ces stratégies pour ne pas être forcée par ses bourreaux à divulguer le nom des Résistants qu’elle connaissait ou à révéler des informations secrètes sur la Résistance :
Elle répète des mots et des phrases afin de se convaincre qu’elle doit rester muette.
Elle considère la trahison comme un choix ou une décision à prendre.
Elle remet constamment cette décision au lendemain.
Elle essaie de vivre au jour le jour (one day at a time).
Elle a une grande confiance en sa propre force mentale.
Activité : Imaginez des circonstances personnelles dans lesquelles ces mêmes stratégies vous aideraient, vous fortifieraient ou vous soulageraient.
Pendant l’occupation allemande de la France (1940–1944), les Français ont trouvé des façons actives et passives de résister.
Dans son livre La Résistance expliquée à mes petits-enfants, Lucie Aubrac, ancienne résistante, offre des définitions du mot « résister » et de l’acte de résister :
a. Tout le monde peut résister : « Résister, ce n’est pas comme un exploit sportif qu’on ne peut réussir que jeune. Vous savez que ça se passe dans la société : quand on refuse l’injustice, la servitude, c’est pour toujours. »
b. Résister, ce n’est pas nécessairement un acte violent : « Justement, je voudrais bien que vous compreniez que la Résistance ne se limite pas à l’usage de grenades ou de mitraillettes (submachine guns). »
c. Résister est un choix : « C’est cela, la Résistance : juger, choisir, et s’engager. »
Selon vous, et d’après les descriptions de l’acte de résister offertes par Lucie Aubrac, est-ce qu’on peut résister en écrivant des poèmes ?
Dans ce poème, la narratrice utilise seulement le présent et le futur. Dans quelle mesure est-ce que ces deux temps expriment ses sentiments ?
Les familles de mots
Sans vous servir du dictionnaire, essayez de traduire ces mots en anglais en vous inspirant de mots similaires dans le poème :
la trahison
une lime à ongles
une chaussure cloutée