Un merveilleux voyage

En cette fin d’après midi, un grand oiseau d’acier vient de se poser en douceur sur le ruban asphalté. Sur sa queue blanche, il arbore fièrement une feuille d’érable rouge. Il y a environ 7 heures qu’il a pris son envol d’un petit royaume d’Europe où la «mort subite» se déguste bien fraîche, où des «pralines» savent si bien régaler des papilles gourmandes, où le croustillant des frites courtise des moules qui prennent un malin plaisir à nager dans un «entre-deux mers».

Il faut savoir que ce petit pays a un représentant de marque. Oui, un petit gars célèbre à travers le monde entier et dont la passion de l’aventure est sans borne. Avec lui et son compagnon à quatre pattes, combien de jeunes de sept à soixante dix-sept ans ont-ils vécu de passionnants moments?

Dans la douceur de l’air, Montréal chante un début d’été. Immobile, comme prisonnier au cœur de l’attente, le ventre de l’oiseau s’ouvre enfin, déversant sa horde de vacanciers joyeux venus humer l’air du nouveau monde.

Un peu fatiguée par ses longues heures de vol, la foule se dirige, tel un troupeau docile, vers l’emplacement d’accueil. Certains se pressent, se bousculent un peu. Peu importe d’où ils viennent, il y a toujours des gens qui veulent être les premiers. Dans des guérites exiguës, les douaniers sont en faction. Les voyageurs se dirigent alors devant chacune d’elle et se mettent spontanément en file indienne. Des rires fusent, nerveux, on sent dans l’ambiance une certaine fébrilité, ce sont les vacances américaines qui débutent. Oui, bien sûr, nous sommes au Canada, au Québec, mais pour tous ces Européens, ils viennent de mettre le pied en Amérique. Et l’Amérique, c’est… c’est quoi au juste ? Bien l’Amérique, c’est le Nouveau Monde !

Soudain, un quatuor, composé d’un géant, d’une jeune femme et de 2 jeunes enfants semble se distancer de la foule. Oui, une sorte de géant qui doit approcher des deux mètres. Sa compagne, quoique plus petite, frise cependant le mètre quatre vingt. Dans la main du géant, la menotte d’une fillette qui doit avoir 6 ans. Dans son autre main, se balance un grand sac noir. Sur l’épaule de la jeune femme repose la frimousse d’une autre petite fille, d’environ 2 ans. Et voici que la petite famille s’éloigne calmement des autres voyageurs et se dirige à l’extrémité gauche de la salle. Elle semble suivre la direction indiquée par des flèches marquées d’une inscription : IMMIGRATION.

C’est donc ça! Ce ne sont pas des touristes venus passer quelques jours de vacances. Non, avec leurs deux petites filles, ce couple a choisi librement d’adopter ce pays. Le géant, comme sa jeune femme, le cœur ouvert à l’inconnu, venu pour réaliser un rêve, leur Rêve.

Oh! ce n’est pas qu’ils doivent fuir un régime totalitaire, la guerre ou encore la misère. Non, leur petit coin de terre est calme et prospère. Mais, c’est que tous deux sont liés par un irrépressible désir de sortir des sentiers battus, de dépasser des certitudes sécurisantes et le confort familier de leur pays natal.

Partir ailleurs, découvrir d’autres horizons, une autre façon de vivre, une autre culture, d’autres us et coutumes, tel était leur rêve. Le monde est si vaste, leur pays si petit ! Tout comme le Canada, l’Australie les attirait. Ayant accompli les formalités d’émigration nécessaires pour les deux destinations, il leur fallu faire un choix ; ce ne fut pas facile car un tel projet comporte inévitablement des risques. Ils prirent finalement la décision qui leur paru la plus raisonnable. Oui, il leur fallait écouter la voix de la raison car ils entraînaient au sein de l’aventure leurs deux petites filles. Ils fixèrent donc leur choix sur le Canada, ce vaste pays afin d’y découvrir cette «belle province» de s’y établir et de se laisser charmer par les grands espaces dont l’écho vibre de l’accent francophone.

De toutes leurs forces, ils se sont accrochés à leur rêve malgré toutes les mises en garde, les commentaires peu encourageants de leur entourage, famille, amis, qui voyait en ce projet, quelque chose de totalement incongru, une idée étrange et incompréhensible, un rêve audacieux de deux jeunes fous. Tous les deux, unis au sein d’un même projet, liés par une totale et entière confiance en eux et en l’avenir.

Ils se regardent complices, le sourire aux lèvres, les mots sont inutiles. Heureux d’être là enfin. Heureux de ce rêve devenu subitement réalité. D’un pas sûr et tranquille, ils s’approchent de la guérite où les attend un fonctionnaire chargé de leur attribuer le statut d’«émigrant reçu». Un regard amicalement interrogateur, plusieurs questions, quelques cachets tamponnés dans les passeports et puis ces mots accompagnés d’un sourire engageant et qu’ils n’oublieront jamais : «Bienvenue au Canada et Bonne chance».

Leur Rêve d’aventure commence à ce moment. On est le 11 juillet 1970