Écrire en prose ou en vers autour d’un personnage, une vieille dame indigne, qui devra apparaître clairement dans le texte
Placé sur le site Les Impromptus littéraires
Le monologue de Mony
Mony, tu exagères. Mony, tu devrais. Mony tu ne devrais pas. Mony, ce n'est plus de ton âge. Mony c'est imprudent, il va t'arriver un malheur, Mony arrête tes extravagances, etc, etc...
Non, mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir me contrôler ? D'accord, j'ai quatre fois vingt printemps. Mais, est-ce une raison pour ne plus pouvoir vivre comme je l'entends ? Si j'ai envie de faire des folies, si j'ai envie de vibrer, de m'éclater ça ne regarde que moi, me semble. J'ai encore mes neurones qui fonctionnent sans ratés. J'ai encore bon oeil et bon pied, alors qu'on me laisse marcher, trotter, même galoper si le coeur m'en dit.
Cré non de Zeus ! Ce que ces gens peuvent être barbants avec leurs incessantes mises en garde. Je n'en ai rien à cirer de leur pesante sollicitude. Parce qu'il paraît que c'est pour mon bien. Tiens donc, ces gens savent ce qui est pour mon bien, et moi, je n'en saurais rien. Il semble que je fais preuve d'imprudence, que je donne un mauvais exemple alors que je devrais être un modèle, une référence. Mais je n'ai nulle envie de servir de référence. Et, puis ça veut dire quoi ça des imprudences ?
Ce dont j'ai la parfaite conscience, c'est que je commets souvent l'imprudence de dire tout haut ce que je pense. Et, il se fait que ce que je pense trop souvent dérange. Mais, avoir à mettre des gants blancs pour parler aux gens, désolée, c'est pas mon genre. Bof, tant pis, c'est ainsi. Ils n'ont qu'à s'y faire
Imprudente parce que j'ai décidé de voyager sans avoir à supporter un chaperon accroché à mon bras, parce que je compte me rendre à la ronde cet été pour essayer le fameux Cobra. Rudement impressionnant ce manège ? Tiens, je suis curieuse de savoir comment je vais trouver l'expérience. Mais, ces oiseaux de malheur s'entêtent à me dire que tout ça, ce n'est plus de mon âge ! Ce qu'ils oublient ces malheureux, c'est que vivre c'est savoir risquer et faire le plus possible ce qui nous tente. Et, l'âge qu'on a n'a rien à y voir. J'ai toujours pensé que vivre c'est oser et jamais personne ne me fera changer d'idée. Celui qui ne risque pas ne vit pas. Le pauvre, je le plains, il vivote. Ben, moi, la vivote, je l'ai toujours laissé aux autres. Jusqu''à mon départ pour l'éternité, je n'ai aucune intention de me mettre à vivoter. Et, puis encore, je m'en balance d'être un mauvais exemple. Qu'ils s'en choisissent un meilleur ailleurs ! Le choix ne doit pas manquer ! Ils se plaisent à dire ça parce que je déroge ostensiblement aux règles, aux usages et aux bonnes manières dont doivent faire preuve les personnes de mon âge. Il leur semble qu'une vieille personne doit être comme une momie, drapée du sommet de son crâne jusqu'au bout de ses doigts de pieds dans une imposante et grandiose dignité. Parce que ces pauvres innocents estiment que vieillir impose obligatoirement qu'on devienne sage, raisonnable, digne et respectable. Je le clame haut et fort, cela ne me tente absolument pas d'être digne, sage et raisonnable. J'aurai toute l'éternité pour m'y appliquer.
On dit aussi, que je n'en fais qu'à ma tête : parfait ça me convient. Que je suis aussi têtue qu'une mule : pas d'objection votre honneur. Que je peux être méchante comme une teigne : rien de plus vrai. Que j'ai la critique vive et acerbe, c'est clair et sonnant comme du cristal. Que celui ou celle qui me cherche, toujours me trouve, ben oui, c'est immanquable. Tiens, à tous ces gens qui estiment que je suis une vieille dame insupportable, indigne, et irresponsable, je leur tire la langue et leur adresse un gracieux pied de nez. Pourquoi ? Et bien, tout simplement parce que ça me tente...
Marybé - février 2010