Karina a rendez-vous avec la chance

Madame,

« Soyeux reflets » a le grand plaisir de vous annoncer que le sort vous a désigné comme heureuse gagnante de son concours « Osez jouer avec les couleurs ».

La compagnie d’aviation « Air Évasion », vous transportera ainsi qu’une personne de votre choix, vers la ravissante île « Puerto del Placer » pour y passer la semaine du 15 au 22 septembre prochain. En compagnie de votre invité, vous séjournerez au très réputé club de vacances : « LSM, Luna, Sol y Mar ». Le prix gagné comprend : les billets d’avion aller / retour, transport en autobus climatisé, logement, tous les repas, toutes les boissons ainsi que toutes les activités sportives et culturelles organisées par le club.

Bien que ses lunettes soient posées en équilibre sur le bout de son nez, Karina a l’impression que sa vue est brouillée, tant elle a lu et relu cet étonnant message. Karina, gagnante d’un concours! Ça, c’est du jamais vu! Jamais de toute sa vie, déjà longue, elle n’a gagné autre chose que des billets de loterie gratuits. À dire vrai, elle n’a jamais eu l’âme joueuse et même s’il lui est arrivé à différentes reprises d’acheter des billets souvent elle oubliait de vérifier si les billets gagnaient. Karina croit à la chance, avec un grand « C », mais pour ce qui est des concours et des loteries, elle croit plutôt à la chance, beaucoup plus prévisible, de se retrouver dans le lot des perdants! Pourtant cette fois, il semble qu’il y a eu revirement. Que la chance finalement décide de la récompenser ! Une récompense, ma foi, intéressante; sept jours de détente au soleil, sans avoir à débourser un sou, c’est une chose réellement appréciable, qu’il serait aberrant de mettre au rancart.

Soudain, une pensée lui traverse l’esprit. Si tout cela cachait une attrape, une escroquerie quelconque. Mais avec l’esprit prompt qui la caractérise, très vite elle se ravise. Non, cela ne se peut, car ce n’est pas pour rien que cette lettre lui est parvenue par courrier recommandé. La firme organisatrice du concours est sérieuse, on ne peut en douter. Quand Karina était adolescente cette entreprise était déjà sur le marché. Karina se souvient encore parfaitement de toutes leurs publicités. L’une d’elles l’avait fait tant rêver! C’était la photo d’une séduisante jeune fille assise devant la mer. Une main, que l’on devinait masculine, caressait ses longs cheveux bouclés d’un pur blond vénitien. La légende indiquait: « La soie naturelle que tout homme préfère ». À cette époque, Karina rageait d’avoir à supporter sa tignasse raide et sombre tout à l’opposé de ces jolies boucles blondes qu’elle trouvait de loin plus séduisantes. Elle s’était bien risquée un jour à tenter l’expérience. Elle avait pris soin d’acheter une permanente pour cheveux récalcitrants ainsi qu’un shampooing colorant teinte numéro 10 qui devaient, en principe, lui couronner la tête de ravissantes ondulations d’un blond aux reflets de sirène. L’essai fut désastreux. En repensant à cette expérience déjà lointaine et rien qu’à se remémorer ses cheveux tire-bouchonnés d’un blond tirant sur un jaune sale, Karina est prise de fou rire. En se regardant dans le miroir, elle s’était trouvée devant une image totalement inconnue. Méconnaissable, défigurée, si laide! Elle en avait conclu qu’il valait mieux mettre tout de suite un terme à ce genre d’expérience et qu’il lui fallait oublier pour toujours son rêve ridicule de devenir une blonde séduisante. Bien que très jeune, elle avait su faire là preuve de gros bon sens.

Ce n’est que tout récemment que, se trouvant confrontée à l’envahissement de multiples fils blancs, elle avait à nouveau repensé au subterfuge de la coloration pour dissimuler tout ce blanc et le rendre invisible. Est-ce inconsciemment ou encore parce que les produits « Soyeux reflets » étaient en promotion, toujours est-il que Karina avait acheté un de leurs shampooings colorants. Par la même occasion, elle avait sorti un crayon et avait pris la peine de remplir le bon de participation au concours organisé dans le cadre de cette promotion. Si cette entreprise, dont le but et la mission depuis tellement d’années, était de colorer les têtes et qu’elle était encore à ce jour tête de file du marché, il serait vraiment de mauvais goût de la suspecter et de mettre en doute sa respectabilité.

Pensons aux choses pratiques, se dit Karina. Prévenir Simon dès qu’il rentrera. Je suis certaine qu’il aura à cœur de se libérer et profiter de cette superbe aubaine. D’ailleurs ces derniers temps je trouve qu’il en fait trop. Un séjour reposant au sein d’une île de rêve ne peut que lui être profitable.

Septembre sera vite là, pense Karina. Je ne peux me permettre un faux pas. Organiser mon travail au bureau. Convaincre le patron, ce n’est pas un problème. Il connaît Karina depuis tellement longtemps; il connaît par cœur toutes les facettes de son caractère et, de plus, il a en elle une confiance aveugle.

Au bureau, le début de l’automne est une période qui se passe dans le calme. Ce sera donc facile de me faire remplacer. De plus, en général, à cette époque le moral de Karina fluctue sensiblement; son cours se situe la plupart du temps à la baisse. C’est dû à l’hiver qu’elle voit poindre du nez et qu’il lui faudra encore une fois supporter. Il est parfaitement clair qu’avec le passage des années, la relation d’amitié entre l’hiver et Karina s’est considérablement détériorée.

Karina jette alors un coup d’œil au grand calendrier; y sont indiqués les absentes de Simon, les anniversaires, les choses importantes à ne pas oublier. Elle saisit le stylo rouge qui se trouve à côté et sur la date du 15 septembre griffonne une sorte de dessin. En y regardant bien on peut imaginer qu’il s’agit d’un avion. Son talent de dessinatrice est de loin inférieur à celui d’organisatrice. Néanmoins quand Simon rentra, il est certain qu’il remarquera le graffiti inscrit. Il est plus que probable qu’il voudra satisfaire sa légitime curiosité et demandera quel genre d’événement est projeté à la date indiquée.

En effet, Simon est rentré fatigué, mais avec son esprit d’observation coutumier, il a tout de suite remarqué le nouveau barbouillage. Alors Karina, s’est fait un plaisir de lui conter dans les menus détails, son extraordinaire rencontre avec cette belle inconnue prénommée dame Chance.

Un voyage de détente où tout est planifié, organisé et prévu à l’avance n’est peut-être pas vraiment le type de vacances convenant à leur tempérament. Simon et Karina sont tous deux un tantinet bohèmes et aiment voyager un peu comme bon leur semble. Tous les deux aiment le côté aventure du voyage; sans rien prévoir à l’avance, vivant au jour le jour. La planification ordonnée, l’organisation structurée, c’est uniquement réservé au travail journalier. Les vacances, elles, jouissent d’une pleine liberté et sont toujours agrémentées de graines de fantaisies et d’un lot de surprises. Néanmoins, dans le cas présent, il serait malvenu de faire les difficiles surtout lorsque vous avez gagné le grand prix et que tout est gratuit.

Il reste peu de temps avant le 15 septembre. Mais, en réalité, c’est sans véritable importance. Il n’y a pas vraiment de choses à préparer. Lorsqu’ils vont en voyage, Simon et Karina ne s’encombrent jamais d’un grand lot de bagages. Un grand sac de toile chacun. C’est amplement suffisant, pensent-ils, lorsqu’on va au gré de l’aventure et que l’on a rendez-vous avec le beau temps.

Subitement, voilà que Karina pense, que cette fois, il serait peut-être prudent de prévoir quelques jolies toilettes. En effet, comme il se pourrait qu’ils doivent se soumettre à certaines cérémonies, il serait de bon ton d’avoir dans ses bagages une tenue un peu plus élégante. Tiens, se dit-elle, je vais prendre cette petite robe fleurie, sans prétention mais assez jolie et surtout qui est parfaite peu importe l’occasion. Karina n’est pas femme à s’encombrer de: « je devrais… ou encore, peut-être que je ne devrais pas… » Elle est rarement gênée par ces types de considérations et lorsque ces dernières surgissent dans sa tête, elle les élimine en deux temps trois mouvements.

Le mois d’août a été larmoyant et en ce début septembre, le soleil manque visiblement d’ardeur. Heureusement, pense Karina, que là où nous allons, nous bénéficierons sûrement de la générosité de ses rayons.

L’aube du 15 septembre se pointe, c’est le jour du départ et les sacs sont bouclés. Un voyage paisible de plus ou moins 4 heures et puis l’avion se pose en douceur.

Aussitôt qu’ils ont franchi la porte d’entrée de l’aérogare, Karina et Simon distinguent une sorte d’énergumène tenant à bout de bras une pancarte hideuse. Il hurle à tout venant et postillonne dans un porte-voix: « LSM, Luna, Sol, y Mar », les personnes pour le club « Luna, Sol, y Mar » par ici, « Club Luna, Sol y Mar ». Pendant qu’il débite son cri de ralliement, Karina se permet de chuchoter à l’oreille de Simon: « Qu’est-ce qu’il croit? Qu’on est sourd? Et quand bien même on le serait, on n’est pas aveugle pour autant. As-tu vu sa pancarte? Ce n’est pas ce qu’il convient d’appeler un chef d'œuvre graphique! »

Unis par la même idée, Simon et Karina décident de s’approcher. Aussitôt près d’eux s’agglutine un flot d’autres personnes. Tous les âges sont présents. Le type continue de lancer son cri de ralliement et un flot de gens continue de rejoindre les rangs. Déjà plus de 30 minutes se sont écoulées. Finalement armé de sa pancarte, Pierre-Jean, c’est comme ça qu’il se nomme, passe dans les rangs et commence à compter le bétail. C’est du moins l’impression que Karina ressent. Il effectue le compte, trois fois, sans doute pour s’assurer que le compte tombe juste, que toutes les têtes du troupeau sont là, sans exception. Soudain, pointant le doigt, d’un geste large, il indique la vague silhouette d’un autobus qui fait de pied de grue à l’extérieur tout au bout de la rue. Là-bas, vous voyez, dit-il, là-bas tout au bout. Le voyez-vous? Heureusement, comme personne n’est aveugle, tout le monde a vu. Par chance, personne ne se plaint de la distance qui semble importante. Pierre-Jean hurle alors un: « Tout le monde est prêt, on y va! » ce qui a pour effet d’activer le troupeau. Dehors il fait torride. Décidément, ce n’est pas une température engageante pour entamer une conversation. Karina et Simon avancent en silence, mais il leur semble que plus ils avancent en direction de l’autobus, plus celui-ci semble s’éloigner d’eux. Cela ne se peut pas. Ce doit être l’effet de la chaleur; ce genre d’impression ressentie lorsqu’on foule le sable du désert et que l’on croit apercevoir une oasis et qu’en fin de compte on se rencontre avec désillusion que ce n’est qu’un mirage. Heureusement dans le cas présent, l’oasis ne semble plus très loin. Ouf, pense Karina, un peu de fraîcheur ne peut que nous faire du bien. Simon qui possède toujours des relents de galanterie moyenâgeuse, légèrement démodée, laisse passer devant lui le troupeau en entier. Finalement, bons derniers, Karina et Simon grimpent dans l’autobus. Une surprise les attend. L’air conditionné se montre récalcitrant. Une chaleur d’enfer règne à l’intérieur de cette cage de fer. Heureusement, dès qu’elle prendra la route, en roulant, l’atmosphère de la cage sera plus supportable. Bénie soit la galanterie de Simon; voici que l’autobus démarre immédiatement. La route est encombrée et, de plus, il se trouve qu’il y a de multiples travaux. Si Karina n’a pas regardé sa montre, son instinct lui dit qu’il y a déjà un long moment qu’ils ont pris la route. La petite heure que devait durer le trajet, risque bien de se voir multiplier par le facteur 2 et, pire peut-être, même par un facteur supérieur.

Enfin, rien ne sert de se plaindre, la chaleur s’est faite plus supportable. Quant au corps il a la chance de se retrouver en position assise sur un banc qui, quoique défoncé, se trouve à la limite d’un confort acceptable. Soudain, Karina entend un bruit étrange. Une sorte de ronflement. Tout de suite, elle pense à un ennui mécanique. Bien vite elle remarque d’où ce bruit s’échappe. En fait, il sort de l’orifice buccal de Pierre-Jean, qui béant, laisse suinter ce bruit strident. Pierre-Jean s’est assoupi la tête contre la vitre. Pourvu que le chauffeur connaisse le chemin, dit Karina à Simon. Ce dernier lui façonne un sourire rassurant et répond: « voyons, ma chérie, sûrement; il ne peut en être autrement. »

La route est sinueuse et quasiment déserte. À perte de vue, rien qu’une végétation épaisse et touffue. Subitement après un virage en épingle, on aperçoit un immense complexe. Une sorte de luxueuse usine, entourée de palmiers géants. Montée sur un pilier, une inscription voyante renseigne le nom de l’endroit « Luna, Sol, y Mar ». Cette fois, nous y voici, dit Karina ravie à un Simon quelque peu endormi. Un coup de frein puissant et l’autobus s’arrête devant un bâtiment. Sur la porte il est écrit « Entrada » et chacun s’y engouffre avec rapidité. Chaleureusement accueillis par cette bienfaisante fraîcheur, tous se placent instinctivement en rang. En effet, il faut faire la file et attendre sagement que quelqu’un se décide à vous attribuer un numéro de chambre. Malgré la fatigue, on entend quelques personnes courageuses qui pépient et se risquent à entamer un semblant de conversation.

Karina et Simon, quand à eux, trouvent que ce n’est vraiment pas le moment de faire connaissance. Tous les deux n’aspirent qu’au silence. Non, plutôt de tout leur corps comme de tous leurs sens, ils aspirent à entendre le clapotis rafraîchissant de l’eau sortant en bruine fine d’un pommeau d’une douche. Finalement, après une longue attente, on leur remet une clé portant le numéro dix-huit.

Merveille, la porte de la chambre s’ouvre au quart de tour. C’est de bon augure. Le décor est banal mais semble confortable. Bien que le cagibi où se trouve la douche soit minuscule, il est, il faut le reconnaître, d’une propreté qui frise l’impeccable. Voilà qui est réconfortant! Puisque le site est de taille ridicule, c’est donc à tour de rôle qu’il faudra en user. Karina propose à Simon d’en disposer le premier. Simon, magnanime, offre son tour à sa moitié ravie. Aussitôt sous le jet, Karina se met à fredonner quand, soudain, aux oreilles de Simon retentit l’écho du juron familier. Tonnerre de merdouille! il n’y a plus d’eau, rugit Karina encore blanche de mousse. Quelques secondes prise au cœur du drame, puis un mince filet d’eau tout chétif renaît, redonnant à Karina un soupçon d’espérance. Elle saisit l’occasion pour se débarrasser des reliquats mousseux et décide de sortir sans demander son reste. Elle s’enveloppe dans un drap velouté et vient rejoindre Simon. La terrasse de la chambre a vue sur la piscine. Autour il y a un lot de tables et de fauteuils et tout derrière un long comptoir aux allures de bar.

Comme cette douche semble ne pas vouloir remplir sa mission, je pense aller me tremper dans cette piscine dont les reflets mouvants semblent me faire de l'œil, dit Simon. D’un signe de la tête, Karina acquiesce. En vitesse, elle enfile son maillot et par-dessus glisse sa robe de plage. En un éclair, Simon a revêtu son short de bain vert et tous deux quittent la chambre. Arrivé au bord de l’eau invitante, avec grande élégance Simon exécute un plongeon digne d’un vrai champion. Karina constate avec plaisir que l’homme de sa vie est encore en bonne forme et que, même s’il est un peu bedonnant, il est encore ma foi vraiment très séduisant.

Il fait chaud mais pas trop, il est vrai qu’il doit être près de 6 heures du soir. Profitant du décor Simon et Karina sirotent un cocktail. Ils restent en silence, car la musique d’ambiance est tellement puissante qu’elle empêche d’entendre. Le barman, le regard occulté par de sombres lunettes, à l’allure un peu énigmatique. Ce qui est étrange et il faut bien le dire, vraiment très peu fréquent, c’est que tout ici s’obtient sans argent. Même des cigarettes sont offertes aux fumeurs. C’est un drôle de sentiment et vraisemblablement c’est ce qui favorise le dépaysement. Soudain, une voix trouble l’air et annonce que le buffet du soir sera servi à partir de vingt heures. Cette voix invisible, puissante et rogue semblait sortir tout droit des entrailles de la terre.

À l’heure prévue, Karina et Simon, sentant que leur faim se fait plus insistante, décident de rejoindre la salle à manger. Elle ne fut pas difficile à trouver. Il leur a suffit de suivre les échos d’une musique endiablée. Arrivé sur les lieux, un autre énergumène, micro en main, explique l’horaire des activités de tous les jours de la future semaine. Il fait également mention de divers usages et règlements en vigueur sur le site. Tout semble avoir été planifié, organisé pour que chaque minute soit occupée par une activité. « Occuper et distraire au maximum les gens et ils n’auront plus le temps de penser par eux-mêmes, voilà notre but et notre mission » semblait être la devise de ce club. Et il semblait évident que les gens présents étaient venus pour ça. Pour qu’on les prenne en charge, qu’on leur dise quoi faire et surtout qu’on leur explique de quelles façons ils devraient s’y prendre pour se distraire et pouvoir s’amuser.

Karina complètement abasourdie par le bruit risque un commentaire à l’oreille de Simon. Évidemment dans un tel chahut, impossible, pour lui, de saisir ce qu’elle lui a dit. Mais il croit avoir compris et est entièrement de son avis. Tous les deux, comptaient sur des vacances reposantes. Ce qui est évident et parfaitement clair, c’est qu’ils vont devoir vivre une semaine entière dans un décor plus ou moins plaisant au cœur d’un tohu-bohu aux rythmes assourdissants.

Finalement, on annonce l’ouverture du buffet. D’un seul coup c’est la cohue vers la longue table où se trouvent étendues diverses nourritures, si longtemps attendues, il est près de 9 heures!

Après le buffet du soir, la coutume et l’usage du club veut que tous les vacanciers se retrouvent pour danser. Là aussi, il y a un meneur de fête, un maître d’œuvre qui va s’évertuer à vous faire tournoyer ou encore tenter de vous entraîner au cœur de rondes folles ou dans des jeux endiablés.

Karina et Simon commencent déjà à trouver l’expérience un peu moins amusante. Évidemment personne ne peut les obliger à rester pour cette soirée de danse. Ils décident de rejoindre le calme de leur chambre et d’aller se coucher.

Aussitôt la porte close, et malgré que toutes les fenêtres soient hermétiquement fermées, malgré que l’air conditionné émet un ronronnement puissant, la terrible musique parvient encore à s’immiscer et à se répandre dans leur intimité. Une musique d’enfer à réveiller les morts. Heureusement, comme ils sont éreintés leurs paupières se baissent. Vers les 4 heures, un cri tonitruant jaillit au cœur de l’aube et les fait tous les deux sursauter. Un plouf épouvantable! Quelqu’un vient de tomber tout habillé dans le creux de la piscine. Un accident, un suicide! Point du tout. Juste une plaisanterie pour amuser la galerie. En effet on entend des éclats de voix, de gros rires bruyants et des tonnes de cris qui résonnent puissamment.

Simon et Karina ne trouvent pas cela particulièrement plaisant. Cette petite escapade offerte par la chance, ils la voyaient vraiment différemment. Où donc aller chercher le calme et la détente dans ce club de vacances? Ils ont la nette impression qu’ils se sont égarés au cœur d’une immense fête foraine, baignant dans une atmosphère surchauffée et bruyante.

De plus, pour couronner le tout, pour faire tourner de l’œil à leur bonne humeur, c’est qu’ils ont appris que « El Mar », pero que si, si señor aqui hay el mar… que la mer, elle est bien là, mais pour avoir la chance de lui jeter, ne fusse qu’une œillade, il faut se taper plus de trois quart d’heure à pied. Le comble c’est que tout autour de cet éden, ce paradis, cette oasis de charme, il n’existe rien d’autre qu’un bled le plus complet. L’immensité désertique avec juste une seule et unique oasis peuplée de faune humaine et vraiment très bruyante.

Finalement, non sans peine, Simon et Karina parviennent à retrouver un sommeil passable. Surprise! vers les huit heures trente précises, voilà que la musique à nouveau recommence. Et puis, on entend une voix de stentor qui scande: « Et Un, et deux, et trois, et un et deux, et trois, et un, et deux… » Séance d’exercices physiques. Par malchance cela a lieu juste sous la fenêtre de leur chambre. Le professeur, un gaillard tout en muscles rutilants et sans tête, s’évertue à montrer les mouvements et à faire sauter en rythme et en cadence un troupeau obéissant.

Devant le tragi-comique de la situation, Karina est prise d’un fou rire; Simon qui met toujours un peu plus de temps à réagir, la regarde sans broncher. Quelques secondes se passent. Finalement Simon se décide à parler, mais l’essai est raté; le voici lui aussi au cœur d’un irrépressible fou rire.

Simon, mon chou, si nous examinions avec un peu de sérieux cette situation où nous a mis ma chance. Qu’en penses-tu? dit enfin Karina redevenue sérieuse.

Simon semble réfléchir; je ne vois pas d’autre alternative, dit-il enfin, que de prendre notre mal en patience en essayant d’éviter le pire. Si ou moins cet endroit n’était pas si loin de tout, on aurait pu envisager d’en sortir ou encore nous offrir des boules pour murer nos oreilles. Et dire qu’il y a des gens qui paient le gros prix pour venir s’étourdir et se détendre ici. C’est à n’y rien comprendre. Sans doute que l’on se souviendra longtemps de ta Madame Chance qui nous a menés au cœur de ce foyer de turbulences. Cependant, j’ai la nette impression que nous allons découvrir des choses intéressantes, ajoute encore Simon sur un ton très sérieux que Karina exècre car elle trouve qu’il lui donne un air de professeur pédant.

Pourrais-tu être plus explicite, très cher, dit Karina. Je ne peux saisir le sens exact de tes propos.

Écoute ma chérie, répond Simon, il n’est question que d’une petite semaine. Le bail n’est pas trop long. Je propose qu’on la mette à profit pour sonder l’âme humaine. Essayer de comprendre cette forme de comportement qui recherche l’évasion et la détente dans un site sans attrait et de plus aux antipodes du charme de la mer. Découvrir pourquoi l’humain possède un esprit si grégaire. Pourquoi éprouve-t-il ce besoin si fort d’être pris en charge par d’autres qui ont prévu pour lui tout ce qu’il doit faire. Cela m’étonne toujours. Mais il faut bien reconnaître qu’un grand nombre de gens ont besoin qu’on leur dise quoi faire. Dans le travail tout comme dans la détente ce genre d’attitude est fréquent.

Karina a écouté avec attention l’exposé du savant et partage son avis. Autant mettre à profit et tirer avantage de ce voyage qui ne pourra jamais, elle en est bien consciente, recevoir le titre « d’évasion agréable. »

Ton idée me paraît excellente, dit-elle et suite à tes sages paroles, je me sens soudain l’œil et l’âme psychologues. Je crois que je vais glaner et récolter des tas de notes. Qui sait, peut-être qu’à notre retour, j’aurais récolté assez de données pour rédiger un volumineux bouquin!

Allez venez, chère madame l’auteure, dit Simon d’une voix soudainement tendre. Par hasard, auriez-vous une idée de ce que nous pourrions faire, vous et moi, en toute confiance et dans l’intimité pour mieux apprécier les moments présents que nous avons à vivre?

Depuis le nombre d’années qu’ils partagent leur vie, Karina sait très bien ce que Simon veut dire. Une idée, voyons, oui je pense avoir une idée, et de plus, elle me semble excellente, répond Karina d’une voix malicieuse. Mais avant toute chose je crois qu’il serait préférable de tirer sur la corde qui pend et qui sert à fermer les rideaux.

C’est ici, cher lecteur, pour cause de discrétion, que ce récit s’achève. Cependant, avant de clore définitivement cette petite histoire, je crois de mon devoir de vous confier ceci : Karina est sur le point de publier un récit truffé d’anecdotes savoureuses. Sans conteste ce sera un succès.

En primeur, je vous en livre le titre: Une semaine de chance…

ou

Absente était la mer, les bruits omniprésents, le repos une utopie!

Marybé