L'éphémère Louis XVII
Louis-Charles naît le 27 mars 1785 à Versailles. Il est le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il a une sœur aînée, Madame Royale, née en 1778, ainsi qu'un grand frère, le Dauphin Louis-Joseph, né en 1781. Sa mère le décrit d’emblée comme un bébé rose, rond et fort, un « vrai enfant de paysan » ; et le surnomme « Chou d’Amour ».
Comme sa sœur et son frère, il est confié aux soins de la Duchesse de Polignac. Il est titré Duc de Normandie et dispose par ailleurs d'une Maison composée d'une quarantaine de personnes. Toutefois, n'étant pas voué à régner un jour, il est mis au second plan, d'autant plus que son frère est un petit garçon vif mais très fragile, qui monopolise l'attention de leurs parents.
Louis-Joseph décède le 4 juin 1789, rongé par la tuberculose osseuse. La même maladie qui a emporté leur oncle, le petit Duc de Bourgogne, frère aîné de Louis XVI. Et la même qui emportera plus tard Louis-Charles. Son aîné mort, le petit garçon de 4 ans devient le nouveau Dauphin de France. Sa mère l'adore et n'a d'yeux que pour lui.
Après la prise de la Bastille, la Duchesse de Polignac est contrainte à l'exil. La Reine opte alors pour la Marquise de Tourzel afin de reprendre la charge laissée vacante par Yolande. Marie-Antoinette présente son cadet comme un bel enfant bien portant, gai et gentil : « Mon fils a quatre ans, quatre mois moins deux jours. Je ne parle ni de sa taille, ni de son extérieur ; il n’y a qu’à le voir. Sa santé a toujours été bonne ; mais, même au berceau, on s’est aperçu que ses nerfs étaient très délicats, et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui.
Il a été tardif pour ses premières dents ; mais elles sont venues sans maladies ni accidents ; ce n’est qu’aux dernières, et je crois que c’était à la sixième, qu’à Fontainebleau il a eu une convulsion ; depuis, il en a eu deux ; une dans l’hiver 87 ou 88, l’autre à son inoculation, mais cette dernière a été très petite. […] La délicatesse de ses nerfs fait qu’un bruit auquel il n’est pas accoutumé lui fait toujours peur. Il a peur, par exemple, des chiens, parce qu’il en a entendu aboyer près de lui. […] Il est né gai ; il a besoin pour sa santé d’être beaucoup à l’air, et je crois qu’il vaut mieux le laisser jouer et travailler à la terre sur les terrasses que de le mener plus loin. »
Dès octobre 1789, la famille royale doit quitter Versailles et s'installe aux Tuileries. Louis-Charles vit assez mal ce transfert forcé, sous la menace des parisiennes et des gardes qui tiennent en haut de leurs piques les têtes des gardes du corps de la Reine. Aux Tuileries, il retrouve un semblant de vie de Cour, protégé par ses parents et sa tante, Madame Elisabeth. On le voit régulièrement sur les terrasses où il s'amuse et se déguise. En juin 1791, il fait naturellement partie du convoi visant à atteindre la place forte de Montmédy. Le retour, suite à l'avortement du projet, sous les huées de la foule, traumatise un peu plus cet enfant aux nerfs fragiles et dont la belle santé apparente commence à s'effriter. Les Tuileries sont prises d'assaut le 10 août 1792. Coincé avec sa famille dans la minuscule loge du logographe, le petit garçon passe la nuit aux Feuillants, avant d'être conduit au Temple le 13 août.
Il est logé dans un premier temps avec sa mère, sa sœur et sa gouvernante au deuxième étage de la petite Tour. Lorsque la famille intègre la grosse Tour, l'enfant vit avec son père au deuxième étage. Il ne retrouve sa mère, sa sœur et sa tante que durant les repas. Encore dans l'insouciance de sa jeunesse, le Dauphin joue dans la cour, s'amuse avec Madame Royale et s'applique dans ses leçons. La situation ne va toutefois pas durer. Dès décembre 1792, on le sépare de Louis XVI, dont le procès vient de débuter. Il loge donc au troisième étage.
Le 21 janvier 1793, le Roi est guillotiné. Marie-Antoinette s'agenouille devant son fils, devenu Louis XVII pour les royalistes. Les conditions de détentions durcissent et l'enfant, qui manque d'air frais, voit sa santé se dégrader. Il reçoit une centaine de visites de médecin en à peine trois mois et est d'ailleurs soigné pour une blessure faite au testicule (qui sera plus tard utilisée contre la Reine à son procès). De petite taille, Louis-Charles voit sa croissance fortement ralentir, comme son aîné en son temps. Le jour de son anniversaire, la Reine écrit sa taille dans une embrasure : « 27 mars 1793, quatre pieds, six pouces, trois lignes ».
Le 1er juillet, il est séparé de sa mère et confié aux mauvais soins du cordonnier Antoine Simon, qui indique : « Je veux lui faire donner quelque éducation ; je l’éloignerai de sa famille pour lui faire perdre l’idée de son rang ». L'enfant vit au deuxième étage, là où vivait son père, avec son "précepteur". Durant plusieurs nuits, Madame Royale entend son frère pleurer et appeler leur mère. Toutefois, après plusieurs jours de chagrin, son naturel enjoué reprend le dessus. Il reçoit plusieurs fois la visite du docteur Thierry, la nourriture est bonne et en quantité. Mme Simon « le gorgeait de bonne viande rouge et de pâtisseries » écrit l'historien Georges Bordonove. Simon lui donne du vin. L’enfant fait des promenades quotidiennes dans le jardin, reçoit un petit chien appelé Castor (ou Coco, selon les sources), obtient un billard, des oiseaux et joue avec Francine, la petite-fille de la blanchisseuse, Mme Clouet. Il est veillé par Mme Simon qui s’en occupe fièrement, elle l’habille de vêtements colorés et le change tous les jours.
En revanche, il ne reçoit plus le même enseignement qu'avec ses parents et sa tante.
Il lit la Déclaration des Droits de l’Homme et le Père Duchesne pour parfaire son éducation de petit républicain. Simon lui enseigne la Marseillaise et bon nombre de jurons qu’il apprend vite et s’amuse à répéter. Madame Royale raconte, dans ses mémoires, l’avoir entendu chanter la Carmagnole à tue-tête et injurier sa famille. Par ailleurs, un jour qu’un bruit de chaise s’entend chez le petit Roi, celui-ci s’exclame « Est-ce que ces sacrées putains-là ne sont pas encore guillotinées ? ». Le municipal de garde est profondément choqué par la façon dont Louis XVII parle de sa mère, de sa tante et de sa sœur. Il tutoie les gardes nationaux et les apostrophe, ceux-ci l’applaudissent lorsqu’il chante. Simon est fier de cet élève qu’il a rapidement su transformer. Mieux, l’enfant se plaît dans cette famille où il peut jurer et chanter, où il n’a plus de devoirs à faire ou de prières à réciter.
Le procès de la Reine est en préparation. Il n'y a pas grand chose contre la souveraine, mais Hébert veut sa tête. L'idée lui vient, avec Simon, de faire parler l'enfant pour qu'il reconnaisse avoir été victime d'inceste de la part de Marie-Antoinette et Madame Elisabeth. Tremblant, sans doute ivre, le petit garçon signe sa déposition. Mis face à face avec sa sœur, il maintient ses propos tandis que la jeune fille nie. Madame Elisabeth rencontre aussi son neveu (c'est la dernière fois qu'elle et sa nièce le voient) et est outrée par ce qu'il indique, sans pour autant lui en vouloir. Louis XVII ne se rend pas compte, à son âge, de ce qu'il dit.
Le 19 janvier 1794, Simon doit quitter son poste et on ne lui prévoit pas de remplaçant. Le petit garçon est alors livré à lui-même, dans une pièce (sans doute la salle à manger) qui reste fermée. On lui donne ses repas par un tour créé dans la porte verrouillée ou par un passe-plat s’il était dans la salle à manger. L’enfant est seul et malade. Il ne se lave pas, ne se change pas et dort dans son lit dont les draps ne sont jamais renouvelés. Il doit dormir dès la tombée de la nuit, afin de ne pas gaspiller de bougies pour l’éclairer. Les municipaux n’ont pas le droit de lui parler ou de l’approcher. Même Simon, qui pourtant le connait bien et l’apprécie, ne peut pas le voir davantage lorsqu’il prend son tour de garde. Il n’essaye même pas d’entrer en communication avec lui.
Après la chute de Roberspierre, Barras prend le pouvoir. Il rend visite aux deux petits prisonniers. Son compte-rendu fait état d'un endroit sombre, les fenêtres ayant été obturées par des hottes. L’odeur est pestilentielle. Des ordures sont éparpillées çà et là. L’enfant dort roulé en boule, il est livide, malade et en piteux état.
On tente de lever le jeune Roi, mais il crie de douleur et est recouché aussitôt. Ses vêtements de drap gris sont trop petits et trop serrés. Ses genoux, ses poignets et ses mains sont enflés, il souffre de la tête. Il ne dort presque pas et mange peu. Surtout, il parle à peine, voire pas du tout.
Barras renvoie les gardiens et place alors à la tête du Temple l'un de ses fidèles, Laurent.
Dans un premier temps, Louis XVII reste dans sa chambre fermée et non lavée. Il faut attendre fin août pour qu'il soit enfin pris en charge. L’enfant est lavé et changé par Laurent lui-même, il dort désormais dans un lit descendu du troisième étage et sa chambre est récurée du sol au plafond. Quelques mois plus tard, Laurent est rejoint pas Gomin, qui l'aide dans ses tâches. Le nouvel arrivant a décrit plus tard à l'historien Beauchesne le déroulement des journées de Louis-Charles : levé à 9 heures, il est lavé, habillé, sa chambre est nettoyée et son lit fait.
Il prend des fruits et du lait au petit-déjeuner. Il reste seul jusqu’au déjeuner, composé d’une soupe, de viande bouillie et de lentilles, qu’il prend à 14 heures. Il reste à nouveau seul jusqu’au dîner, à 20 heures, où il mange la même chose que le midi, sans la viande. Il se couche vers 21 heures. Malgré ces légères améliorations et un contact avec ses gardiens, le petit Roi voit sa santé, déjà plus que fragilisée, diminuer de jour en jour.
Début mars, Laurent quitte son poste, on le remplace par Lasne, qui tente d'aider au mieux, avec Gomin, le petit garçon. Dans le même temps, des pourparlers sont engagés avec l'Espagne et la Vendée pour envoyer Louis XVII et Madame Royale en exil, mais le sujet reste délicat et la Convention est frileuse à l'idée que ces otages de choix soient libérés. La question ne se pose pas longtemps, car l'enfant a la santé qui décline définitivement début mai. On lui envoie le Dr Desault. Le praticien est profondément bouleversé par l'état dans lequel il trouve ce petit garçon. Le sachant perdu, il ne s'acharne pas à le soigner, mais à améliorer ses derniers jours de vie. En réalité, la venue d'un médecin est bien trop tardive, la tuberculose osseuse a déjà fait ses ravages. Le Dr Desault décède peu après et se voit remplacé par le Dr Pelletan. Il visite l'enfant le 5 juin. Il revient le 7 juin. Le soir-même, Louis XVII est pris de diarrhées et de vomissements violents. Lasne et Gomin préviennent le docteur Pelletan qui refuse de se déplacer, n’estimant pas la situation alarmante. Il annonce sa venue avec le docteur Dumangin pour le lendemain matin, à 11 heures : « Au 20 prairial, à onze heures du matin. Nous avons trouvé le fils de Capet ayant le pouls déprimé, le ventre tendu et météorisé. Il y avait eu dans la nuit, et encore ce matin, plusieurs évacuations vertes et bilieuses. Cet état nous ayant paru très grave, nous avons décidé de revoir l’enfant ce soir, après avoir prescrit ce que nous avons jugé convenable. Signé : Pelletan, Dumangin ».
L'enfant prend ses potions à midi, données par Lasne et Gomin. L’enfant est pris d’un râle et d’une sueur froide. Gomin part au Comité de sûreté générale pour demander des ordres, Lasne écrit au docteur Pelletan, l’informant de la gravité de la situation. Après un moment de calme, il fait un signe à Lasne qui s’approche de lui. Pris de suffocations, il enlace son gardien, soupire et s’affaisse. Il est presque 3 heures de l’après-midi ce 8 juin 1795, Louis XVII vient de mourir.
On ordonne de ne prévenir personne du décès du jeune Roi et on agit comme s'il était encore en vie. Madame Royale n'est même pas informée de la mort de son frère. L'autopsie a lieu le 9 juin, elle est réalisée par les Dr Pelletan, Dummangin, Lassus et Jeanroy. Profitant d'un relâchement de ses confrères, Pelletan subtilise le coeur du défunt et le conserve durant des années. Le cadavre est mis en fosse commune au cimetière Sainte-Marguerite.
Pelletan ne réussira jamais à le remettre à la famille royale lors de la Restauration (et même après), Madame Royale et ses oncles ne croyant pas le médecin. Après moult péripéties, l'organe termine sa carrière à la Basilique Saint-Denis, à côté des tombes de Louis XVI et Marie-Antoinette.