De l'audace, encore de l'audace
Georges-Jacques Danton naît le 26 octobre 1759 à Arcis-sur-Aube. Il est le cinquième enfant et le premier garçon d’un couple de la petite bourgeoisie de province : Jacques Danton et Madeleine Camut. Le père de Danton meurt alors qu’il a 3 ans, il ne gardera aucun souvenir de lui. Sa mère se remarie avec un filateur, Jean Recordain, dont elle aura deux fils. De solide constitution, contrairement à ses sœurs dont deux meurent durant l’enfance, Georges est un garçon costaud que sa mère ne peut pas allaiter, elle confie donc cette tâche à une vache, ce qui était assez fréquent dans les campagnes à l’époque. On sait assez peu de choses sur son enfance, dont il ne reste quasiment aucune archive.
A ses 7 ans, il est attaqué par un taureau qui lui fend la lèvre en deux et lui écrase le nez. Il gardera toute sa vie ces séquelles d’enfance. Jusqu’à ses 8 ans, sa seule « éducation » (des bribes de lecture et d’écriture) lui était donnée par une vieille fille de son village. Mais, peu intéressé par les études, il préfère de loin aller nager dans l’Aube. Au même âge, sa mère, à laquelle il est très attaché, l’envoie dans une école d’Arcis-sur-Aube, tenue par des religieux. Mais il ne s’intéresse pas davantage aux études et sèche souvent les cours. A 10 ans, il attrape une infection pulmonaire et la variole, qui accentue sa laideur. Outre ses cicatrices, il a désormais le visage grêlé. Par compassion, sa mère tarde à lui faire donner une instruction digne de ce nom, mais finit par céder sous la pression de son frère et inscrit Georges au collège de Troyes, qui forme les futurs religieux. La vie cléricale n’étant pas pour lui, le jeune Georges parvient, au bout de deux ans, à convaincre sa mère de l’inscrire ailleurs. A 12 ans, il entre dans une école privée, toujours à Troyes, où il peut enfin briller malgré son écriture déplorable : il excelle en latin et fait preuve d’un véritable talent d’orateur. A 16 ans, il sèche les cours pour se rendre à Reims : il veut voir le sacre du nouveau Roi, Louis XVI. A son retour à l’école, il donne pour excuse d’avoir voulu voir la cérémonie par lui-même pour enrichir sa dissertation, avant d’avouer son erreur. Malgré tout, il reçoit la meilleure note !
A 19 ans, au printemps 1780, Danton quitte sa province natale pour Paris. Il lui faut se lancer dans une carrière, il sera avocat. Il entre en tant que clerc chez Maître Vinot, une connaissance de sa famille maternelle. Là, il apprend son métier de juriste pour passer ses examens et décrocher son diplôme. Après trois ans passés chez son employeur, Danton part pour Reims afin de s’inscrire à la faculté de droit, celle de Paris étant beaucoup plus stricte. A son retour dans la capitale à l’été 1783, il s’associe à Me Vinot et cherche lui-même ses futurs clients. Alternant avec son emploi, Danton fréquente les cafés parisiens, écoute les pensées philosophiques caractéristiques de ce siècle, converse à propos des problèmes financiers de l’Etat, des nouveaux impôts et de la crise qui s’abat sur la France. Tous ces éléments vont forger son opinion contre la royauté, le pousser à réclamer, plus tard, une démocratie. La vie de Danton se passe normalement, presque trop calmement. Au Palais de Justice, il est connu pour sa voix puissante et ses oratoires, il continue à chercher sa place au barreau. En 1787, il fait la connaissance d’un jeune avocat et journaliste, Camille Desmoulins. Tout les oppose, pourtant ils se lient d’amitié et leurs opinions se rejoignent sur bien des points. Mais, à l’été de cette année, Danton est ailleurs : il est amoureux. L’objet de son amour est Antoinette-Gabrielle Charpentier, fille d’un limonadier.
Si Gabrielle répond aux sentiments de Danton, le père est moins favorable à une union. L’avocat est jeune, il n’a pas de situation ni de revenus suffisants. Georges trouve une solution : il reprend, par lettres patentes royales, la charge de Me Huet de Paisy au Conseil du Roi. Un bond en avant pour Danton, qui doit malgré tout emprunter à sa famille, à la maîtresse d’Huet du Paisy et empiéter sur la dot de Gabrielle. Mais la charge en vaut la peine car elle est susceptible de rapporter 25.000 livres par an à l’avocat, et le fait de servir indirectement le monarque malgré ses convictions politiques ne le dérange guère. Le 14 juin 1787, il peut enfin épouser Gabrielle. Pour l’occasion, sa mère fait même le déplacement jusqu’à Paris.
En 1788, Danton est bien ancré dans sa profession et l’argent rentre enfin. Il s’installe donc avec son épouse Cour du Commerce et fait déposer une plaque où il fait écrire « Maître d’Anton, Avocat au Conseil ». L’appartement des Danton est un endroit animé. Georges y reçoit ses amis : Paré, qu’il connaît depuis l’adolescence, Camille Desmoulins et Fabre d’Eglantine. Mais la vie de famille commence réellement à l’été 1788 lorsque Gabrielle donne naissance à leur premier enfant, François. Début 1789, Danton rejoint le district des Cordeliers qui se forme dans son quartier. Il est partagé entre ses fonctions d’avocat, qui lui permettent de nourrir sa famille et de se loger, et ses convictions mises à rude épreuve par le climat socio-politique du moment. Parmi ces Cordeliers, Danton retrouve bien entendu ses amis Desmoulins, Fabre d’Eglantine et Paré, mais également le boucher Legendre, le comédien Collot d’Herbois, et le journaliste Jean-Paul Marat. Fin avril, Danton quitte Paris pour Arcis-sur-Aube. Son fils vient de décéder, il part donc l’enterrer dans sa terre natale, le cœur brisé.
A son retour, il apprend le coup de force des députés du Tiers-Etat menés par Bailly et Mirabeau, et le fameux serment du jeu de paume. C’est le moment pour lui de se jeter dans le bain politique en faisant abstraction de son poste au Conseil du Roi. Grand orateur, il aime à exciter les foules par ses discours, on l’entend souvent aux Cordeliers, prêt à motiver ses camarades, au Café de Foy ou au Procope. Au début de juillet, Desmoulins lui présente l’un de ses amis de collège, Maximilien de Robespierre, avocat originaire d’Arras et membre du club des Jacobins. Danton l’apprécie mais garde une certaine distance avec cet homme tout à fait à l’opposé de Camille.
Le 15 juillet, ayant raté l’évènement de la veille parce qu’il débattait au Procope, l’avocat se met en tête de « reprendre » la Bastille afin de se montrer devant les Parisiens, de prouver qu’il leur est attaché. Deux mois plus tard, il est élu président du district des Cordeliers et tient tête à Bailly et à la Commune. Malgré sa virulence, et contrairement à Camille – républicain convaincu – Danton songe encore que la royauté a de l’avenir. Il réclame seulement du changement, le pouvoir au peuple, une sorte de monarchie constitutionnelle, bien moins rigide que l’Ancien Régime. En octobre, la colère populaire reprend. Au district des Cordeliers, on placarde partout des affiches appelant au soulèvement. Le 5 octobre au matin, il fait sonner le tocsin et une horde de femmes marche sur Versailles pour en ramener, le lendemain, la famille royale.
Une semaine après l’installation de Louis XVI aux Tuileries, Danton va lui-même accueillir le Roi et le remercie d’avoir choisi de revenir dans sa capitale. Il ne s’agit pas là d’un calcul politique ou d’une moquerie, Georges croit sincèrement à une monarchie constitutionnelle qui reposerait sur les acquis de ce début de Révolution. Dès ce moment, des rumeurs de corruption circulent sur le compte de Danton. Pour Bailly et La Fayette, il est comme Mirabeau, mais pour la populace, un monstre acoquiné au Duc d’Orléans, vendu aux Anglais. Dès janvier 1790, une bataille politique oppose les membres de la Commune aux Cordeliers, qui en arrivent à une mini guerre civile, armes au poing. Deux mois plus tard, un mandat d’arrêt est lancé contre Danton qui, faisant appel aux 59 autres districts de Paris, montre l’abus de pouvoir de la Commune. Il est délesté de tout soupçon au mois de mai, son aura n’en est que grandie.
Danton est en quête de légitimité. Il est président des Cordeliers, héros du peuple, mais n’a aucune position politique réelle. Il se présente alors aux élections de la Commune pour la section du Théâtre-Français – les districts ayants été supprimés et remplacés par des sections, les Cordeliers ont dont été rajoutés à celle-ci (ce qui provoqua la création du Club des Cordeliers en mai 1790). Il est élu à une majorité écrasante, mais selon une règle de Bailly, un député doit être confirmé par 47 autres sections, et là Danton est rejeté. C’est une gifle monumentale qu’il digère très mal. Dans le même temps, Danton se rapproche du club des Jacobins où il entre avec Camille et Fabre, et où il voit l’importance qu’y a Robespierre.
Le 10 novembre, suite à une mutinerie contre des officiers royalistes à Nancy qui valut aux mutins d’être massacrés, Danton fait son grand retour au premier rang politique. Il monte à la tribune pour se faire entendre, accusant les ministres, choisis par le Roi, d’être contre les acquis de la Révolution et donc de trahir le peuple. Par ce discours, il parvient à obtenir leur renvoi et marque des points vis-à-vis des députés. De son discours découle une promotion politique à laquelle il ne s’attendait pas mais qui le satisfait grandement : il est nommé au conseil du département de Paris, le plus important de France, afin d’aider à le gérer. Il occupe ce poste dès le 2 février 1791 et voit son amertume, suite à son échec aux élections à la Commune, diminuer.
Lorsqu'en avril le Roi veut aller faire ses Pâques à Saint-Cloud avec des prêtres réfractaire, Danton en personne retient les chevaux de tête et le projet est annulé. Ce n'est pas tant le souhait de Louis XVI qui le dérange, mais les rumeurs de fuite de la famille royale. Au passage, il discrédite son ennemi, La Fayette. Le 21 juin, Danton est réveillé en hâte : la famille royale a pris la fuite. Il rejoint l’Hôtel de Ville avec Fabre et Camille où c’est le chaos total, puis se rend au club des Jacobins où doit se tenir une réunion. Sur son passage, on scande son nom, il est fier. Mais surtout, ses opinions politiques viennent de changer. Le Roi a fui, il a trahi son peuple. Le stade de la monarchie constitutionnelle est dépassé, il faut une République. Georges profite de l'animosité générale envers Louis XVI pour en faire la cible de ses discours.
La tension est à donc à son comble à Paris et la fête de la Fédération, le 14 juillet, n’a plus le même attrait que l’année passée. Danton et les Cordeliers rédigent une pétition à placarder sur l’autel du Champs-de-Mars afin de militer contre la réhabilitation de Louis XVI suite à sa fuite manquée.
Suivis par les Jacobins, les Cordeliers défilent dans un but pacifiste pour faire entendre leur point de vue, mais aussitôt le conflit éclate, la Garde Nationale fait tirer sur la foule. Danton et Desmoulins sont invités à prendre le large, des canons sont dressés devant le club des Cordeliers, les journaux de Camille et Marat sont interdits. Georges fuit alors vers Arcis-sur-Aube, laissant Gabrielle seule à Paris, puis de là il part pour l’Angleterre. A Londres, il loge à Soho chez Thomas Christie, un républicain convaincu. Il fréquente les milieux républicains et s’étonne de leur enthousiasme vis-à-vis de la Révolution. Six semaines plus tard, en septembre, il rentre enfin en France, sur demande expresse de Camille et Fabre.
La Commune blanchit tous les participants, supposés ou réels, de la fusillade du Champs-de-Mars. Danton ne risque donc plus rien, il peut reprendre le cours de sa vie en politique. Des élections sont en préparation pour remplacer l’Assemblée Constituante, il veut faire partie des députés qui seront le nouveau visage politique de la Révolution. Mais, une fois encore c’est un échec et il n’est pas élu, puisque ceux qui le soutiennent corps et âme sont les gens du peuple, donc ceux qui ne peuvent pas voter.
En novembre, de nouvelles élections se préparent. A 32 ans, Georges est élu substitut du procureur. Une nouvelle charge, un nouveau revenu et la fin de ses échecs à répétition. Trois mois plus tard naît son 3e fils, François-Georges, février 1792. Rapidement, la politique reprend le dessus. La guerre face aux puissances européennes commence en avril. Georges désapprouve l'invasion des Tuileries le 20 juin, toutefois le couple royal reste sa cible privilégiée. Le 25 juillet paraît le manifeste de Brunswick. La place de Louis XVI est fragilisée, Danton a derrière lui des bataillons provinciaux venant de Bretagne et de Marseille (qui ramènent avec eux un certain Chant de guerre pour l’armée du Rhin qu’ils fredonnent en chemin : « Allons enfants de la patrie… »). Danton le sait, bientôt son heure va arriver. Il concocte un plan qui vise à éliminer une bonne fois pour toute la royauté.
Il part quelques jours à Arcis-sur-Aube mais, pressé par Camille, il revient à Paris le 9 août et donne ses dernières instructions avant d’aller se coucher vers minuit. Une heure plus tard, Desmoulins, le fusil à l’épaule, le réveille. Gabrielle tremble pour son mari, mélangée entre la peur de ne plus le revoir et l’immense admiration qu’elle éprouve pour lui. Danton fait sonner le tocsin, rassemble ses troupes improvisées et se rend à l’Hôtel de Ville. Un conflit éclate entre Danton et Mandat, le remplaçant de La Fayette à la tête de la Garde Nationale et Mandat finit avec une balle dans la tête. Georges est ébranlé : le sang vient de couler une première fois en cette journée du 10 août, et ce n’est que le début. Il se dirige ensuite vers les Tuileries qui sont prises d’assaut tandis qu’il va à la Commune qu’il ne quittera qu’une seule fois, pour mobiliser de nouveaux émeutiers. Le soir, il retourne chez lui, dîne et s’écroule de fatigue.
Tôt le lendemain, il est réveillé par Desmoulins : il est nommé ministre de la Justice. Son coup d’Etat de la veille a porté ses fruits, il dispose enfin de la place politique qui, il l’estime, lui est due. Sa mission à la Justice s’annonce rude. La fièvre populaire n’est pas encore apaisée, après avoir mobilisé les troupes il doit maintenant les canaliser et les calmer. Il doit également rallier de nouveaux patriotes pour aller se battre au front et met en place plusieurs mesures de recrutement ainsi qu’un système de perquisitions domiciliaires pour traquer les traîtres à la Nation. Une mesure exagérée qu’il ne tarde pas à regretter parce qu’elle appelle à la délation et que rapidement les prisons se remplissent de « traîtres », plus ou moins réels. Continuant sur sa lancée, le 2 septembre il monte à la tribune de la Convention pour déclamer, main sur le cœur, le discours de sa carrière : « Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. » Marat lui emboîte le pas et fait de même dans son journal, l'Ami du peuple. Les massacres de septembre dureront toute la semaine. Parmi les victimes se trouve la Princesse de Lamballe, amie de Marie-Antoinette.
Durant son mandat, Danton doit affronter le ministre de l’Intérieur, Roland, un Girondin qui lui est particulièrement opposé. Epoux de Manon Roland, qui tient un salon révolutionnaire réputé, il partage l’opinion de sa femme à propos du chef des Cordeliers, qu’ils jugent comme un paysan mal dégrossi, comme un rustre et une brute corrompue. Nombreux sont les députés Girondins à ne pas l’apprécier, ce qui n’empêche pas Danton de fréquenter le salon de Mme Roland. Cette opposition va farouchement durer jusqu’à la chute des Girondins. Mais pour l’heure, Danton se sent impuissant face à la vague de massacre dans les prisons. Pour ses détracteurs, son discours est la cause de tout et c’est lui qui a tout le sang sur les mains ; il s’en défend, accusant Marat et son journal à demi-mot. Il est simplement effaré devant tant de violence et tente de tempérer les plus extrémistes des Jacobins.
Le 21 septembre 1792, la monarchie est abolie et la République « une et indivisible » est proclamée. Danton est élu à une forte majorité comme député à la Convention avec un score deux fois plus grand que celui de Robespierre, et surtout le plus important de tous les députés de Paris. Aussitôt, des clivages se forment. Tandis que la Plaine reste neutre, les Girondins de Roland et Brissot s’opposent catégoriquement aux députés Montagnards dont fait plus ou moins partie Danton qui, pour éviter le cumul des mandats, renonce à sa place de ministre de la Justice le 9 octobre. Maintes fois, il est victime d’accusations émanant des Girondins, il serait corrompu, aurait effectué des dépenses inconsidérées. Réelles ou non, les accusations sont réfutées par Danton qui présente les rapports de son budget, avec recettes et dépenses, et rien ne paraît anormal. Malgré tout, les accusations continuent.
C’est dans ce climat de tensions, aussi bien à la Convention que dans les rues, que commence à se poser la question du sort du Roi. Pour les Girondins, l’exil ou la prison suffisent, mais pour les Montagnards, la mort est la seule issue probable. Il est très possible que Danton, à l’instar des Girondins, n’ait pas voulu la mort de Louis XVI et aurait tenté de le sauver s’il avait pu le faire sans risquer de chuter avec lui. D’ailleurs, son séjour en Belgique 10 jours avant l’ouverture du procès, le 11 décembre, le prouve ; il est mal à l’aise dès que le sujet est abordé. Néanmoins, à l’heure de voter la mort ou l’exil, sachant qu’il ne peut plus rien faire pour le Roi, Danton déclame un discours de son cru : « on ne compose point avec les tyrans ! » avant de suivre la majorité plus une voix condamnant Louis XVI à la peine de mort.
La Fayette, passé à l’ennemi, a été remplacé par le Général Dumouriez, que le chef des Cordeliers a du mal à cerner. Mais il ne faut pas froisser le militaire, alors il met de l’eau dans son vin et accepte beaucoup de décisions de celui qui vient de remporter la bataille de Valmy, une victoire inespérée. En parallèle, Danton tente de nouer des liens diplomatiques avec plusieurs pays dont l’Angleterre, où il essaye d’inciter William Pitt, le premier ministre, à rester neutre dans le conflit. Il entretient toujours des relations avec des prorévolutionnaires Anglais dont Thomas Paine, dit « Tom le Fou », afin d’exporter la Déclaration des Droits de l’Homme outre-Manche. Danton envoie également des émissaires sur le Rhin, dont Fabre d’Eglantine et François Westermann, afin de tempérer Dumouriez et de répondre aux exigences du Duc de Brunswick pour qu’il évacue ses troupes. Les ennemis de Danton affirment qu’il aurait pioché dans le garde-meuble royal pour payer un pot de vin à Brunswick, ce qui, selon certains historiens, serait peu probable, le Duc étant alors la première fortune de Prusse. Selon eux toujours, l’Autriche et la Prusse étant toujours rivales, elles n’ont plus à laisser leurs troupes respectives s’enliser dans la zone de Valmy tandis que d’autres fronts peuvent s’ouvrir ailleurs. A l’inverse, les admirateurs du chef des Cordeliers l’applaudissent et l’acclament, il est au sommet de son prestige.
Durant les mois de décembre à février, Danton fait moult allers-retours entre Paris et Liège où il tente d’amadouer Dumouriez et de le faire rentrer dans les rangs patriotes, quand on commence à le soupçonner d’être resté fidèle à la monarchie. Pour le chef des Cordeliers, la France doit se limiter à ses frontières naturelles, et donc par la même occasion annexer la Belgique. En outre, l’embrasement de l’Europe suite à l’exécution de Louis XVI l’inquiète. Et comme les conditions de l’union franco-belge traînent en longueur, Danton repart début février à Liège, laissant Gabrielle, de nouveau enceinte, seule et faible. Il profite de ses longs séjours pour se divertir à l’opéra et auprès de prostituées locales, sans pour autant altérer ses sentiments envers son épouse.
Le 15 février, il reçoit un message de Desmoulins : Gabrielle est décédée le 11 des suites d’un accouchement, et le petit garçon est mort-né. Il laisse échapper un cri de douleur et se précipite à Paris où il retrouve, le 16, son logement mis sous scellés. Il n’a pas pu assister son épouse durant ses dernières heures, il se rend compte qu’il l’a négligée. Danton va alors recruter un sculpteur et se précipite au cimetière Sainte-Catherine où Gabrielle repose depuis presque une semaine. Il aide l’artisan à déterrer le cercueil, l’ouvre, enlace le corps grisâtre de sa femme et y dépose plusieurs baisers. Par la suite, il demande au sculpteur de faire un moulage du visage de Gabrielle afin d’en faire un buste qu’il installe chez lui. Durant plusieurs jours, Danton, terrassé par le chagrin – et toujours très excessif dans ses réactions – déserte la Convention et reçoit bon nombre de lettres de condoléances dont une de Robespierre. De leur côté, les Cordeliers et une partie des Jacobins se plaisent à répandre le bruit affirmant que Gabrielle a été « tuée » par les Girondins. Ils auraient tellement attaqué son époux chéri qu’elle se serait affaiblie avant de succomber, mais Danton ne réagit pas.
Ce qui le sort de sa torpeur, c’est l’évolution du côté de Dumouriez. L’invasion prévue en Hollande tourne au désastre. Il repart donc à Liège puis Bruxelles pour tempérer le général furieux. Danton choisit de laisser Dumouriez à la tête de l’armée, mais regrette rapidement son choix d’autant que, début avril, le général passe dans le camp autrichien. En parallèle, un nouveau conflit éclate, mais à l’intérieur cette fois. Une rébellion se crée en Vendée et en pays de Loire contre la Révolution, contre la mort du Roi, contre la laïcisation du pays. Face à ces fronts intérieurs et extérieurs, Danton entre dans la bataille et réclame encore plus d’hommes prêts à se battre pour défendre la Nation.
Suite à une longue séance à la Convention le 10 mars, Danton suggère une nouvelle proposition, prémice de la Terreur. Afin d’éviter un nouveau bain de sang comme celui de septembre 1792, il est décidé de créer un tribunal révolutionnaire qui assurera la justice et évitera aux citoyens de la rendre par eux-mêmes. Il ne s’agit là, ni plus ni moins, que d’un appel à la délation. En outre, il lance l’idée de l’ouverture du Comité de Salut Public, le 6 avril, comme nouvelle structure de pouvoir sous les ordres de la Convention. Un nouveau moyen de diriger la France à une période où tout est plus ou moins flou, et où on ignore encore quelle sera l’issue de la Révolution. Danton y passe alors beaucoup de temps et ne quitte la salle verte des Tuileries où le Comité s’est installé que pour manger au Procope et dormir Cour du Commerce, chez lui. Les tensions au sein de la Convention continuent de battre leur plein, les députés s’opposent, Robespierre, assisté d’un jeune député de ses amis, Saint-Just, commence à se dresser et s’affirmer de plus en plus. Dans les rues, Danton, proche des sans-culottes qui l’admirent, constate l’essor de la violence et des délations. L’été 1793 voit s’installer la Terreur. Les exécutions s’enchaînent, le tribunal révolutionnaire voit son rythme s’accélérer. Danton redoute que sa « création » ne devienne une machine qui s’enraye et dévie de sa trajectoire en éliminant bien plus de faux patriotes qu’elle ne devrait. Il tente de freiner le système judiciaire mais c’est déjà trop tard. Du côté de la Convention, les oppositions entre Girondins modérés et Montagnards extrémistes ne cessent pas. Danton tente plusieurs trêves, des discussions pour ramener les Girondins à plus de coopération, en vain. Les attaques girondines contre le clan Montagnard vont les plonger dans leur chute, et début juin ils sont arrêtés et mis en prison. Roland parvient à s’échapper, ainsi que Buzot, l’amant de Manon Roland qui est elle aussi arrêtée. Danton est touché par la chute de la partie modérée de la Convention, néanmoins il n’agit pas contre, au risque de tomber lui-même.
Alors, pour oublier ses tracas, Danton se consacre à un projet plus tendre et apaisant. Quatre mois après la mort de Gabrielle, il prend pour nouvelle épouse une jeune fille de 16 ans, Louise-Sébastienne Gély. Cette adolescente vivait dans l’appartement au-dessus des Danton, elle était l’amie de Gabrielle et gardait les petits Antoine et François-Georges qui la voyaient comme une grande sœur. Suivant les dernières volontés de sa première femme, Danton épouse donc Louise le 17 juin 1793 à l’Hôtel de Ville en présence de Desmoulins, Lucile, Fabre, Paré et quelques autres Cordeliers. Et pour plaire à sa jeune épouse, il accepte même une célébration religieuse avec un prêtre réfractaire, et pour seuls témoins les parents de Louise.
Mais cet interlude de douceur apporté par Louise lui nuit plus qu’il ne le pense. Il est moins assidu à la Convention et au Comité de Salut Public où il n’est pas réélu et perd sa place, au profit de Robespierre. Après l’assassinat de Marat le 14 juillet, et vu le poids relatif d’Hébert, le rédacteur du Père Duchesne, Danton comprend que désormais, son principal rival politique, c’est Robespierre. Délaissant volontiers sa place au Comité, il se tourne vers la Convention où il fait un retour en force. Il vise de nouveaux mauvais patriotes : les agioteurs, les accapareurs, ceux qui gagnent de l’argent sur le dos de la Nation – sans trop mettre en avant son ami Fabre qui est impliqué dans le scandale de la Compagnie des Indes. Il se lance également dans une campagne visant à rendre l’éducation accessible à tous et offerte par l’Etat : pour lui, l’avenir de la France, ce sont les jeunes générations à former, l’éducation étant le second besoin du peuple après la nourriture. Début septembre, Danton est réélu au Comité de Salut Public mais il refuse le poste pour mieux se consacrer à sa place de député, et ce malgré les conseils de ses proches. Il laisse peu à peu du terrain libre à Robespierre, et il a beau revenir au premier plan politique, il est moins vigoureux qu’auparavant.
Un jour, il confie à Camille être « saoul des hommes », il veut s’aérer. Le procès de Marie-Antoinette est d’actualité, on en parle de plus en plus, Danton évite le sujet. Il est très probable qu’il ait entrepris des négociations avec l’Autriche visant à échanger la Reine contre des prisonniers Français, mais il se rend compte que c’est impossible sans se mettre en danger lui-même, et rien n’aboutit. A la veille de l’ouverture du procès, il emmène femme et enfants à Arcis-sur-Aube, prétextant une longue convalescence. Ce dernier retour aux sources est une grave erreur stratégique et va lui coûter très cher. Beaucoup de députés s’étonnent de son manque de vigueur, de ses absences répétées. On commence à le voir comme un traître à la Révolution, s’éloignant pour mieux comploter, on le dit proche de Dumouriez, corrompu à sa solde et à celle des royalistes. Desmoulins le supplie de revenir à Paris, ce qu’il fait le 20 novembre, après avoir appris l’exécution des ministres Girondins et de Manon Roland.
De retour à la capitale, Danton fait savoir qu’il est de nouveau là et fait taire une partie des rumeurs le dénonçant comme traître. Mais c’est trop tard, Robespierre est bien ancré au Comité de Salut Public, il détient le pouvoir et encourage fortement la Terreur que Danton tente de ralentir, sans résultat. Un véritable combat politique s’instaure entre les deux hommes forts de la Révolution. Début décembre, Georges et Camille lancent un nouveau journal, le Vieux Cordelier, où ils appellent à la fin de la Terreur, à la clémence de Robespierre, ils y dénoncent les abus du tribunal révolutionnaire dont le rythme ne cesse d’augmenter. Au bout de cinq numéros, le journal est stoppé et interdit par le Comité de Salut Public, Robespierre renie publiquement Desmoulins, appelle à ce que le journal soit brûlé au sein-même de la Convention. Le 13 mars, Hébert, rédacteur du Père Duchesne est arrêté pour avoir voulu mettre fin au « règne » de Robespierre, puis est exécuté. Les députés baissent la tête et ne réagissent pas. Danton reste prudent. Il prononce un discours visant à apaiser les tensions et la colère des sans-culottes. C’est son dernier discours à la Tribune de la Convention. Il tente plusieurs rapprochements avec Robespierre afin de trouver un terrain d’entente, sans jamais rencontrer de succès.
Le 30 mars, de nuit, Danton apprend qu’un ordre d’arrestation a été prononcé contre lui, Camille, Fabre et d’autres Cordeliers. On les incite à fuir, il veut se défendre et se laisse emmener au Palais du Luxembourg, devenu une prison. Le bruit se répand rapidement dans Paris, et Legendre, le boucher membre des Cordeliers, tente une intervention à la Convention, mais sans résultat. Les députés redoutent trop Robespierre pour réagir et abandonnent Danton, Desmoulins et leurs amis à leur sort. Le 2 avril, ils sont transférés à la Conciergerie et attendent leur procès qui s’ouvre le lendemain. Le procès démarre lentement, dans la chaleur et les tensions. Aucun mouvement populaire ne vient troubler la procédure. Danton se défend avec acharnement, refusant tout avocat : ne l’est-il pas lui-même ?
Il se rend rapidement compte que le procès est truqué, il y a peu de témoins fiables, on les empêche de parler, lui et Camille se révoltent contre l’injustice dont ils sont les victimes. On accuse Danton de traîtrise, de complot, de corruption, il répond à chaque chef d’inculpation comme il le peut. Le 5 avril 1794, le procès est clos et la décision rendue : ils sont condamnés à mort. Le soleil va bientôt se coucher, il faut se hâter d’exécuter tous les accusés avant qu’il ne fasse nuit. Le convoi composé de trois charrettes quitte la Conciergerie vers 16 heures et va jusqu’à la place de la Révolution. Danton s’efforce d’être calme et jovial pour tenter de remonter le moral de ses compagnons, dont Camille qui tourne en rond dans la charrette depuis qu’il sait que Lucile, son épouse, a aussi été arrêtée. Sur le chemin qui le mène à la mort, Georges passe devant la maison Duplay où loge Robespierre. Il la montre du doigt en criant « Tu seras le prochain, tu me suis ! ».
Un par un, Danton voit ses compagnons d’infortune monter à l’échafaud et mourir sous ses yeux, il est le dernier à passer. Au moment où son ami Hérault de Séchelles s’approche pour l’enlacer une dernière fois, le bourreau les sépare. Danton rugit : « Imbécile ! Empêcheras-tu nos têtes de s’embrasser dans le panier ? ». Lorsqu’il se colle contre la planche pour y être lié, il se tourne vers Sanson et lui dit : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ». Danton, comme ses amis, sont inhumés dans une fosse commune du cimetière des Errancis, là où est aujourd’hui situé le parc Monceau.