Le soufre et l'arsenic
L’affaire des poisons débute réellement en 1679. Cependant, plusieurs faits divers survenus quelques années auparavant vont donner le ton de ce que seront les années 80 du XVIIe siècle et de cette affaire criminelle sans précédent qui est restées dans les annales de la justice.
En 1670, alors qu’elle venait d’aider à la signature d’un traité entre son frère, Charles II d’Angleterre, et son beau-frère, Louis XIV, Henriette d’Angleterre, dite Madame, est prise de douleurs au ventre après avoir bu un verre de chicorée. Si l’autopsie n’aboutit pas à la conclusion d’un empoisonnement mais d’une mort naturelle, le bruit circule quand même à la Cour. La seconde Madame, Princesse Palatine, songera que celle qui l’a précédée a été empoisonnée sur demande du Chevalier de Lorraine par le biais du Marquis d’Effiat, tous deux mignons de Monsieur et ennemis de la jeune et belle Madame. Pourtant, aucune trace de poison n’a été relevée dans la chicorée, donnée également à un chien qui n’en est pas mort. L’idée que c’est la tasse qui a été empoisonnée circule. Depuis l’assassinat d’Henri IV, on redoute un régicide, ou la mort d’un membre de la famille royale. L’affaire ne va pas plus loin.
Henriette d'Angleterre, Duchesse d'Orléans
Par la suite, une nouvelle affaire criminelle, basée sur le poison, éclate. Mariée jeune au Marquis de Brinvilliers, Marie-Madeleine Dreux d’Aubray entretient rapidement une liaison avec un ami de son époux, le Chevalier de Sainte-Croix. Envoyé à la Bastille sur demande du père de la Marquise qui n’apprécie pas les frasques de sa fille, il y apprend l’art des poisons grâce à un codétenu, l’Italien Exili, puis finit par être libéré. Le couple ayant besoin d’argent, Sainte-Croix initie sa maîtresse aux poisons et à l’alchimie, et tous deux décident d’accélérer le processus d’héritage en empoisonnant petit à petit le père de Marie-Madeleine. En huit mois, elle parvient à ses fins et peut récupérer sa part d’héritage, mais rapidement ça ne suffit plus. Elle tente alors d’empoisonner son époux, mais Sainte-Croix, pris de remords, lui administre un contrepoison qui lui permet de rester en vie. Désormais, le Marquis se méfie de son épouse. Marie-Madeleine décide alors d’empoisonner ses frères pour récupérer leurs parts de l’héritage paternel. Sainte-Croix recrute un certain La Chaussée qu’il fait placer au service des frères de sa maîtresse, et ceux-ci décèdent en 1670, à quelques mois d’intervalle. Ce n’est qu’à la mort accidentelle de Sainte-Croix lors d’une expérience alchimique que la Brinvilliers va être menacée. En brouille avec son amant, celui-ci lui a fait signer des reconnaissances de dettes qu’il a mises dans un coffret avec ses lettres où elle avoue clairement sa culpabilité.
Torture de la Marquise de Brinvilliers
Sur la demande de Marie-Madeleine, La Chaussée tente de récupérer le coffret compromettant chez Sainte-Croix mais son insistance à vouloir le prendre met la puce à l’oreille de la police qui finit par l’ouvrir. Découvrant toute l’affaire, ils cherchent à arrêter la Brinvilliers, mais celle-ci a déjà fui vers l’Angleterre, puis plus tard vers la Belgique et les Pays-Bas où le policier François Desgrez parvient à l’arrêter. Son procès s’ouvre le 29 avril 1676 et va durer 3 mois. Reconnue coupable d’empoisonnement sur les personnes de son père et de ses frères, et de tentative d’empoisonnement sur son mari et sa belle-sœur, elle est condamnée à être décapitée et son corps brûlé. Soumise à la question ordinaire et extraordinaire, elle subit le supplice des seaux d’eau à avaler (16 litres en tout !), accrochée à des cordes par les poignets et les chevilles, le dos soulevé par un tréteau. Le 16 juillet, elle est exécutée en place de Grève. La Marquise de Sévigné écrit alors à sa fille : « Enfin, c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air : son pauvre petit corps a été jeté après l’exécution dans un fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons et, par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous seront tous étonnés ».
Madeleine Guéniveau vient de perdre son époux, Robert Minet, sieur de La Grange. Elle aime le luxe, les belles tenues et les bijoux, et pour maintenir son train de vie, elle se met en ménage avec un vieil avocat, célibataire endurci, Maître Jean Faurye. Au bout de 8 ans de vie conjugale, l’avocat se lasse de sa maîtresse très exigeante et qui en demande toujours plus, voulant vivre « en Reine ». Mais il n’a pas le temps de la quitter, il meurt brutalement. Ses neveux, alors ses héritiers, montent à Paris et sont étonnés de trouver Madeleine leur montrant un contrat de mariage et prétendant être la veuve de Me Faurye, lui qui avait juré de ne jamais se marier. Soupçonnant l’arnaque, les neveux portent plainte au Châtelet et Madeleine et son complice, le curé Léonard Nail, sont arrêtés. La condamnation à mort étant à prévoir, Madeleine tente de prolonger sa vie en parlant d’un complot visant à assassiner Louis XIV et son fils le Dauphin. Intrigué, le Roi donne l’ordre à Michel de Louvois – et donc à Gabriel-Nicolas de La Reynie, lieutenant général de police – de la faire transférer à la Bastille pour mieux l’interroger sur ce qu’elle sait à propos de ce complot. Devineresse et vendeuse de poisons, elle prétendait prévoir ce qui se passerait si on la laissait libre de ses mouvements, voire si on la libérait. Sa machination a donc échoué, car elle repart pour le Châtelet où elle et son amant Nail sont condamnés à mort.
Dans le même temps, La Reynie est en charge d’arrêter et d’emprisonner un certain Chevalier de Vanens, la Finette, sa maîtresse, ainsi que La Chaboissière son complice. Outre l’alchimie qui leur permettrait de fabriquer de l’argent et de l’or, Vanens était accusé de composer de nombreux poisons, de faire mourir des gens avec plus ou moins de rapidité mais toujours aussi efficacement, de fournir bon nombre de personnes, aussi bien les devineresses que des gens de la Cour, en poisons, et enfin, il est soupçonné d’avoir empoisonné Charles Emmanuel II de Savoie alors qu’il était à Turin en compagnie de ses complices, le couple Bachimont, à qui Vanens tentait d’enseigner l’art de fabriquer de l’argent. En décembre 1677, François Desgrez, fin policier de La Reynie, arrête à Paris toute la bande et l’expédie au Châtelet.
Fin 1678, un avocat, Me Perrin, dénonce deux femmes se vantant de faire fortune en disant la bonne aventure à de grandes dames et en leur vendant du poison pour se libérer d’un mari ou d’un parent gênant. Desgrez les fait alors arrêter. Marie Bosse, ses enfants Manon, François et Guilaume, et Marie Vigoureux sont enfermés au donjon de Vincennes, et leurs aveux commencent. Devineresses et empoisonneuses, elles font également dire des messes vouées à faciliter les mariages et les décès. En outre, elles connaissent la de La Grange et son amant Léonard Nail. Interrogée à ce sujet, Madeleine de La Grange, soumise à la torture, nie avoir vu récemment La Bosse et La Vigoureux. Son procès trainant en longueur et ses aveux n’apportant rien de plus à l’affaire, elle et Nail sont brûlés vifs en place de Grève, début décembre 1678. Durant le procès de La Bosse, celle-ci dénonce une de ses commères, Catherine Montvoisin, dite La Voisin, ainsi que les noms de ses clientes dont Mme de Poulaillon, essaye de prendre la fortune de son vieux mari pour entretenir son amant, et faute d’y parvenir a tenté de nombreuses fois de l’empoisonner sans jamais y parvenir.
L’évolution de cette affaire qui s’annonce complexe pousse Louis XIV à vouloir accélérer les procédures, d’autant que les aveux des prisonniers laissent à penser que le réseau d’empoisonneurs, alchimistes et devineresses est immense et bourré de ramifications, dépassant largement le cadre de la capitale. Ne voulant pas confier cette affaire au Parlement de Paris, Louis XIV crée la Chambre Ardente le 7 avril 1679, avec pour but de juger et clore cette affaire le plus rapidement et discrètement possible, sans en alerter la population. Lorsqu’une personne est arrêtée, elle est interrogée. Si on estime qu’elle peut apporter de nouveaux éléments, elle est gardée, réinterrogée, puis apprend sa condamnation, soumise à la question ordinaire et extraordinaire, et enfin exécutée.
La Voisin face à ses accusateurs
Le 12 mars 1679, François Desgrez arrête La Voisin, dénoncée quelques mois plus tôt par La Bosse. Interrogée, elle avoue faire commerce de poisons, être devineresse et faiseuse d’anges, autrement dit avorteuse. Les fœtus ou prématurés étaient alors incinérés dans un four caché derrière une tapisserie, ou enterrés dans son jardin.
Toutes ces dénonciations entraînent de nouvelles arrestations, dont celle de La Lepère, complice et collègue de La Voisin, mais aussi de La Chéron, de La Trianon et de Lesage, ancien amant de La Voisin, mais surtout pendant un temps son complice et déjà emprisonné en 1668 pour avoir organisé des messes noires. Très bavarde, La Voisin dénonce à tout va complices, comme son amant Blessis, collègues, comme La Brunet et la Dodée, et clientes, souvent haut placées, comme Mme Leféron, épouse d’un magistrat, ou Mme de Dreux. S’en suivent alors les premières exécutions de ce procès. En mai 1679, La Bosse et La Vigoureux sont condamnées au bûcher mais seule La Bosse est exécutée, La Vigoureux étant morte durant la question. François Bosse est promis à la corde comme La Brunet et La Philibert, suivies de peu par La Chéron, La Durand et La Lepère. La Dodée, elle, se suicide dans sa cellule. La Bosse, durant la question, prononce pour la première fois le nom de Madame de Montespan, favorite du Roi. Les exécutions des sorcières et empoisonneurs se succèdent, mais faute de vouloir ébranler le pouvoir en place et ses représentants, Mmes Leféron, de Poulaillon et de Dreux, pourtant convaincues d’empoisonnement ou de tentative d’empoisonnement sont libérées, avec ordre de s’exiler loin de Paris et avec une légère amende à payer… !
Poursuivant leurs dénonciations très nombreuses, Lesage et La Voisin arrivent à reculer leur procès. Lesage dénonce alors de grands noms de la Cour comme Mme de La Mothe-Haudancourt, Duchesse de la Ferté (et un temps courtisée par le Roi) et Mme de Vivonne, belle-sœur de Mme de Montespan. La Voisin, elle, affirme avoir fait de nombreux voyages à Saint-Germain début 1679 pour donner un placet au Roi en main propre et y avoir rencontré Mlle des Œillets et Mlle Catau, suivantes de Mme de Montespan. L’esprit de La Reynie se brouille. Il n’ose pas évoquer la favorite et sa suivante, maîtresse occasionnelle du Roi, à Louis XIV, qui ne peut pas croire ces accusations. Lesage, lui, annonce que La Voisin et ses complices voulaient faire entrer une demoiselle Vertemart au service de la favorite du Roi. Arrêtée en septembre 1679, la Vertemart confirme les dires de Lesage mais nie connaître Mlle des Œillets. La Reynie se noie sous ces dénonciations et ces aveux, parfois flous.
Peu de temps après, poussé par Louvois qui lui promettait la grâce royale suite à un entretien dans sa cellule de la Bastille, Lesage dénonce le Maréchal de Luxembourg, le Marquis de Feuquières, la Marquise d’Alluye et Olympe Mancini, Comtesse de Soissons. Son époux, Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, est mort dans d’étranges conditions et elle aurait voulu faire empoisonner Louise de La Vallière, ancienne favorite du Roi, pour retrouver une place dans le cœur du monarque. La Voisin dénonce ensuite les Vicomtesses du Roure et de Polignac qui auraient elles aussi voulu empoisonner Mlle de La Vallière pour entrer dans le lit royal. Enfin, c’est au tour de Marie-Anne Mancini, sœur cadette d’Olympe et Duchesse de Bouillon, d’être accusée d’avoir visité quelques fois La Voisin pour faire disparaître son mari. Le scandale est imminent, Louis XIV veut à tout prix l’étouffer, a fortiori parce qu’il touche ses intimes.
En janvier 1680, la Comtesse de Soissons est invitée par Louis XIV à quitter la France et s’exiler en Belgique. Affirmant ne pas vouloir subir la honte des interrogatoires parmi ces « gueuses et ces coquins » comme elle le dit elle-même, elle part en compagnie de son amie la Marquise d’Alluye. L’affaire commence à avoir des répercussions sur l’opinion publique. Thomas Corneille écrit une pièce de théâtre, La Devineresse ou les Faux Enchantements, qui connaît un franc succès. Et en même temps, une véritable psychose s’installe. Un décès prématuré ou un malaise valent une accusation de poison envers les domestiques d’une maison. On se méfie du voisin, du fils, de la mère, du mari ou de l’amant.
Olympe Mancini, Comtesse de Soissons, en Athéna.
Convoquée à l’Arsenal, la Duchesse de Bouillon répond aux questions qu’on lui pose, narguant ouvertement La Reynie. Elle est innocentée, tout comme la Comtesse du Roure et la Duchesse de la Ferté, toutes deux accusées à tort. Le Maréchal de Luxembourg, qui s’était constitué prisonnier à la Bastille, recevant ainsi de nombreuses critiques dont celle de Mme de Sévigné, est à son tour innocenté, après plusieurs mois passés en prison.
Nouvelle dénonciation de La Voisin : le tragédien Jean Racine est accusé de lui avoir acheté du poison pour assassiner sa maîtresse, Marquise Du Parc. Veuve de Louis Béjart et ancienne comédienne de la troupe de Molière, elle se met en ménage en 1667 avec Racine (La Voisin parle d’un mariage secret), et celui-ci lui donne le rôle-titre dans son Andromaque. En décembre 1668, elle meurt soudainement. Certains pensent au poison, d’autres à une fausse-couche ou à un avortement. Toujours est-il que Louis XIV refuse d’envoyer la lettre de cachet qui permettrait d’arrêter son historiographe et l’un des plus talentueux artistes de la Cour. Racine est donc lavé de tout soupçon.
Marie-Anne Mancini, Duchesse de Bouillon
L’affaire rebondit avec la mort de La Voisin, brûlée vive en place de Grève le 22 février 1680. Louis XIV étend les pouvoirs de la Chambre Ardente aux sacrilèges, aux impiétés, aux profanations et à la fausse-monnaie. Une semaine plus tard, l’Abbé Mariette, ancien complice de Lesage, est arrêté. Mais un point reste en suspend, c’est le fameux placet que La Voisin voulait donner au Roi. Sur ce point, Lesage et Mariette n’ont rien à dire. Entre alors en scène la fille de la sorcière, Marie-Marguerite Montvoisin, qui parle aussi du placet. Etonné qu’elle ait attendu aussi longtemps, La Reynie demande à la fille Voisin pourquoi elle n’avait pas parlé plus tôt. Ce à quoi elle répond que sa mère étant morte elle n’avait plus rien à craindre de la justice et donc qu’elle, Marie-Marguerite, pouvait parler et raconter la vérité sans que ça n’ait de répercussion sur sa mère. Ainsi, la fille Voisin annonce à La Reynie que sa mère avait bel et bien tenté d’assassiner Louis XIV avec le fameux placet, avec promesse de toucher 100.000 écus et de pouvoir fuir en Angleterre si c’était réussi.
Exécution de La Voisin
Claude de Vin des Œillets, suivante de Mme de Montespan
En outre, La Voisin envisageait également d’assassiner Mlle de Fontanges, éphémère favorite du Roi et rivale de Mme de Montespan. Enfin, Marie-Marguerite annonce que sa mère, contrairement à ses dires, était en étroite relation avec Mlle des Œillets, suivante de la Marquise de Montespan, qu’elle l’avait vue plusieurs fois à Saint-Germain et lui avait donné des poudres pour sa maîtresse, mais aussi que des conjurations avaient été faites pour le compte de la favorite. Une nouvelle fois, le nom de la maîtresse du Roi est prononcé, mais la fille Voisin affirme qu’elle n’a jamais rencontré la favorite. A l’inverse, La Trianon, censée avoir fait la conjuration au nom de la Marquise, nie l’avoir fait. Certes, cette chiromancienne et empoisonneuse avait bel et bien entendu parler du fameux placet à donner au Roi car elle en avait parlé avec La Voisin, certes elle avait tiré l’horoscope de Louis XIV, mais jamais elle n’avait fait de conjuration. Face à ces contradictions, La Reynie est perdu, et d’autant plus que quelques jours plus tard, Marie-Marguerite Montvoisin se contredit à son tour et affirme avoir rencontré plusieurs fois Mme de Montespan et lui avoir parlé.
En juin 1680, un nouveau personnage est arrêté. L’abbé Guibourg, prêtre septuagénaire et assez inquiétant, est accusé de mener une double vie. D’un côté, un sage et respectable ecclésiastique, et de l’autre un homme sans mœurs, ayant eu plusieurs enfants de sa maîtresse Jeanne Chanfrain, dont certains ont miraculeusement disparu. Il se prêtait aussi à des sacrilèges, des messes noires, et prononçait des conjurations pour bon nombre de clients. Il avoue rapidement avoir eu, parmi sa clientèle, Mme de Montespan, pour laquelle il aurait fait dire trois messes noires, avec sacrifice d’un enfant, et avec comme conjuration : « Astaroth, Asmodée, princes de l’Amitié, je vous conjure d’accepter le sacrifice que je vous présente de cet enfant pour les choses que je vous demande, qui sont que l’amitié du roi, de Mgr le dauphin, me soit continuée et être honorée des princes et princesses de la Cour, que rien ne me soit dénié de tout ce que je demanderai au roi, tant pour mes parents que mes serviteurs ». Mais ses aveux sont flous. Il resitue avec difficulté la date de ces messes noires, il parle de 8 ans plus tôt, puis passe à 9 et enfin à 14 ans.
Madame de Montespan
Il annonce aussi avoir dit une autre messe noire en 1675 pour une femme « qu’on lui avait dit être Mme de Montespan » et pour laquelle la conjuration était : « Je…, fille de…, demande l’amitié du roi et celle de Mgr le dauphin, et qu’elle me soit continuée, que la reine soit stérile, que le roi quitte son lit et sa table pour moi et que j’obtienne de lui tout ce que je lui demanderai pour moi et mes parents, que mes serviteurs lui soient agréables ; chérie et respectée des grands seigneurs, que je puisse être appelée aux conseils du roi et savoir ce qui s’y passe, et, avec cette amitié redoublant plus que par le passé, le roi quitte et ne regarde plus La Vallière et que, la reine étant répudiée, je puisse épouser le roi ». Enfin, il annonce avoir fait une conjuration en la présence de Mlle des Œillets et de son amant, un Milord Anglais. Ces révélations choquent La Reynie qui se convainc de la culpabilité de la Marquise. Mais avant d’affirmer quoi que ce soit à Louvois et au Roi, il interroge les complices citées par Guibourg qui n’avouent rien, puis la fille Voisin qui, elle, approuve une partie des dires de l’abbé.
Une autre sorcière, arrêtée en décembre 1679, La Filastre, ayant travaillé avec Madeleine Chappelain, une empoisonneuse des plus horribles, est mêlée à l’affaire par Lesage qui affirme qu’elle sait beaucoup de choses. Interrogée, elle avoue avoir cherché à entrer au service de Mlle de Fontanges pour améliorer sa condition et celle de sa famille. Soumise à la question, elle avoue avoir fourni Mme de Montespan, vers 1675 ou 1676, en poudres aphrodisiaques pour le Roi, mais aussi pour Mme de Vivonne, belle-sœur de Mme de Montespan, qui elle réclamait de quoi éloigner la Marquise et entrer dans les bonnes grâces du Roi. Plus tard, elle avoue, toujours sous la torture, que Mme de Montespan avait demandé à La Chappelain de quoi faire mourir Mlle de Fontanges et le Roi. Condamnée à mort, La Filastre demande à parler à La Reynie pour une rétractation : ce qu’elle avait dit concernant la Marquise de Montespan était faux, elle ne l’avait avoué que par peur d’être de nouveau soumise à la question, mais elle ne voulait pas mourir « avec la conscience chargée d’un mensonge ». Un problème se pose alors pour La Reynie : il veut faire avancer la justice en punissant les criminels mais en étouffant le scandale lié à la favorite du Roi, scandale qui à coup sûr risquait d’éclabousser aussi le trône. Le procès, entamé depuis 2 ans, ne peut plus avancer et Louis XIV suspend la machine judiciaire. Il continue donc ses recherches, tout en confiant à Louvois ses certitudes sur la culpabilité de la Marquise. Interrogeant Mlle des Œillets, celle-ci est confrontée fin novembre 1680 à Lesage, Guibourg et la fille Voisin, qui tous les trois la reconnaissent. Mais toucher à Mlle des Œillets, c’est toucher à son ancienne maîtresse (elle a quitté le service de Mme de Montespan depuis 1677), et elle n’est pas inquiétée.
C’est alors que Colbert, amie de la Marquise et farouche rival de Louvois, intervient. Il rédige, avec l’aide de Me Duplessis, un réquisitoire en faveur de Mme de Montespan, démontrant que les accusations portées contre elle sont infondées. Il explique ainsi que la fille Voisin l’avait accusée alors que sa mère ne l’avait jamais fait, elle qui au contraire aurait eu toutes les raisons de la citer, évitant ainsi le bûcher. Accusations jamais prononcées également par d’autres complices de la sorcière comme son amant Blessis ou La Trianon qui, bien qu’ayant avoué, s’était rétractée pour ne pas se présenter devant Dieu en ayant menti ! Ensuite, était-il possible qu’une femme disposant d’une telle maisonnée et protégée par 4 gardes du corps, puisse s’extirper de la Cour sans être vue par l’un des espions au service de Louis XIV et sans être remarquée ? En outre, comment aurait-elle pu cacher son carrosse et se balader discrètement du côté de la Villeneuve-sur-Gravois (où vivait La Voisin), sans attirer les soupçons ? De plus, ayant reçu une très pieuse éducation par sa mère, Diane de Grandseigne, et déjà coupable de double adultère, il était impensable qu’elle ait pu commettre de tels actes si contraires à Dieu. Elle ne manquait aucun jeûne, aucun Carême, avait renoncé au Roi pour faire ses Pâques, et s’occupait d’œuvres caritatives comme son couvent pour jeunes filles pauvres de Saint-Joseph. Colbert affirme également que Mlle des Œillets ayant quitté le service de la Marquise depuis 1677, elle ne pouvait plus demander quoi que ce soit pour elle à La Voisin entre cette date et 1679, lorsque la sorcière a été arrêtée. Si la suivante de la Marquise allait la voir, c’était donc pour son propre compte ! De plus, selon Colbert, l’accusation d’empoisonnement contre le Roi ne tenait nullement la route. Mme de Montespan devait tout au Roi, a fortiori parce qu’elle n’avait aucune fonction à la Cour. Empoisonner Louis XIV, c’était renoncer à sa position de favorite, à sa fortune, ses honneurs, et surtout quitter une Cour où la Reine ne l’aurait plus tolérée. Enfin, il mit en avant les incohérences des conjurations citées par Guibourg, un vieil homme de 70 ans passés qui parvenait miraculeusement à se souvenir au mot près de deux conjurations citées il y a au moins 10 ans !
Ce plaidoyer ne parvient pas à convaincre La Reynie mais apaise Louis XIV qui veut en finir définitivement. Le lieutenant général de police insiste alors pour que tous les faits et accusations liés à la Marquise de Montespan soient classés en « faits particuliers » et donc oubliés, mais que tous les autres accusés soient punis pour leurs crimes.
Le 19 mai 1681, la Chambre Ardente est rouverte pour clore enfin ce procès interminable. Début mai, La Trianon se suicide dans sa cellule. Peu après, les exécutions reprennent, à commencer par l’ancienne maîtresse de Guibourg.
Un dernier vent de poison souffle sur la Cour et Mme de Montespan : le 27 juin 1681, Mlle de Fontanges meurt à Paris à 20 ans à peine. Louis XIV, qui craint le poison, refuse l’autopsie mais la famille insiste. Aucune trace de poison n’est détectée dans son corps, mais la Marquise est visée par certaines accusations.
La dernière exécution ordonnée par la Chambre est celle de La Chaboissière, ancien valet du Chevalier de Vanens, le 16 juillet 1682. Le 21 juillet, la Chambre est définitivement close, et les prisonniers sont recensés puis on décide de leur sort. En chiffres, la Chambre Ardente « avait tenu 210 séances, prononcé 319 décrets de prise de corps, obtenu l’arrestation de 194 personnes, rendu 104 jugements dont 36 condamnations à mort, 4 condamnations aux galères, 34 à des peines de bannissements ou d’amendes et 30 acquittements ». Parmi les prisonniers restants, ceux qui n’avaient commis que de petits crimes ou dont les paroles n’avaient que peu de conséquences sont remis en liberté, ou au pire envoyés aux galères. Ceux qui, au contraire, ont un lourd passé criminel à leur actif, savent trop de choses ou ont cité le nom de Mme de Montespan sont condamnés à la prison à vie dans les citadelles les plus éloignées de France. Dès août 1682, les premières libérations commencent, avec entre autres le fils de La Bosse et le frère de La Filastre, tous deux enrôlés dans des compagnies de l’armée. Blessis, l’amant de La Voisin, est condamnée à voguer à vie sur la galère La Réale et la fille de La Bosse est enfermée à vie dans un couvent. A la Belle-Isle-en-Mer sont envoyées entre autres la fille Voisin et La Chappelain ; à Besançon et Saint-André-de-Salines sont respectivement envoyés, parmi d’autres, Vanens et les Bachimont d’un côté, Lesage et Guibourg de l’autre. Les autres prisonniers sont répartis entre Salses, près de Perpignan, Bains et Villefranche-de-Conflent.