Le dernier des Bourbon
Charles-Philippe de France naît le 9 octobre 1757 au château de Versailles. Il est le fils du Dauphin Louis-Ferdinand de France et Marie-Josèphe de Saxe, et est donc le petit-fils de Louis XV et Marie Lezczsynska. Il a plusieurs frères et sœurs : Marie-Zéphyrine (morte en 1755) ; Xavier-Marie-Joseph, duc d’Aquitaine (mort en 1754) ; Louis-Joseph-Xavier, Duc de Bourgogne ; Louis-Auguste, Duc de Berry (futur Louis XVI) ; Louis-Stanislas-Xavier, Comte de Provence (futur Louis XVIII) ; Marie-Clotilde (future reine de Sardaigne) et Elisabeth. A sa naissance, Louis XV lui donne le titre de Comte d’Artois. Il est élevé avec ses frères par Madame de Marsan, gouvernante des Enfants de France, jusqu’à ses 7 ans. Là, il passe aux hommes et reçoit, comme ses aînés, le Duc de la Vauguyon comme précepteur.
Cinquième dans l’ordre de succession au trône et peu intéressé par les études, son éducation est quelque peu mise de côté au profit de ses aînés. En 1761, son frère Bourgogne meurt, suivi en 1765 par le Dauphin et en 1767 par la Dauphine. A 10 ans, Charles est orphelin et son frère Berry est promus Dauphin par la force des choses. Il devient alors troisième dans l’ordre de succession, mais les études ne l’intéressent pas davantage, contrairement à ses frères.
Le Comte d'Artois avec sa soeur Madame Clotilde
Proche de ses sœurs et notamment d’Élisabeth, qui l’adore, il préfère s’amuser, parier avec ses frères pour des bêtises et faire des farces. Louis XV, grand-père attentif mais lointain, devient un père de substitution pour les trois princes. Plus jeune des trois frères, il est aussi le plus beau et le plus jovial. A l’inverse, le futur Louis XVI, dévoré par la timidité, a un début d’embonpoint et fuit la Cour ; quant au futur Louis XVIII, très gourmand, commence à devenir obèse, et tout le monde se méfie de son hypocrisie latente. Jeune et insouciant, le Comte d’Artois dépense sans compter aux jeux, s’amuse, court les théâtreuses parisiennes, se rend régulièrement à l’Opéra et se pique d’affaires militaires (lors de la guerre d’indépendance américaine, il voulut partir sur place commander une armée, à l’instar de La Fayette !). Comme il est le plus jeune, le plus inexpérimenté, on lui pardonne volontiers ses débordements. Son frère, devenu Louis XVI en 1774, passe régulièrement l’éponge sur ses dettes qu’il rembourse à chaque fois.
Mais la vie d’un prince n’est pas faite que de plaisirs. Il lui faut également se marier et avoir des héritiers aptes à monter sur le trône, le cas échéant. Louis XV, dans sa politique extérieure, avait déjà arrangé le mariage du futur Louis XVI avec l’Archiduchesse Marie-Antoinette, en 1770, ainsi que celui du Comte de Provence avec Marie-Joséphine de Savoie en 1771. Pour le Comte d’Artois, son royal grand-père ne va pas chercher loin et lui attribue comme épouse la sœur de la Comtesse de Provence, Marie-Thérèse de Savoie. Le mariage a lieu par procuration le 23 octobre 1773. Le 14 novembre, Artois rencontre sa promise à Fontainebleau et le mariage est célébré à Versailles deux jours plus tard.
Petite, laide, peu gracieuse malgré de jolis yeux et affreusement timide, la nouvelle Comtesse d’Artois, qui a deux ans de plus que son mari, n’est pas ce que l’on attend d’une Princesse en France. Elle reste dans ses appartements, ne sait pas tenir une Cour et s’efface derrière son époux. Le Comte d’Artois ne l’aime probablement pas, mais ce mariage lui permet d’échapper définitivement à l’autorité du Duc de La Vauguyon, et il l’accepte. De cette union naîtront quatre enfants :
Louis-Antoine d’Artois, Duc d’Angoulême (1775-1844) ;
Sophie d’Artois, Mademoiselle d’Angoulême (1776-1783) ;
Charles-Ferdinand d’Artois, Duc de Berry (1778-1820) ;
Marie-Thérèse d’Artois, Mademoiselle d’Artois (1783).
Peu proche de son épouse, le Comte d’Artois l’est davantage de sa belle-sœur, Marie-Antoinette. Ils sont très amis, très complices, et aiment s’amuser ensemble. Peut-être même un peu trop, car rapidement les détracteurs de la Reine lui prêtent une aventure avec le Comte d’Artois. Il l’entraîne à sa suite à Paris, à l’opéra, et dépense en sa compagnie des sommes colossales. Sous son influence, Marie-Antoinette bouscule le protocole et impose que les repas, d’ordinaire pris séparément, se fassent en famille, regroupant ainsi les trois couples. En outre, la Reine l’invite régulièrement dans sa propriété de Trianon. Un jour, il lui parie qu’il parviendrait à faire bâtir un château dans le bois de Boulogne, durant le séjour de la Cour à Fontainebleau. Pari tenu : ainsi naît le château de Bagatelle, l’une des « folies » que comptait alors la capitale.
Quelques mots sur ce château : petit domaine confortable, il est idéalement situé entre Paris et Versailles, et faisait partie d’une immense propriété qui regroupait les châteaux de Madrid et de La Muette, également propriétés du Comte d’Artois. Il permettait ainsi de quitter Paris le matin, de déjeuner à Bagatelle, de faire une halte à Madrid et d’être le soir à Versailles. Très décoré dans le style antique, il n’est d’ailleurs pas sans rappeler un certain Trianon, et était très prisé par Marie-Antoinette, qui y allait souvent et adorait faire des promenades en luge l’hiver, dans les jardins. D’ailleurs, plusieurs hommages lui sont rendus : son buste sur une cheminée, une harpe où elle jouait et son chiffre (le M et le A entrelacés) sur toutes les poignées des portes.
Véritable lieu de luxure, il est l’abri des affaires amoureuses d’Artois, qui collectionne aussi bien les femmes de la Cour que les comédiennes de Paris, et fut d’ailleurs nommé Bagatelle en référence à l’expression « faire la bagatelle » ou « pour la bagatelle ». Toute une pièce, celle de musique, était entourée de miroirs, dont certains étaient teintés. Ils permettaient aux musiciens de jouer sans être vus. Donnant sur deux boudoirs, l’un la salle de bains et l’autre une chambre, on peut remarquer qu’un autre miroir teinté au-dessus du lit permettait de voir les scènes intimes sans être vu. Dans la salle de jeux, des décorations en hommage à la carrière militaire d’Artois sont en bronze doré, mais il était surtout surnommé « le guerrier de l’alcôve »… !
C’est dans le clan Polignac qu’Artois va connaître deux de ses aventures amoureuses. Tout d’abord Aglaé de Polignac, Duchesse de Guiche, dite « la Guichette » et fille de la Duchesse de Polignac, grande amie de la Reine. Mais cette relation dure peu de temps. En 1780, Artois fait la rencontre de Louise d’Esparbès, Vicomtesse de Polastron, et belle-sœur de Yolande de Polignac. C’est le coup de foudre. Il la poursuit de ses assiduités et elle finit par céder. Sincèrement éprise, elle restera son unique grand amour jusqu’à sa mort en 1804.
Ses folies, jadis amusantes, ont cessé de faire rire, on ne lui passe plus ses caprices, pire, il est haï par une grande partie de la population. Dès lors, et sous l’influence de Louise, il finit par se ranger au côté de Louis XVI. Mais il est trop tard, et son aide, bien que sincère et motivée, n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Peu au fait de la politique et de l’économie, il paye son manque d’intérêt pour les études lorsqu’il était jeune. Face aux problèmes financiers du royaume, il ne voit qu’une seule solution : augmenter les impôts pour rembourser la dette. En opposition avec son frère Provence, qui manigançait divers projets de son côté, Artois soutient Louis XVI et l’influence dans ses décisions : il ne faut pas se tourner vers les idées nouvelles, les anciennes ont toujours fonctionné ainsi et sont une valeur sûre. Véritable défenseur des traditions ancestrales de la monarchie absolue, ses « partisans », farouchement opposés aux Etats-Généraux qui s’ouvrent le 5 mai 1789, le surnomment alors « Artois notre espérance ».
Mais rapidement, Louis XVI et Artois se heurtent aux députés du Tiers-Etat, dont l’effectif est doublé (notamment sur l’insistance du Comte de Provence). Le 17 juin, les députés du Tiers se déclarent Assemblée Nationale. En réponse à ce qu’il considère comme une gifle, Artois fait fermer la salle de l’hôtel des Menus-Plaisirs où se déroulaient jusqu’alors les Etats-Généraux. Le 20 juin, les députés se rassemblent dans la salle du jeu de paume, restée libre, c’est le fameux Serment du jeu de paume. Lorsque Louis XVI apprend que la Bastille est tombée, le 14 juillet, il apprend aussi que la tête d’Artois est mise à prix. Il doit quitter la France au plus tôt. Pourtant, en bouillonnant descendant d’Henri IV, il est motivé pour reconquérir le royaume. Mais il cède à son frère et, comme les Polignac, il part discrètement en exil, dans la nuit du 16 au 17 juillet, en direction de Valenciennes. C’est le premier émigré de la Révolution.
Reconnu à Valenciennes, Artois prend alors la route de Bruxelles mais doit quitter la Belgique au plus tôt. Il se rend donc à Namur, où il retrouve le Prince de Condé et sa famille, puis fait route vers la Suisse en passant par Aix-la-Chapelle, Cologne et Bonn. Pour Artois, cette situation ne va pas durer, ce n’est l’affaire que de quelques mois. En réalité, il entame un long exil de vingt-cinq ans. Il s’installe donc en Suisse, au château de Gümlingen, où il retrouve Louise de Polastron, qui avait suivi l’itinéraire du clan Polignac. Mais les retrouvailles ne durent pas et rapidement le Prince quitte la Suisse pour la Sardaigne, chez son beau-père. Voyageant sous le nom de « prince de Chimay », il arrive à Turin en septembre et y retrouve sa sœur Clotilde, qui avait épousé le frère des Comtesses d’Artois et de Provence. A la fin de septembre, il est rejoint par son épouse, passée par un autre itinéraire qui a duré deux mois.
Pour le Prince, la Cour de Turin semble plate, calme et étriquée. Il est loin des fastes de Versailles, de sa vie passée. Il mène alors sa propre vie de Cour et entretient une correspondance assidue avec son ami le Marquis de Vaudreuil, amant de Yolande de Polignac et également ami de Louise de Polastron. Vaudreuil incite Artois à plus de discrétion et de prudence. Pour les cours souveraines d’Europe, il n’est qu’un simple émigré, un prince rebelle, tandis que Louis XVI et Provence affrontent les affres de la Révolution naissante. Mais pour Artois, seule une intervention militaire extérieure pour sauver la monarchie et écraser la Révolution. En octobre, Louise de Polastron retrouve son amant à Turin. Elle s’installe au palais Bordano, non loin de lui, mais ce rapprochement déplaît fortement au Roi de Sardaigne. Louise doit s’éloigner, les adieux sont difficiles. Quelques jours plus tard, Artois apprend le retour de la famille royale aux Tuileries. Il est prêt à agir et à lancer la Contre-Révolution. Allant contre les conseils de Vaudreuil, Artois crée le Comité de Turin, composé également du Prince de Condé et de ses fils, du Duc de Sérent et des Marquis d’Autichamps et de Rouzière. Têtes brûlées plus que têtes politiques, ils pensent sincèrement qu’un simple coup de balai mettra fin à la Révolution et entament des discussions avec les puissances étrangères. Artois se lie avec Léopold II, Empereur d’Autriche et frère de Marie-Antoinette. Mais celui-ci refuse de parlementer avec le frère rebelle de Louis XVI et ne suit que les indications de son royal beau-frère, pourtant prisonnier de son peuple.
Artois se heurte également à son frère. Louis XVI, qui n’est plus maître de ses décisions, se voit contraint de réprimander son cadet sur son exil précipité – rappelons que c’est lui-même qui a poussé le Comte vers la sortie – et l’incite au calme et à la prudence. Mais qu’importe, Artois sauvera quand même son frère ! Lié à Calonne, ancien ministre de Louis XVI, il tente de rallier d’autres puissances à sa cause, dont l’Angleterre. Ce ne sont que coups d’épée dans l’eau. Il tente à plusieurs reprises des coups de forces un peu partout dans les provinces françaises, comptant sur la fidélité des Français à la couronne. Chaque tentative est avortée ou échoue. Artois songea même à libérer Louis XVI des Tuileries, mais le Roi abandonna le projet à la dernière minute. Toutes ces tentatives portent un gros préjudice à Louis XVI, que l’on accuse de complicité avec son frère, et qui reste très surveillé. Devenu indésirable en Sardaigne, son beau-père le jugeant trop encombrant, Artois se voit contraint de quitter Turin et prend la route de Coblence, en Allemagne.
Le 17 juin 1791, Artois fait une entrée fracassante à Coblence. L’Electeur de Trèves, Clément-Wenceslas, met à sa disposition le château de Schönbornlust, où il reconstruit une petite Cour digne de Versailles. Il y est rapidement rejoint par Louise. Vaudreuil réitère ses conseils, d’autant que Louis XVI vient d’être arrêté à Varennes-en-Argonne dans sa tentative de fuite avec sa famille, tandis que le Comte de Provence roule vers la liberté. Tout coup de force pour rétablir le Roi dans ses pouvoirs serait donc lui faire prendre de gros risques. Le Comte retrouve son frère Provence à Bruxelles. Si le plus jeune est peiné de l’échec du Roi, Provence s’en accommode très bien, et entreprend à son tour des pourparlers visant, officiellement, à libérer Louis XVI. Les 2 frères se rendent à Aix-la-Chapelle où ils s’allient au roi Gustave III de Suède, puis repartent à Coblence, cœur vivant de la Contre-Révolution.
Très vite, de nombreux émigrés imitent les princes et les y rejoignent, laissant leurs terres et autres possessions, parfois même leurs familles, en France. Coblence devient un nouveau Versailles, loin des malheurs de Louis XVI, livré à lui-même, seul face à la Révolution. Outre le roi de Suède, Artois et Provence s’allient à Frédéric-Guillaume II de Prusse et parviennent à atteindre quelque peu Léopold II. Une guerre contre la France se prépare. Même Vaudreuil, pourtant porte-parole de la sagesse jusque-là, se joint aux princes pour reconquérir le royaume par les armes. Mais, en mars 1792, Gustave III est assassiné et Léopold II meurt brutalement, aussitôt remplacé par son fils, François II. La donne est changée. La guerre aura bien lieu, mais différemment de ce à quoi Artois et son frère s’attendaient. Tous tablent sur une victoire rapide, l’armée révolutionnaire étant jeune et indisciplinée. Mais, en cas de victoire des puissances européennes, la France serait alors découpée et partagée entre les vainqueurs. Artois et Provence n’en tireraient aucun bénéfice et étaient prêts à sacrifier des territoires pour satisfaire l’ambition de sauver Louis XVI et sa famille. Ambition réelle pour Artois, feinte pour Provence, qui a déjà abandonné son aîné à son sort. Le manifeste de Brunswick, la prise des Tuileries, l’emprisonnement de Louis XVI au Temple et la victoire de Kellermann à Valmy sur les troupes austro-prussiennes représentent un coup fatal porté à la Contre-Révolution.
Dès la défaite de Brunswick à Valmy, les troupes austro-prussiennes évacuent la zone, sans gloire. Les émigrés en veulent aux armées de la Prusse et de l’Autriche pour cette défaite et le retrait de leurs troupes, mais aussi aux princes de n’être jamais apparus à leur tête, lors des combats. De leur côté, les austro-prussiens reprochent aux émigrés et aux princes de les avoir envoyés dans un bourbier militaire et financier. Les Comtes de Provence et d’Artois deviennent indésirables à Coblence, on leur intime l’ordre de partir au plus tôt. Finalement, les deux frères se retrouvent à Liège, puis partent pour une petite maison inconfortable de Hamm, sur la Lippe. Lorsqu’Artois apprend l’exécution de Louis XVI, il en est attristé.
Peu après, Catherine de Russie se lance à son tour contre la vague révolutionnaire qui secoue l’Europe et invite Artois à venir séjourner chez elle. Le prince accepte volontiers, d’autant plus qu’il est séparé de Louise et en souffre. Il s’entend très bien avec Catherine II, qui l’accueille chaleureusement et lui accorde une aide financière. On parle alors d’un débarquement d’Artois en Normandie, via l’Angleterre, pour profiter de la rébellion vendéenne, marcher à sa tête et reconquérir le pouvoir. Artois s’embarque pour l’Angleterre, mais n’essuie que des refus, il repart donc à Hamm où Provence, qui ne veut pas voir son frère triompher, le pousse à ne pas agir. Lorsque Marie-Antoinette est exécutée à son tour, Provence se fait nommer Régent au nom du jeune Louis XVII, et Artois le seconde de loin, en quête d’une réponse favorable de l’Angleterre pour leur venir en aide.
En août 1794, le Comte est appelé à venir en Hollande. Sous le nom de Comte de Ponthieu, il se rend chez le Duc d’York avec son fils aîné, le Duc d’Angoulême. Mais une fois sur place, la désillusion est grande : l’aide potentiellement apportée par l’Angleterre est ajournée. Loin de se laisser abattre, Artois reste en Hollande et harcèle le gouvernement anglais pour enfin recevoir les aides demandées. En juin 1795, Louis XVII meurt dans sa prison du Temple. La donne est alors changée, Provence se proclame roi sous le nom de Louis XVIII et Artois devient donc Monsieur. Pour les autorités anglaises, il ne s’agit plus d’un prince en exil, mais bien du frère du probable Roi de France.
Monsieur est donc invité à se rendre en Angleterre, à Portsmouth. Là, il apprend l’échec d’un débarquement d’émigrés et d’anglais prévu à Quiberon. On lui en incombe la faute parce qu’il est chargé de la zone ouest (Bretagne, Normandie, Vendée) dans le cadre de la Contre-Révolution, alors qu’il n’y est pour rien. Un nouveau débarquement est alors décidé, en Vendée cette fois, avec l’aide de Charette, l’un des principaux meneurs de la chouannerie. Embarqué sur le Jason avec des troupes anglaises, Monsieur quitte Portsmouth en août 1795 et arrive vers Quiberon en septembre. Mais l’échec du précédent débarquement est encore trop frais, on décide alors, fin septembre, de débarquer à l’Ile d’Yeu. Un mouvement de troupes vendéennes, dirigé par Charette et Monsieur, est décidé, mais au dernier moment le plan est annulé. Charette, qui avait mobilisé un grand nombre de soldats, se retrouve seul et démuni, tandis que Monsieur, accompagné de son fils et du Duc de Bourbon, a rebroussé chemin et fait route vers l’Angleterre. C’est une énième tentative de débarquement royaliste qui finit mal, Monsieur quitte la France sans gloire. Ce départ précipité est très mal jugé, on l’accuse de lâcheté.
En Angleterre, il devient indésirable, et ses créances lui font craindre de finir en prison. George III d’Angleterre lui accorde le droit de résider au château d’Holyrood, près d’Edimbourg, en Ecosse. Ses amis les plus proches l’y rejoignent, dont Louise, Vaudreuil, et « la Guichette », dont la mère, Yolande de Polignac, était morte depuis trois ans ; ainsi que ses fils, les Ducs d’Angoulême et de Berry. Une sorte de petite Cour, avec un semblant d’étiquette, s’installe. Sur le plan politique, Monsieur a perdu de sa superbe, et Louis XVIII, exilé à Mitau s’octroie le droit de diriger ses actions. Un fossé se creuse entre les deux frères, qui s’opposent en de nombreuses occasions, alors qu’ils poursuivent le même but. Monsieur espère toujours une rébellion assez forte pour restaurer la monarchie et rejette totalement l’héritage révolutionnaire ; à l’inverse, Louis XVIII est plus nuancé et espère concilier monarchie et acquis de la Révolution. Même l’écrasement de la rébellion vendéenne n’entame pas l’enthousiasme et les espoirs de Monsieur. Dernier point de discorde : le mariage du Duc d’Angoulême avec sa cousine, Madame Royale, seule survivante du Temple. L’idée émane de Louis XVIII qui compte utiliser sa nièce comme moyen de propagande royaliste, aussi Monsieur l’accepte-t-il de mauvaise grâce.
En 1797, Monsieur quitte Holyrood pour un hôtel particulier à Londres. Louise vit non loin de là et il lui rend visite tous les jours, il est même reçu à la Cour d’Angleterre. Avec la montée au pouvoir de Bonaparte, la cote des princes Bourbon, que l’on n’a oublié depuis longtemps, est au plus bas. Peu après que Napoléon ait été nommé Consul, un premier attentat le vise. Monsieur n’y est a priori pour rien. Mais il s’allie avec Cadoudal et Pichegru, les auteurs de l’attentat, pour en provoquer un autre, visant à enlever Napoléon pour reprendre le pouvoir. Le projet échoue, Cadoudal et Pichegru sont arrêtés et exécutés ; et Napoléon, qui n’imagine pas que l’auteur du complot est Monsieur, fait arrêter le Duc d’Enghien, qui est assassiné dans les fossés du château de Vincennes. Mais Monsieur est concentré ailleurs : Louise est rongée par la tuberculose et s’éteint à Londres en mars 1804. Elle obtient de son amant qu’il renonce à la vie de plaisir : il tiendra parole jusqu’à sa mort. Monsieur est effondré, il est un veuf éploré et inconsolable. Même la mort de sa femme légitime, en 1805, ne l’effleure pas. Deux ans plus tard, Monsieur est rejoint par son frère, devenu indésirable à Mitau. La famille est alors pleinement reconstituée, Monsieur retrouve par la même occasion son fils Angoulême, et sa nièce et belle-fille, Madame Royale. Tous s’installent à Hartwell, près de Londres.
En 1814, l’étoile de Napoléon pâlit. Monsieur en profite alors pour lancer une offensive visant à récupérer le trône. En janvier, il débarque non loin de La Haye, puis rejoint la Suisse. Ses appels restent cependant sans réponse : on ne se souvient même plus de lui. Il rejoint par la suite Vesoul, puis Nancy, où il rencontre Vitrolles et Talleyrand, qui lui viennent en aide. Dans la nuit du 5 au 6 avril, on fait parvenir à Monsieur la nouvelle de la déchéance de Napoléon, les Bourbon sont appelés à remonter sur le trône. Louis XVIII étant à Londres, Monsieur est nommé Lieutenant-Général du Royaume et signe les décrets à la place de son frère, le temps que celui-ci arrive. Le 10 avril, Monsieur fait son entrée dans Paris. Il est rayonnant, spontané, proche du peuple, de partout on l’acclame : c’est le plus beau jour de sa vie. Lorsque Louis XVIII revient en France, il s’empresse d’approuver la Charte, qui rassemble monarchie et héritages de la Révolution. Monsieur est opposé à ce choix : il n’a rien retenu des leçons de la Révolution, pour lui une monarchie constitutionnelle ne peut être envisagée, son frère détient son pouvoir de Dieu et non des hommes, et il faut revenir à l’ancien temps, d’avant 1789. Bourré de bonne volonté, il est pourtant complètement coupé des réalités de la France. En 1815, Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe et revient en France, où il récupère le pouvoir durant 100 jours. La répression royaliste, appelée « Terreur blanche » (qui n’a rien de comparable à celle instaurée par Robespierre) est violente, et dès août 1815, Louis XVIII retrouve son trône. Autour de Monsieur se forme un groupe de royalistes favorables à l’absolutisme, ce sont les ultras. Louis XVIII va peu à peu voir son frère et ses partisans se dresser contre lui, alors que telle n’était pas l’intention de Monsieur au départ. A plusieurs reprises, Monsieur contre la politique de son frère.
En 1816, Monsieur marie son second fils, le Duc de Berry, à Marie-Caroline des Deux-Siciles, une petite-nièce de Marie-Antoinette. Le couple Angoulême n’ayant pas eu d’enfant, tous les espoirs de la monarchie – et donc de Monsieur ! – reposent sur le couple Berry, qui aura 4 enfants.Le contraste entre ses deux belles-filles est grand. Madame Royale est sèche et froide, la Duchesse de Berry est jeune et fraîche. Pourtant, rapidement, Monsieur prend la Duchesse de Berry en grippe et se rapproche de sa nièce, qui partage très largement ses vues politiques, et le soutient contre Louis XVIII.
En 1820, le Duc de Berry est assassiné, Monsieur en est profondément attristé. Aussitôt, les ultras s’emparent de cette mort pour s’attaquer à Decazes, Premier Ministre et favori du Roi, et l’accusent d’avoir provoqué l’attentat. Louis XVIII cède, Decazes est renvoyé et remplacé par Richelieu. Le pouvoir de Monsieur n’en est que renforcé, d’autant plus que, sept mois après la mort du Duc de Berry, la Duchesse met au monde le Duc de Bordeaux, futur héritier du trône. Les ultras occupent de plus en plus la sphère politique, ils sont majoritaires à la Chambre.
Le 16 septembre au matin, Louis XVIII expire. Monsieur devient Charles X, Le Duc et la Duchesse d’Angoulême deviennent alors Dauphin et Dauphine. Dès le début de son règne, Charles X approuve à son tour la Charte, au plus grand étonnement de tous, et surtout de ses partisans. Mais très vite, ses premières décisions sont peu appréciées, comme celle de dédommager financièrement les émigrés, dont les biens ont été saisis à la Révolution. Malgré tout, Charles X reste populaire, et même ses détracteurs se précipitent à son sacre, qui a lieu le 29 mai 1825 à Reims. La cérémonie est assez pompeuse, fastueuse, à l’image de celles de l’Ancien Régime. Mais pour le Roi, c’est son jour de gloire.
Fidèle à la promesse qu’il avait faite à Louise de Polastron, Charles X est un roi bourgeois. Il vit en petit comité et ne participe qu’à peu de fêtes, vit loin des plaisirs. Il préfère le calme familial, les jeux avec son fils ou ses amis proches, et passe beaucoup de temps avec ses petits-enfants, qu’il adore. On le voit également se vêtir en simple bourgeois et se promener avec son chien, sympathiser avec les habitants des lieux qu’il traverse, et s’adonne avec un plaisir non dissimulé à la chasse, sa grande passion. Durant son règne, la France connaît des années prospères. Malgré quelques périodes de chômage, le travail est à nouveau là, les caisses de l’Etat se remplissent, l’armée et la marine sont développées et améliorées, les Français ont le moral et sont tournés vers l’avenir. La population est en hausse, Paris est la première ville de France avec 800.000 habitants, et malgré ses quartiers populaires, sa saleté, ses odeurs et les disparités sociales dans la population, elle commence à se moderniser avec des omnibus qui la traversent. Malgré tous ces progrès, Charles X reste un roi du passé, qui pense encore comme en 1789 et reste relativement coupé des réalités, de l’évolution de son peuple.
En 1826, les premières attaques contre Charles X commencent à fuser. On se lasse des Bourbon, alors on le pousse à la faute, à ce qui le fera chuter. Ainsi, le Comte de Montlosier, ancien député des Etats-Généraux et libéral convaincu, s’en prend à la religion, l’un des piliers du Roi, catholique fervent. Petit à petit, il convainc l’opinion de la trop grande proximité du pouvoir et de la religion, accusant les Jésuites de prendre une part importante dans la vie politique. Il dénonce une Congrégation qui agirait dans l’ombre et contrôlerait la France. L’existence de cette Congrégation est éventée, et se met en place un véritable anticléricalisme, les congréganistes sont hués et insultés, de même que les prêtres, des mouvements populaires se soulèvent un peu partout. Charles X prend position pour l’Eglise, tout comme le Pape Pie XII. C’est le premier faux pas. En mars 1826, Peyronnet, le garde des Sceaux, soutenu par le Premier Ministre Villèle, présente la « loi de justice et d’amour ». Cette loi touche à la presse et impose une forme de censure sans en prononcer le nom. La loi provoque un véritable tollé, et le gouvernement, déjà peu apprécié, est vilipendé.
Finalement, la loi ne passe pas, des vivats se font entendre. Fin avril 1827, Charles X passe en revue la garde nationale. Bien reçu, quoi que critiqué sur le choix de ses ministres et ayant essuyé des insultes contre ses belles-filles, il estime le bilan assez satisfaisant. Pour lui, sa popularité est intacte. Mais, peu après, la garde nationale défile devant le ministère des Finances et réclame la déchéance de Villèle. Celui-ci, pour se venger, pousse Charles X à renvoyer les gardes nationaux – pur produit de la Révolution, qu’il abhorre – et ne garder que la garde royale. Le roi accepte et se met ainsi à dos la principale force armée de France. Fin juin, Charles X promulgue une ordonnance visant à censurer la presse. Sa popularité en prend un coup sévère, et il n’a plus la majorité : les ultras sont mis à part au profit des libéraux.
En 1825-1826 se déroule la bataille de Navarin. La Grèce, débarrassée des Turcs sur une partie de son territoire, les voit tenter de reprendre possession de la Crète. Débarqués en Morée, les Turcs se livrent aux massacres et aux pillages visant à réduire la population du Péloponnèse à rien. Allié à l’Angleterre, à l’Autriche et à la Russie, Charles X envoie une armée afin de libérer la Grèce. En septembre 1829, le traité d’Andrinople consacre l’indépendance grecque : le roi de France sort victorieux de cette guerre et prouve la qualité de sa marine. En avril 1827, le dey d’Alger gifle le consul Deval à propos d’une dette que la France devait à l’Algérie depuis 1798. Le gouvernement réclame réparation, ce qui n’arrive pas. Martignac, le nouveau Premier Ministre depuis le renvoi de Villèle en 1828, pourtant hostile à la guerre, accepte de lancer une offensive contre l’Algérie. En avril 1829, Martignac est à son tour congédié et remplacé par le Prince de Polignac. Très mauvais choix !
Fils de Yolande de Polignac, la grande amie de Marie-Antoinette détestée du peuple, le nouveau Premier Ministre l’est tout autant. Le blocus qui résulte de l’envoi de troupes en Algérie ne mène d’abord à rien, mais finalement, en mai 1830, c’est la victoire. Alger est prise par les troupes françaises, contre l’avis de l’Angleterre, et est rattachée à l’empire colonial Français. La victoire est célébrée à Paris, mais ce n’est que de courte durée. L’opposition, et la presse (depuis libérée de la censure), ont dû mal à accepter cette victoire du gouvernement Polignac, qu’ils détestent.
Malgré tous ces succès, l’opposition devient majoritaire à la Chambre. La chute de Charles X est annoncée. S’il avait accepté de se défaire de Polignac pour un gouvernement populaire, ça aurait pu être évité. Usant de l’article 14 de la Charte, le roi promulgue 4 ordonnances le 25 juillet 1830. Le lendemain, elles sont connues du grand public : c’est un tollé général. Le Roi réside alors à Saint-Cloud, loin des agitations parisiennes. Le 26 juillet, Charles X part à la chasse, comme son frère Louis XVI le fit en 1789. A Paris, les ordonnances ont provoqué une révolution qui dure du 27 au 29 juillet : ce sont les Trois Glorieuses. Les gendarmes sont visés par le peuple, des barricades sont montées, on arrache les pavés pour s’en servir de projectiles. Peu à peu, les gardes lâchent le Roi, et l’ex-garde nationale, toujours armée, se lie au peuple.
Trois solutions s’offrent à la France : maintenir Charles X au pouvoir, la République, ou l’intronisation du Duc d’Orléans. On murmure le nom de Louis-Philippe. Certains ministres finissent par se rallier à lui. Charles X accepte de se séparer de Polignac qu’il remplace par le Duc de Mortemart, mais il est trop tard. Le 2 août, il nomme Louis-Philippe lieutenant-général du royaume et abdique en faveur de son fils qui devient « Louis XIX », qui à son tour abdique en faveur de son neveu le Duc de Bordeaux, devenu « Henri V ». Charles X confie la Régence à Louis-Philippe le temps de la minorité de son petit-fils. Le 4 août, le Duc d’Orléans devient Louis-Philippe Ier, Roi des Français.
Charles X quitte Saint-Cloud, menacé d’être envahi comme Versailles le fut les 5 et 6 octobre 1789. Il loge à Maintenon puis à Rambouillet, et enfin quitte la France pour l’Angleterre. Fin août, ce qui reste de famille royale s’installe à Lulworth, non loin de Plymouth. Le château est convenable mais insalubre. Devenu indésirable en Angleterre, alliée à Louis-Philippe, et pour passer les mois d’hiver, Charles X rejoint donc Edimbourg et Holyrood, où il avait déjà vécu en exil.
La Duchesse de Berry réclame la régence au nom de son fils, ce que le roi finit par accepter. Il la voit s’embarquer pour Marseille puis pour la Vendée. Enfin, elle retourne à Nantes où elle est emprisonnée. En septembre 1832, Charles X quitte l’Ecosse pour l’Autriche, il vit au palais du Hradschin, à Prague. Là, il apprend que sa belle-fille est enceinte et s’est remariée. Il refuse désormais de la revoir, estimant qu’elle a perdu ses prérogatives de membre de la famille royale. Ses petits-enfants sont alors confiés à leur tante, la Duchesse d’Angoulême. Dans son exil, Charles X reçoit la visite de Chateaubriand, autrefois l’un de ses détracteurs, venu soutenir la cause de la Duchesse de Berry, mais le vieux roi de 76 ans refuse. Il finit seulement par accepter que sa belle-fille revoie ses enfants une dernière fois.
Par la suite, il s’installe au Buchstichrad, et enfin à Goritz en 1836. Atteint du choléra, il finit par s’éteindre au matin du 6 novembre. Il est inhumé dans le village de Castanovizza.