Lecture analytique, l'opium, C. Richet

C’est le dernier texte de cette séquence. Il est le plus relativement récent et il n’est pas d’un auteur très connu, Charles Richet dans une ancienne publication, existant encore, La Revue des deux mondes, il a écrit de longs articles sur « Les Poisons de l’intelligence », où il va observer, avec sa formation de scientifique, les effets de différentes drogues, comme le chloroforme, ou l’alcool. Ici, cet extrait s’intéresse à l’opium.

L’opium, une drogue issue de la culture du pavot, fleur de la même famille que les coquelicots a vu son expansion, en Asie, par l’intermédiaire de la colonisation anglaise qui en a fait un marché très développé au travers de ses colonies. On ira voir ici pour une information plus détaillée.

Charles Richet, fort de formation scientifique va donc réfléchir aux effets de l’opium sur la Chine. Son texte aura trois parties principales. Une première qui va observer le développement du marché de l’opium, une deuxième, très courte, qui montrera comment se consomme l’opium à fumer, et, enfin, une, plus argumentative, sur les méfaits de l’opium sur la société Chinoise.

La première partie s’ouvre avec une phrase comparative pour bien faire saisir au lecteur Français, la problématique de l’opium en Chine. En effet, il compare l’usage de ce produit avec celui de « l’alcool et le tabac », en Europe. La phrase suivante est plus intéressante, parce qu’elle part d’un constat affirmé, mais non vérifié, pour accuser « l’Occident » qui, certes, a entraîné les guerres de l’opium. Au moment de l’écriture de cet article, il y a déjà eu deux guerres de l’opium… cela explique la prise de position « il n’y a pas lieu de l’en féliciter. Il ne faut pas non plus féliciter les Anglais ». Non seulement, l’opium a les méfaits sociaux qui seront démontrés par la suite, mais, en plus ils ont développé une structure de conflits guerriers. « Cherchent par tous les moyens » continue cette idée puisque il n’y a pas que le moyen du marché, il y a aussi celui de l’imposition par la force. Les chiffres donnés, ensuite, sont une démonstration très précise de l’influence des Anglais sur la consommation de ce produit. L’origine du marché, selon l’auteur serait L’Inde, autre colonie Anglaise… Cela a les effets attendus mais il ne faut pas se tromper « les fonctionnaires comme les négociants des Indes » sont majoritairement Anglais.

Le paragraphe suivant est intéressant, autant dans l’argumentation que dans le développement historique de la consommation du produit. En effet, l’auteur présente la consommation de l’opium comme « surtout des fumeurs » et passe rapidement sur les « mangeurs », hors si on en croit les recherches, l’opium n’a été pendant très longtemps, de l’Antiquité jusqu’au XVIème siècle, que mangé. Il a fallu attendre l’arrivée du tabac au XVIème siècle et de nombreuses étapes pour qu’il soit fumé comme il l’était au XIXème siècle. Le scientifique n’a donc commencé son observation que depuis le XIXème… Il décrit, ensuite, précisément la consommation fumée de la drogue. Au niveau de l’argumentation, cette démarche est intéressante. Elle donne au lecteur plusieurs informations. La précision de la description et les détails particuliers « il faut à chaque instant », « l’opium ne brûle pas facilement » que l’observateur a effectué un travail approfondi, dès lors on ne put que faire confiance à ce qu’il écrit. Ensuite, cette précision place très précisément le lecteur dans le sujet. Il n’est plus seulement en train de lire à propos d’un produit vague dont il méconnaît l’usage, il connaît maintenant, parfaitement, lui semble-t-il, le produit puisqu’il peut « voir » comment on le consomme. Par contre, on estimera la limite de cette démarche. En effet, oubliant toutes les façons de consommer l’opium, l’auteur, face à un lecteur qui se sera renseigné, paraîtra incomplet…

Le dernier paragraphe, la dernière partie, est la plus longue. Elle concerne la réflexion sur plusieurs effets de ce produit sur la société chinoise. Partant du principe que « ceux qui en abusent sont loin d’être les plus nombreux », il va découper l’usage et les effets selon les classes sociales. En effet, tout le monde consomme l’opium « les plus riches mandarins, les commerçants les plus intelligents (…) comme les derniers des coulies ». Ici, l’argumentateur choisit une orthographe francisée de « coolie », c’est une des plus basses classe sociale d’Asie, des agriculteurs venus à la ville et qui n’ayant pas de travail s’engage comme porteur. Ainsi, l’énumération argumentative est à la fois très respectueuse de la culture chinoise « mandarin », « coulies » mais permet une gradation inversée du plus riche au plus pauvre. Mais cette énumération va permettre de différencier les effets « qui ne fait guère plus de ravages, au moins parmi la classe aisée », le « au moins » avertissait déjà de la remarque qui suit « mais dans le peuple, il n’en est pas ainsi ». Il y a donc, dans la réflexion de l’auteur deux effets divergents de la consommation d’opium. Pas grand effet chez les plus aisés et des effets plus graves, qu’il va développer chez les plus pauvres.

Ces effets vont encore être présentés à partir d’une observation précise, pour maintenir l’effet qui a été présenté plus haut sur l’importance de la précision narrative dans l’argumentation. Ici cette précision concernera le lieu de consommation de l’opium. Les « fumoirs ». on retrouve aussi le terme « passion » qu’avait utilisé Baudelaire dans son texte « du Vin et du haschisch » qui réfère à la dépendance qu’on utilisera plus tard. Chez les plus pauvres, on ne vient pas chercher la consommation, on vient chercher un complet étourdissement. Le scientifique fait donc le parallèle, qu’il beaucoup utilisé soit avec le tabac, soit avec l’alcool, entre un fumeur d’opium, asiatique, et « un ivrogne », européen. Il montre alors que les deux ne cherchent que la même extase dangereuse : « être complètement étourdi », asiatique, « lorsqu’il est ivre », européen. Ainsi, il n’y a aucune difficulté à faire correspondre « fumoir », asiatique, et « cabaret », européen. C’est assez intelligemment mené puisqu’il n’aura, par ce parallèle, aucune difficulté à associer l’opium au « poison » qu’il introduit dans la phrase suivante. Cependant, le « certes, compris ainsi » introduit une nuance qu’il va développer pour affiner son propos.

D’abord, il continue dans l’idée du « poison », « au dire de tous les voyageurs », référence générale et anonyme, « ces excès tombent bientôt dans une effrayante dégradation morale et physique ». il y a bien, là, développé, l’idée du poison que la phrases suivante va encore enrichir « Pâles, hâves, décharnés, se traînant à peine », ils sont soumis au chantage du poison qui est la seule chose qui « leur rend une stimulation factice ». ce développement insiste donc clairement sur l’aspect dangereux de la matière. Mais, le « certes, compris ainsi », qui annonçait une nuance, est enfin développé par le connecteur « cependant ». « Il est très probable qu’on a exagéré les effets funestes de l’opium ». Ainsi donc, ce qu’il vient d’énoncer serait à mettre en doute ? Pas exactement « le nombre de ceux qui meurent de cet abus est peu considérable ». Ce ne sont pas les effets décrits ci-dessus qui sont remis en cause, c’est le nombre de morts, dont il a été parlé mais à l’extérieur du texte. Ainsi, par cette façon de présenter, Charles Richet met à la fois en garde contre des effets néfastes de l’opium, tout en limitant ces effets.

Les deux dernières phrases vont donc être une sorte d’éclaircissement. D’un côté, la consommation de l’opium, même de manière notable, ne fait pas perdre les facultés intellectuelles, mais touche les fonctions digestives. Ainsi les « pâles, hâves, décharnés » ne seraient dus qu’aux effets sur la digestion de l’opium, il n’y aurait pas la « dégradation morale » que sous entendent, en occident, en tout cas, ces adjectifs. L’opium est à la fois non dangereux et dangereux.

La conclusion, qui s’enchaîne dans la même phrase que celle qui observe les effets de l’opium sur la digestion, met un bémol à ce qui pourrait être conclu de l’état de la Chine par rapport à cette argumentation. D’abord « elle n’est pas sur le point de périr », ensuite « si elle est en décadence », ce n’est pas à cause de l’opium. Il introduit ainsi un nouveau paramètre, l’idée de la décadence de la Chine qui amènera à relire le texte pour voir de nouvelles entrées d’information quant aux rapports de la Chine et de l’Angleterre.

Pour conclure ce texte qui observe, principalement, l’opium en Chine, nous transmet des informations intéressantes sur le rapport Occident et Orient. On pourra aussi y déceler comment la Chine est regardée, pourtant d’un œil qui se veut objectif, par un occidental, à la fois dans son rapport presque touristique, avec « mandarin », et « coulies », par exemple, mais aussi dans son aspect des échanges économiques, notamment au premier paragraphe, à propos de l’Angleterre. On pourra, aussi, s’étonner que ne soit aucunement abordé la consommation de l’opium en Occident.