Lecture analytique de Ruy Blas, I, 1

Au XIXème siècle, Victor Hugo a bouleversé le règles théâtrales avec une pièce précédente : Hernani. Ici, dans Ruy Blas, il va reprendre son essai. La pièce Ruy Blas va mettre en avant les enjeux de l’amour et de la position sociale. Ainsi, au début de la pièce, le héros, Ruy Blas, n’a pas la position du théâtre classique. Il est un serviteur. Cependant, dans ce texte, c’est la longue didascalie initiale et les trois didascalies fonctionnelles du texte sur lesquelles nous allons réfléchir pour mieux comprendre les choix de représentation.

La première didascalie est une didascalie initiale, puisque nous sommes au tout début de la pièce. La scène est une scène d’ouverture et d’exposition. Elle comporte 19 lignes ! C’est très long et cela nous donne déjà l’indication de combien l’auteur a une vision précise de ce qu’il veut voir sur scène. Si on fait commencer la mise en scène, telle que nous la connaissons aujourd’hui, en 1887, le texte est de 1838 et nous pouvons comprendre que Victor Hugo ne veut rien laisser au hasard.

Les dix-neuf lignes sont composées à peu près de quinze phrases.

La ligne 1 à la ligne11 va définir le lieu scénique

Les lignes 11, 12 et 13, sont aussi fonctionnelles puisqu’elles indiquent le mouvement d’entrée des trois personnages de la scène.

Les lignes 13 à 17 concernent le costume de Don Salluste

Gudiel n’a droit qu’à une phrase pour son costume, de la ligne 17 à 18.

Ruy Blas a droit à cinq phrases de la ligne 18 à la ligne 19.

De ces premières observations, on peut déjà deviner que les deux personnages les plus importants seront Don Salluste et Ruy Blas. Que Don Salluste est le deuxième point le plus important de la description. On a donc, par ordre d’importance de sujet : le cadre scénique, le costume de Don Salluste, le costume de Ruy Blas, l’entrée des personnages, le costume de Gudiel.

La description du lieu scénique est présentée comme une promenade du regard qui part d’une vue générale, tourne « À gauche », on présume la gauche du public, les deux côtés, le fond, et le centre de la scène.

Tout est fait pour donner une impression de grande richesse, mais, dans le même temps, cette richesse, apparente, ne concerne pratiquement que les contours de la scène. Le centre n’étant occupé que par « une table, un fauteuil et ce qu’il faut pour écrire ». ce dénuement vient en contradiction avec « ameublement magnifique dans le goût… Philippe IV », puisque hors les portes, les vitres, les rideaux, il n’y a pas d’autre ameublement que ceux cités ci-dessus. Il apparaît clairement que la volonté de l’auteur est de mettre en avant une impression de richesse plus qu’une richesse proprement dite. Dès lors, il est logique d’avoir une certaine défiance vis à vis de la description de ce décor pourtant si longue…

Ainsi, par exemple, le côté gauche doit comporter à la fois, « une grande fenêtre à châssis doré et à petits carreaux» et « sur un pan coupé, une porte basse donnant dans quelques appartements intérieurs. La scénographie en sera pas simple, le pan coupé pouvant soit dissimuler la fenêtre, soit dissimuler le fond.

Un autre phénomène étrange de description de lieu. Le fond. Une nouvelle « grande cloison vitrée à châssis doré », qui renvoie à la fenêtre du côté gauche, vue précédemment, « s’ouvrant par une large porte également vitrée » ,mais ce n’est pas le fond proprement dit puisque ce fond s’ouvre « sur une longue galerie ». Cette galerie « traverse tout le théâtre », on présume le fond, mais « est masquée par d’immenses rideaux qui tombent du haut en bas de la cloison vitrée ». Ce devient particulièrement intéressant. L’auteur nous dit ce qu’il perçoit au moment de l’écriture. Mais ces visions auront quelques problèmes à exister pour le public, comment celui-ci, par exemple, peut-il savoir que la « galerie traverse tout le théâtre » si elle « est masquée » ?

L’auteur nous montre ainsi un point important de la didascalie. Elle n’est pas une description a posteriori du spectacle, elle est une vision a priori de l’auteur de la pièce qui ne l’a pas encore mise à l’expérience du plateau. Évidemment, on trouvera des solutions pour être au plus près de cette vision. Amis sera-ce exactement ce que prévoyait l’auteur au moment de son écriture ?

Ainsi, par exemple le détail du costume de don Salluste, plus facile à exécuter, nous montre bien cet antériorité de l’écriture par rapport à la représentation : « Don Salluste est vêtu d’un costume noir » mais avec, par-dessus, un « manteau de velours vert clair ». Que voit le public en premier, le manteau vert ou le costume noir ?

Ces détails qui démontrent avec efficacité le déroulé entre l’écriture et la représentation, mettent toutefois, en avant les objectifs clairs de Victor Hugo. Tant l’espace que Don Salluste doivent donner une impression de richesse et de haute noblesse. On a l’ensemble des mots mélioratifs « magnifique, grande, doré, grande, doré, large, longue, immenses, Toison d’or, riche, brodé d’or, satin noir » Il y a l’évidence de mettre en avant cette idée de grande richesse.

Dans le même temps, il faut introduire l’opposition sociale, la différence qui mettra Ruy Blas dans un domaine différent. Cette opposition sociale est déjà apparue dans le décor avec le « sur un pan coupé, une porte basse donnant dans quelques appartements » qui vient, notamment à gauche du plateau, arrêter l’expression de la richesse. Mais c’est le costume de Ruy Blas et la façon que Victor Hugo a de le mettre, à la fois, en avant et en opposition qui est intéressant. Si on regarde la construction syntaxique de la présentation du costume de Don Salluste, on a Une phrase simple, quatre phrases averbales. Pour Ruy Blas, on a une phrase simple et quatre phrases averbales ! Si la description pour Don Salluste, en termes de lignes est supérieure à celle de Ruy Blas, elle est égale en termes de phrases ! La première phrase simple de Don Salluste donne une vision générale du costume riche, la phrase simple de Ruy Blas, donne aussi l’indication du costume général, mais résumé en « une livrée ». Les sur-ajouts chez Don Salluste : » Toison d’or, une phrase averbale, le manteau, une phrase averbale, l’épée, phrase averbale, la coiffe, une phrase averbale. Les sur-ajouts chez Ruy Blas, Haut-de-chausse et justaucorps, une phrase averbale, surtout, une phrase averbale, pas de coiffe, phrase averbale et pas d’épée, phrase averbale.

Globalement l’auteur a suivi le même schéma d’analyse de costume, mais plus il a enrichi le costume de Don Salluste, plus il a réduit le costume de Ruy Blas. On notera, principalement, le développement « Épée à grande coquille » et « Sans épée » et « Chapeau à plumes blanches » et « Tête nue »… Donc, dès la didascalie, l’auteur indique clairement son projet d’opposition de ces deux personnages, faisant, alors, de Gudiel, un personnage intermédiaire où on retrouve le « noir » et « l’épée » de Don Salluste mais la pauvreté descriptive de Ruy Blas.

Cette impression va être renforcée dans la première didascalie fonctionnelle, avec la répétition de « Don Salluste », en position de commandeur « sur un signe de », et Ruy Blas quasiment effacé puisque seulement repris par le pronom personnel « il » et qui ne fait qu’obéir à Don Salluste.

La deuxième didascalie fonctionnelle va permettre à Don Salluste d’exposer la situation amis il prendra comme interlocuteur Gudiel.

La dernière didascalie fonctionnelle est intéressante, parce qu’autant la précédente avait presque mis Gudiel sur un pied d’égalité avec Don Salluste qui en a fait son confident, autant le geste de d »boutonner » son pourpoint », non décrit dans la didascalie initiale, va permettre à Don Salluste de ramener Gudiel à sa position de serviteur que son entrée avait laissé entendre.

Ainsi ce premier texte nous donne un aperçu intéressant de la problématique des didascalies. Alors qu’elles semblent un réel travail de précision pour la scène, elles ne sont, en tout cas, ici, qu’un travail général sur lequel il faudra, principalement, travailler sur le sens qu’elles dégagent plutôt que de suivre « à la lettre » puisqu’il semble impossible, parfois d’y réussir.