Lecture analytique de IV, 5, Mithridate, Jean Racine

C’est l’ultime scène et la scène de pardon. Poussé par Pharnace, les Romains ont tenté d’attaquer le palais de Mithridate. Xipharès et lui les ont repoussé. Ce dernier combat de Mithridate lui a montré toute la vertu et la valeur de son fils. Alors que Monime, qui allait s’empoisonner revient, Mithridate, entouré des siens, est en train de mourir.

L’arrivée de Monime permet l’expression de son chagrin qui dénonce le destin « quel sort est le vôtre ! ». Dans cette expression, il y a, finalement, l’expression même de la tragédie. Mithridate meurt, le Mithridate complexe, non, parce qu’il a fait de mauvais choix, mais parce que c’était son destin. Mithridate va lui répondre en presque 30 vers. Il ordonne d’abord de mettre fin à l’expression de chagrin de Xipharès, de Monime et de ceux qui l’entourent. Cette supplique est déjà le don de Monime à Xipharès puisqu’il met sur le même vers la « tendresse » de Xipharès, pour son père mais aussi pour Monime, et l’amitié, au sens fort, de Monime, pour Mithridate, mais aussi pour Xipharès.

Il demande alors le droit d’être honoré comme un héros qui s’est opposé aux Romains. « ma gloire », vers 6, « digne d’être admirée », vers 6, « me flatter », vers 11, « entre les noms fameux », vers 11, Mithridate est le héros résistant aux Romains et c’est cela qu’il veut mettre en avant entre le vers 5 et le vers 19. « Romains », vers 10, « Rome », vers 17, « Romains », vers 19. C’est cette valeur d’ennemi acharné qu’il veut qu’il soit retenu. 3j’ai vengé l’univers autant que j’ai pu », « je n’ai point de leur joug subi l’ignominie », vers 9, « j’expire environné d’ennemis que j’immole », vers 19, « dans leur sang odieux, j’ai pu tremper les mains », vers 20. Il est celui qui a lutté sans cesse contre cet envahisseur. Seule la mort l’a empêché de mener à bien sa mission « le ciel n’a pas voulu qu’achevant mon desseins

Rome en cendre me vît expirer dans son sein ».

Mais sa mort reste encore dans cette ligne héroïque et vengeresse puisqu’il a fait fuir les Romains, vers 21, et qu’il en a vu mourir plusieurs. C’est donc une belle mort pour lui et c’est la raison pour laquelle il refuse la tristesse et la pitié.

Cette mort à la hauteur de son destin, alors qu’il est en train de s’éteindre, il reconnaît qu’il en est redevable à son fils Xipharès. Et, avant de mourir, il cherche la récompense qui serait la plus à la hauteur de cette mort glorieuse qu’il doit à son fils. « que ne puis-je payer ce service important

de tout ce que mon trône eut de plus éclatant ! »

La phrase exclamative exprime à la fois une envie et un regret par la construction « que ne puis-je ». Mais sa réflexion continue et, en quatre vers, l’amour de Xipharès et de Monime va pouvoir exister, par la bénédiction de Mithridate.

« Mais vous me tenez lieu d’empire, de couronne ;

Vous seule me restez : souffrez que je vous donne,

Madame, et tous ces vœux que j’exigeais de vous,

Mon cœur pour Xipharès vous les demande tous. »

Il associe d’abord Monime comme le dernier trésor royal qu’il possède « vous me tenez lieu d’empire, de couronne, vous seule me restez », on note l’enjambement qui court jusqu’à la fin du premier hémistiche. « Souffrez que je vous donne, Madame » nouvel enjambement qui permet la forme d’insistance sur « Madame ». « tous ces vœux que j’exigeais de vous, mon cœur pour Xipharès vous les demande tous ». C’est l’ultime don. Par contre, on peut s’étonner du choix de Racine. S’il avait voulu un Mithridate plus repenti, n’aurait-il pas dû inverser « exiger » et demander » ? Certes cela aurait obligé à une structuration différente pour garder l’alexandrin mais n’aurait-ce pas été plus juste ? Il sait, au moment de sa mort, que Monime et Xipharès s’aiment. Il doit donc savoir que l’amour de Monime envers lui n’était alors qu’une demande ? En même temps, « exiger », met, quand même en avant la valeur impériale du vivant de Mithridate.

C’est Monime qui répond, qui va répéter trois fois l’impératif « vivez » et en donner quatre raisons : « pour le bonheur du monde », elle rejoint par là le discours de la résistance obligée aux Romains, « pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde », cette résistance est aussi une manifestation d’échapper au joug Romain et de garder ses propres choix, c’est toujours le discours de Mithridate. « Pour triompher d’un ennemi vaincu », ici l’objectif est de montrer aux Romains qu’ils ne sont pas invincibles. « pour venger... » la phrase n e s’achève pas et on ne peut clairement délimiter de quelle vengeance il s’agit. Troublée par la mort, elle lui demande de vivre pour venger sa mort ? Pour venger d’autres morts ?

Mithridate, qui sent bien les effets mortels de sa blessure, ne peut pas discuter de tout ce qu’il reste à faire. Il lui reste à mourir «C’en est fait, Madame, et j’ai vécu ». Phrase totale d’acceptation de son destin, le verbe « vivre » est exprimé au passé composé, donc achevé. Il reste donc à donner les derniers conseils. Mithridate connaît les romains, il va le montrer par deux fois, d’abord il sait qu’ils vont revenir « tous les Romains, de leur honte irrités, viendront ici », il faut donc que Xipharès et Monime s’enfuient et se fassent oublier « cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie ». Il en fait la demande en exigeant qu’on oublie la cérémonie funèbre qu’il mériterait. Comme un roi guerrier qu’il est, il se satisfera des cadavres Romains qui l’entourent pour trouver al sépulture à sa hauteur. Dans cette courte réponse, on découvre un Mithridate, roi soucieux de son héritage et, dans le même temps, heureux de sa mort sur un champ de bataille, comme un vrai soldat.

Xipharès réagit avec son honneur et son amour propre « que je fuie ! », c’est l’acte du couard, d’autant qu’il ajoute sur les deux hémistiches suivantes ce qui le rend encore plus certain de devoir se battre « que Pharnace impuni », la traîtrise laissée en vie, « les Romains triomphants », le retour des Romains et la mort de Mithridate laisserait ceux-ci croire à leur triomphe et qu’il n’y a plus de résistance.

La dernière réponse de Mithridate est une réponse d’empereur « je vous le défends ». Il montrera pour la deuxième fois sa connaissance des Romains puisqu’il est persuadé que ce seront eux qui feront périr Pharnace qui s’est tourné vers eux. Enfin, en deux vers il énonce sa mort « je sens affaiblir ma force et mes esprits

Je sens que je me meurs"

et il demande un dernier salut affectueux à Xipharès et Monime.

Monime confirme sa mort et Xipharès, partant avec elle, jure la vengeance. Le dernier vers de la pièce s’achevant par « cherchons-lui des vengeurs »

La scène est à la fois rapide et simple. Mais elle laisse interrogateur. Si les personnages de Xipharès et de Monime n’ont pas subi de réel changement sur la silhouette générale de leur caractère, le changement de Mithridate au moment de sa mort est plus surprenant. Il accepte la mort avec un fatalisme qu’il n’a pas eu de toute la pièce. Il abandonne Monime à Xipharès sans un seul instant mettre en avant la sensation de traîtrise qu’il avait ressenti au moment de découvrir que Monime aimait Xipharès. Alors qu’il a été à chaque fois présenté comme un bouillant et dangereux passionné, il semble presque trop gentil avec Pharnace qu’il laisse vivre en attendant que les Romains le tue. Tout donne l’impression que la mort a ôté les griffes et les crocs au lion. c’est peut-être ce changement radical qui gène aujourd’hui pour monter la pièce. Mithridate devient un personnage difficile à croire.