Le travail préliminaire à la lecture analytique et aux commentaires.

Observations phonétiques et prosodiques

[ PLYI]

[la plyi, dã la kur u ʒə la rəgardə tɔ̃be, dɛsã a de zalyrə trɛ divɛrsə. o sãtrə se ɛ̃ fɛ̃ rido (u rezo) diskɔ̃tiny, ynə ʃytə ɛ̃plakablə mɛ rəlativəmã lãtə də gutə probabləmã asɛ leʒɛrə, ynə presipitasjɔ̃ sãpitɛrnɛlə sã vigør, ynə fraksjɔ̃ ɛ̃tãsə dy meteɔrə pyr. a pø də distãsə de myr də drɯate də gɔʃə tɔ̃bə avɛk ply də bryi de gutə ply lurdə, ɛ̃dividye. isi ɛlə sãblə də la grosør dɛ̃ grɛ̃ də ble, la dɛ̃ pɯa, ajør prɛskə dynə bijə. syr de trɛ̃glə, syr lezakudɯar də la fənɛtrə la plyi kur orizɔ̃taləmã tãdi kə syr la fasə ɛferjørə de mɛməzobstaklə ɛlə syspã ã bɛrlɛ̃go kɔ̃vɛksə. selɔ̃ la syrfasə ãtiɛrə dɛ̃ pəti tɯa də zɛ̃k kə lə rəgar syrplɔ̃bə ɛlə ryisɛlə ã napə tre mɛ̃sə, mɯare a kozə də kurã tre varje par lezɛ̃pɛrseptiblə ɔ̃dylasjɔ̃ e bɔsə də la kuvɛrtyrə. də la gutjɛratənãtə u ɛlə kulə avɛk la kɔ̃tãsjɔ̃ dɛ̃ ryiso krø sã grãdə pãtə, ɛlə ʃɯa tutaku ãnɛ̃ file parfɛtəmã vɛrtikal, ase grosjɛrəmã trese, ʒysko sɔl u ɛlə sə brizə e rəʒaji ãnegyijɛtə brijãtə.

ʃakynə də se fɔrmə a ynə alyrə partikyljɛrə; il i repɔ̃ ɛ̃ bryi partikyljɛ. lə tu vi avɛk ɛ̃tãsite kɔm ɛ̃ mekanismə kɔ̃plike, osi presi kø azardø, kɔmynə ɔrlɔʒəri dɔ̃ lə rəsɔr e la pezãtør dynə masə dɔne də vapør ã presipitatsjɔ̃.

la sɔnəri o sɔl de file vɛrtiko, lə glu glu de gutjɛrə, le minyskylə ku də gɔ̃g sə myltiplie rezɔnə a la fɯa ãnɛ̃ kɔ̃sɛr sã mɔnotoni, nɔ̃ sã delikatɛsə.

lɔrskə lə rəsɔr se detãdy, sɛrtɛ̃ ruaʒə kɛlkə tã kɔ̃tiny a fɔ̃ksjɔne, də plyzãply ralãti, pyi tutə la maʃinəri sarɛtə. alɔr si lə sɔlɛj rəparɛ tu sefasə bjɛ̃to, lə brijã aparɛj sevapɔrə: ila ply ]

Petit cours rapide de phonétique.

On considère deux types d’articulations. Les voyelles, provoquées par une vibration des cordes vocales et une organisation de l’espace phonateur qui va créer une résonance sonore particulière. La position de la mâchoire n’est pas la même pour prononcer un [a] et un [i]. Les consonnes qui sont formées par l’arrêt de l’air qui sort de la bouche au moment de la prononciation. L’articulation consonne(s) et voyelle forme la syllabe. Seulement, il y aura des voyelles dites ouvertes, où le couloir aérien sera plus ouvert [a], [o] ou [ɔ] – qui, en phonétique, correspondent tous deux à « o », mais l’un est plus ouvert, comme dans « autres » que l’autre un peu plus refermé, comme « chose »-, et [u] – qui en phonétique se prononce « ou »-, [ɛ] -qui en phonétique correspond à « è »- et des voyelles dites fermées [e] – correspond à « é »-, [y] – qui en phonétique correspond à « u »- et [i]. De la même manière, il y a des voyelles, et des voyelles nasales parce que l’air est expiré non par seulement la bouche, mais aussi par le nez, au moment de la prononciation, [ã] - qui, en phonétique, correspond à « an » ou « en »-, [ɛ̃] - qui, en phonétique, correspond à « un » ou « in » ou « ein », et [ɔ̃] - qui, en phonétique, correspond à « on »-. On remarquera que les voyelles nasales ont pour représentation, en phonétique, une voyelle ouverte [a], [ɛ] ou [ɔ] surmonté d’un tilde. Cela est pour signifier que la nasale correspond à la voyelle ouverte prononcée à la fois en expirant par la bouche et, plus, par le nez.

Cette petite présentation permet d’observer l’éventuel jeu que pourra avoir un auteur entre ouverture, nasale et fermeture, entraînant une musicalité particulière de son texte.

Ici, c’est particulièrement visible. Ponge joue énormément avec les sonorités. On observe les jeux où il rapproche une voyelle ouverte de sa voyelle nasale correspondante. Ainsi, dès le début du texte, on observe : « dans la », « descend à » où l’articulation se joue entre vocal et nasal. Mais la musicalité ne s’arrête pas là, puisqu’il y a des assonances du type « un fin », « du météore pur », « la surface » ou des allitérations « petit toit », « sol où elle se » ; enfin il n’hésite pas à créer des groupes qui mélangent plusieurs phénomènes phonétiques : « selon la surface entière », « assez grossièrement ».

Que pouvons- nous en déduire ? Contrairement à ce que la première approche nous indique, le texte est particulièrement travaillé au niveau sonore. Il est construit en jouant sur la musicalité de la voix. L’aspect prosodique devient alors un leurre qui va jouer sur le rythme même de la lecture de la phrase pour créer sa propre musique orale. On est donc bien près de la poésie.

Observations syntaxiques

« La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. »

C’est une phrase complexe, assertive ou déclarative, de forme emphatique puisque le complément circonstanciel de lieu, avec sa proposition subordonnée relative, « où je la regarde » a été déplacé pour être rapprochée de « la pluie » alors qu’il complète « descend ». Trois informations sont données, le thème « la pluie » et deux informations supplémentaire dans cet ordre : le lieu, « dans la cour », et l’action complété par la manière. L’auteur semble vouloir placer la pluie dans un lieu et lui ajouter une action qualifiée ensuite.

« Au centre c’est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. »

C’est une phrase simple assertive et particulièrement emphatique, d’abord, encore une fois, par le déplacement du complément circonstanciel de lieu, ici « au centre », qui commence la phrase et qui renvoie à « dans la cour », c’est donc le centre de la cour où la pluie tombe. Et, ensuite, quatre attributs de « c’». Attribut numéro un : « un fin rideau (ou réseau) discontinu », attribut numéro deux : « une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères », attribut numéro trois : « une précipitation sempiternelle sans vigueur » et attribut numéro quatre « une fraction intense du météore pur ». On remarque que le premier attribut accueille un groupe nominal entre parenthèses qui joue à la fois sur la paronymie, proximité phonétique, les deux mots commence par le son [r] et finissent par le son [o], mais à variation sémantique, le « rideau », revoie à un tissu qui tombe, alors que le « réseau » renvoie à une toile en expansion. Les deux sens mis ensemble crée bien une définition de la pluie à la fois tombante, comme le « rideau », mais étendue, comme le « réseau ». Le deuxième attribut est le plus long, ils comporte deux adverbes de manière en « ment », « relativement » et « probablement » qui eux aussi se complètent au niveau sémantique, le relatif se rapporte au lien, le probable se rapporte à ce qui s’imagine. La pluie semble, probabilité, à la fois, connecter, relativité, chaque goutte qui ont la même trajectoire. On observera les différents jeux, phonétiques et sémantiques dans « une chute implacable mais relativement lente ». Le troisième attribut est le plus court, il n’a que cinq mots « une précipitation sempiternelle sans vigueur » formant un seul groupe nominal, déterminant, noyau, adjectif, complément du nom avec préposition et nom commun. Pourtant, impossible de trouver l’ensemble simple. Le choix des mots, sûrement donne une étrange saveur complexe à l’ensemble. Le dernier groupe attribut :« une fraction intense du météore pur », plus long d’un seul mot que le groupe précédent, est construit sur deux groupes qui se complètent « une fraction intense » qui méritera une étude sémantique poussé et « du météore pur » qui ne laisse, là aussi, de s’interroger : de quel « météore » s’agit-il ? Et quel rapport y a-t-il entre la pluie et celui-ci ? La phrase, contrairement à la précédente qui était complexe mais simple à lire et comprendre offre donc un aspect totalement inversé. C’est une phrase simple qui démultiplie les approches compliquées.

« À peu de distance des murs droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées ».

À nouveau une phrase simple, à nouveau commençant par le complément circonstanciel de lieu, on remarque donc que les trois premières phrases mettent en avant, pour le texte de la pluie les compléments circonstanciels de lieu. On déduit que l’observation est centralisée dans une cour, indéfinie bien que déterminée de manière définie avec « la », il y a eu une première phrase sur le centre de la cour, la deuxième phrase, maintenant, les limites sont observées « murs de droite et de gauche ». La phrase est toujours emphatique, le complément circonstanciel de lieu est déplacé mais aussi le sujet « des gouttes », placé après, encore, un complément circonstanciel de manière « avec plus de bruit ». En apposition, l’adjectif qualificatif « individué », de langue très soutenue.

« Ici elles semblent de la grosseur d’un grain de blé, là d’un pois, ailleurs presque d’une bille. »

La construction de cette phrase simple toujours assertive et emphatique développe un phénomène intéressant. Il s’agit en fait d’une phrase composée avec le « elles semblent de la grosseur » qui devrait être répété à chaque proposition. On aurait alors trois propositions commençant par un complément circonstanciel de lieu sous forme d’adverbe : « Ici », « là », « ailleurs » et le complément du nom « grosseur », « d’un grain de blé », « d’un pois » « presque d’une d’une bille ». Ce phénomène ternaire joue sur l’énonciation mais aussi le sens. En effet, on observe ne gradation « grain de blé, « pois », « bille » du plus petit au plus grand.

« Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des obstacles elle se suspend en berlingots convexes. »

Les compléments de lieu, qui, à la phrase précédente se sont démultipliés, gardent ici leur multiplication, ils sont trois mais pour deux propositions, deux pour la première et un pour la seconde. Pour la première proposition « Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement », « sur des tringles », indéfini, « sur les accoudoirs de la fenêtre », même système que dans « la cour », « fenêtre » et « accoudoir » semblent définis mais ne le sont que pour le narrateur. Puis le sujet, puis l’action « court » qui s’oppose au « est » et « semblent », d’état des phrases précédentes et renvoie au « tombent » puis, à nouveau, un complément circonstanciel de manière en adverbe en « -ment », la deuxième proposition qui commence encore par un circonstanciel de lieu, « sur la face inférieure des obstacles », le sujet personnalisé « elle », l’action qui s’oppose à « court » et « tombent » : « se suspend » et la manière en langue soutenue « en berlingots convexes ». Cette phrase est intéressante à plus d’un titre. Elle préserve le schéma introductif des compléments circonstanciels de lieu, elle garde le ternaire de ces compléments qu’a initié la phrase précédente, elle introduit des verbes d’action qui, avec le précédent joue de la gradation entre « courir », « se suspendre » et « tomber ». Enfin, elle joue sur les compléments de manière entre les adverbes « horizontalement » ou composé en groupe nominal de langue soutenue « en berlingots convexes ».

« Selon la surface entière d’un petit toit de zinc que le regard surplombe, elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause des courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. »

Comme la phrase précédente, nous sommes en face d’une phrase complexe mais qui offre des variations sur le système jusque-là en place. En effet le complément circonstanciel de lieu laisse la place à une sorte de complément circonstanciel de manière mais qui reste lié au lieu en effet l’adverbe et préposition « selon » pourrait, ici, être parfaitement remplacé par la préposition « sur » et nous retrouverions le complément circonstanciel de lieu. Pourquoi l’auteur l’a-t-il échangé ? Sûrement à cause de la proposition subordonnée relative « que le regard surplombe » qui définit par déplacement un lieu. C’est le regard qui est placé par rapport au lieu du « toit de zinc ». Ainsi ce très long complément déplacé n’est ni vraiment un complément circonstanciel de manière ni un complément circonstanciel de lieu, mais un mélange des deux. Ensuite on retrouve le schéma réinstauré, personnalisation par pronominalisation « elle », verbe d’action « ruisselle » qui joue sur deux phénomènes, la reprise totale du segment sonore « elle » mais aussi la proximité sémantique avec « ruisseau » qui joue bien de l’idée de la pluie. Puis, en symétrie du très long complément introducteur, un très long complément circonstanciel de manière, avec une apposition qualifiante, introduite par un participe passé employé comme adjectif qualificatif « moirée » complété par un circonstanciel de lieu et un complément d’agent. Ici la phrase amène de la nouveauté dans la structure, comme s’il y avait un embrouillement des observations. C’est, d’ailleurs, à ce moment que le regard apparaît avec « le regard surplombe », introduisant indirectement le narrateur dans le spectacle. La phrase se joue aussi peut-être de la structure complexe du « toit en zinc » formé de bosses et de creux que la syntaxe essaie de construire.

« De la gouttière attenante où elle coule avec contention d’un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu’au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes ».

La structure syntaxique devient une architecture particulièrement développée qui se joue en permanence des lieux et des manières. La phrase complexe, toujours assertive, toujours emphatique a deux parties principales : première partie : « De la gouttière attenante où elle coule avec contention d’un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé » où on aperçoit une structure principale, propres aux précédentes : » complément circonstanciel de lieu, sujet personnalisé, verbe d’action compléments circonstanciels de manière. Mais le complément circonstanciel de cette première partie est lui-même décomposé en un complément circonstanciel de lieu « de la gouttière attenante où », un sujet personnalisé, un verbe d’action « coule », qui renvoie à « ruisselle », complément circonstanciel de manière et, nouveauté, un nouveau complément circonstanciel de lieu « d’un ruisseau creux sans grande pente ». La deuxième partie « elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé », suit un long complément circonstanciel de lieu, développé dans la première partie, sujet pronominalisé et verbe d’action « choit » et deux compléments circonstanciels de manière « tout à coup » et « en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé » qui se décompose, en son intérieur en deux groupes nom et premier adjectif complété par un adverbe de manière et deuxième adjectif complété par un autre adverbe de manière… c’est la dernière phrase de la description propre de la pluie, elle suit l’évolution des dernières phrases en développant et complexifiant le schéma initial de complément de lieu, sujet, verbe, complément circonstanciel de manière. Cela aussi permet d’amener le lecteur à une vision réellement mécanique de la pluie qui fonctionne précisément selon les endroits observés.

« Chacune de ses formes a une allure particulière ; il y répond un bruit particulier. »

La longue partie descriptive de la pluie s’achève avec un nouveau schéma syntaxique : une phrase composée de deux propositions indépendantes avec sujet, verbe et complément d’objet direct. C’est en montage en parallèle, mais, on observe une évolution. Le sujet de la première partie « chacune de ses formes » qui finit la personnalisation de la pluie en lui donnant un déterminant possessif « ses » vient en face de « il » qui est un pronom impersonnel, le même que celui qu’on utilise dans « il pleut ». « La pluie » est une personne, elle a des « formes », mais elle aussi une inexistence, « il »… Au verbe « a » se propose le verbe « répond » ; et a « une allure particulière », « un bruit particulier », les deux noms sont qualifiés avec le même adjectifs, mais « allure » est féminin comme la pluie et « bruit » masculin… L’opposition du genre dans ce parallélisme mérite d’être observé.

« Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d’une masse donnée de vapeur en précipitation. »

Si on observe la construction de cette phrase complexe assertive et emphatique, on a un sujet pronominal « le tout », il faudra y revenir, un verbe « vit » et un long complément circonstanciel de manière avec de multiples expansions :

    • Avec intensité

    • Comme une horlogerie

    • dont le ressort est

    • la pesanteur

    • d’une masse donnée

    • de vapeur en précipitation.

La construction nous amène à nous interroger sur « le tout », qui est aussi bien l’ensemble des gouttes de la pluie que le mécanisme de la phrase précédente qui mélange le masculin et l’indéterminé, masculin, de la pluie. Cette vie intense du tout est alors comparée à une horlogerie bien étrange puisque ce qui actionne le mécanisme est le poids de la vapeur… De quoi parle Ponge, d’une horloge à vapeur, le modèle n’a existé qu’en 1977 au Canada… D’un mécanisme qui n’existe pas, où la vapeur, issue de l’eau renvoie au matériau de la pluie ? Nous ne pouvons que nous interroger. Nous n’aurons pas de réponse précise.

Par contre, avec une telle phrase le poète réussit à nous faire associer l’idée d’un mécanisme horloger avec la longue description de la pluie qu’il a faite dans la première partie.

« La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse. »

Le mécanisme introduit va permettre de développer trois sujets qui renvoient à la sonorité mais aussi à certains types de mesure du temps : « la sonnerie » qui renvoie à l’horloge, « le glou-glou » qui renvoie à la clepsydre, sorte d’horloge à eau, et les « coups de gong » qui renvoient à la marque du marteau sur le bronze des cloches et des gongs. Ces trois sujets sont associés à un identificateur de la pluie, soit directement, le premier sujet et le second « Filets verticaux », « gouttières », soit indirectement « minuscules », les verbes vont ainsi développer à la fois la multiplicité des gouttes et le son de l’horloge « se multiplient et résonnent ». Le complément circonstanciel de manière, si on prend le temps de s’y arrêter, nous entraîne vers un nouveau questionnement : « un concert sans monotonie, non sans délicatesse ». Le terme « concert », dans la mesure où il renvoie au « résonnent » plus développé, par contre le groupe « sans monotonie, non sans délicatesse », si son usage phonétique est visible « ton » et « non », répétition du « sans » et la reprise du « i » de « monotonie » et de « délicatesse ». Par contre, le sens résiste plus, que le concert soit « sans monotonie », laisse déjà surpris puisque la pluie tombe avec la même vitesse et les variations de rythme ne sont dus qu’au vent qui n’est pas présenté dans le texte… Mais on pourrait, à la limite, admettre que le narrateur entend la chute de la pluie comme un concert qui n’est pas monotone. Par contre si le concert n’est pas monotone, pourquoi ajouter « non sans délicatesse », c’est-à-dire « avec délicatesse » puisque les deux sens négatifs compris dans « non » et dans « sans » s’annulent ? En quoi l’absence de monotonie de la pluie assure de l’existence de la délicatesse ?… C’est encore un point qui résiste à la compréhension.

« Lorsque le ressort s’est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s’arrête. »

Là encore, une phrase complexe déclarative et emphatique. Elle commence par une proposition subordonnée conjonctive complément circonstancielle de temps, « lorsque le ressort s’est détendu », c’est la reprise du « ressort » : « le ressort est la pesanteur d’une masse donnée de vapeur en précipitation », dont on vu l’impossible existence. Le groupe sujet file la métaphore « certains rouages » le verbe « continuent », mais ce verbe est utilisé en expansion « continuent à fonctionner » qui va permettre dans une nouvelle construction à trois groupes « continuent à fonctionner », « de plus en plus ralentis » « PUIS toute la machinerie s’arrête ». L’objectif est de créer, par cette construction, chez le lecteur, le ralentissement du mouvement, présenté sous forme arrondie, alors que la pluie tombe de manière verticale...

« Alors si le soleil reparaît tout s’efface bientôt, le brillant appareil s’évapore : il a plu. »

C’est la dernière phrase et comme l’a construit la dernière partie, elle montre une structure hors de l’ensemble, une proposition complexe, deux propositions indépendantes, la deuxième venant compléter la première. Regardons la première proposition, elle est construite avec une proposition hypothétique « si le soleil reparaît » et sa principale, « tout s’efface ». L’hypothétique fait intervenir un acteur nouveau : « le soleil », qui est en lien sémantique indirect avec le système de l’horloge et du « ressort » par le sème de la rondeur. Mais cet effet complexe, va jouer sur « tout ». Ce « tout » est apparu dans la formulation « le tout », qui était alors déterminé et laissait planer un doute sur ce qu’il représentait. Ici l’absence de détermination laisse imaginer que c’est l’ensemble de ce qui a été décrit : la trajectoire de la pluie, le mécanisme auquel le narrateur l’associe et l’ensemble du discours qui va disparaître. La proposition qui suit, juxtaposée avec une virgule donne l’impression de compléter la première partie « le brillant appareil s’évapore », on note que les liens sémantiques sont développés « brillant » renvoie à « rejaillit » et « brillantes » qui concernait la trajectoire de la pluie, « appareil », renvoie à « mécanisme », et « s’évapore » à la vapeur lié au mécanisme. Enfin, la proposition « il a plu », tranche nettement en mettant en exergue le « il » de « il y répond », toujours impersonnel et le « plu », formulation active et achevée de « la pluie ».

Observations grammaticales

Lorsqu’on doit observer les indices grammaticaux d’un texte, il est assez difficile de trouver une organisation. La grammaire, en effet, est à la fois un mécanisme que des choix initiaux entraîne, mais aussi un réseau de choix affirmés de l’auteur. Alors comment distinguer ce qui est du simple effet de suivi mécanique de ce qui est réellement de la patte de l’écrivain.

Il y a des pistes. Par exemple, le relevé des verbes conjugués permet vite de se faire une idée des choix narratifs qu’a fait l’auteur. L’observation des pronoms personnels permet aussi d’avoir des indices possibles, l’observation des genres les plus fréquents peut être une piste.

Le seul conseil que je pourrai donner c’est d’abandonner très vite tout ce qui démultiplie les informations et de se concentrer sur tout ce qui semble mener à une ou deux observations principales.

Tentons notre travail de recherche en relevant les verbes conjugués :

« « regarde », « descend », « est », « tombent », « semblent », « court », « se suspend », « surplombe », « ruisselle », « coule », « choit », « se brise », « rejaillit », « a », « vit », « répond », « est », « se multiplient », « résonnent », « s’est détendu », « continuent », « s’arrête », « reparaît », « s ‘efface », « s’évapore », « a plu ».

Que peut- on en tirer. Si on observe on voit que seuls deux verbes sont au passé composé. Ce n’est pas un hasard, ils se situent dans le dernier paragraphe qui annonce ce qui suit la pluie. Tous les autres verbes sont au présent de l’indicatif. Présent de narration ou présent de vérité générale. Ce qui est énoncé est un événement fortuit, ou un événement qui se reproduira chaque fois à l’identique soumis à une loi irréfragable ? Les deux semblent convenir. La pluie sera à chaque fois la même quand elle tombera, mais la présence d’un verbe à la première personne du singulier, alors que tous les autres sont à la troisième personne, « regarde », à la première phrase et au premier verbe, nous entraîne plutôt vers une narration. On notera que « le regard surplombe », représente bien cette double possibilité de narration et de vérité générale. « Le regard » c’est celui du narrateur, donc de celui qui raconte ce qu’il observe, mais le choix du déterminant défini, « le », sous entend que ce soit possible avec n’importe quel regard. Combien de verbes d’état ? Seulement trois, or le texte semblait être descriptif et la pauvreté des verbes d’état utilisés contredit cette hypothèse. Trois verbes sur vingt-six, soit onze pour cent à peu près. Combien de verbes pronominaux ? Sept sur vingt-six, soit presque vingt- sept pour cent, plus d’un quart ! Que nous raconte un verbe pronominale, c’est un verbe tel que l’action qu’il décrit est effectué par le sujet vers le sujet. Vu sous cet angle, on comprend l’importance de la pluie qui agit en même temps qu’elle est… Les soixante-deux pour cent restant sont des verbes d’action. On notera la pauvreté en verbes du premier groupe qui représente plus de soixante- dix pour cent des verbes de la langue française et qui, ici, ne sont que cinquante pour cent des verbes. Un indice important de la réflexion de la langue chez Francis Ponge.

Observons, maintenant, les pronoms sujets et les groupes nominaux sujets.

Pronoms sujets : « je », « c’», « elles », « elle », « elle », « elle », « elle », « elle », « il », « le tout », « tout », « « il ».

Une première observation importante, si le féminin l’emporte largement sur le long premier paragraphe qui raconte la trajectoire de la pluie, il disparaît complètement, au niveau des pronoms sujets dans la deuxième partie. Pourtant ce n’est pas le masculin qui est particulièrement représenté, mais le neutre avec deux pronoms impersonnels « il » et un pronom adverbial « le tout ».

Les groupes nominaux sujets : «la pluie », « des gouttes plus lourdes, individuées », « la pluie », « le regard », « ses formes », « le ressort », « la sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou de gouttières, les minuscules coups de gong », « le ressort », « certains rouages », « la machinerie », « le soleil », « le brillant appareil ».

Là encore, étrangement, à propos d’un texte sur la pluie, on observe une nette domination du masculin puisqu’il n’y a sur l’ensemble des groupes nominaux sujets, au nombre de quatorze, seulement six groupes nominaux féminins, moins de la moitié, avec un groupe qui joue sur un rapport masculin et féminin avec le complément du nom : » la sonnerie au sol des filets verticaux ». Ainsi donc, ces deux points observés nous montrent que l’auteur ne s’attache pas du tout aux références quotidiennes concernant la pluie, puisqu’il n’hésite pas à faire du masculin un de ses principaux sujets verbaux.

Observations lexicales

Ah, la grande joie des « champs lexicaux ». C’est assez amusant parce qu’on ne les a vus apparaître dans les cours de français que dans les années quatre-vingt-dix du siècle précédent et c’est devenu la marotte de nombre de professeurs qui, d’ailleurs font une confusion, souvent entre le champ lexical et le champ sémantique.

On va essayer d’y voir clair quoique, après recherches, on voit que depuis 1990, les définitions ont évolué…

À la base le principe est simple :

D’un côté le champ lexical qui met ensemble tous les mots liés par un lien diachronique, c’est-à-dire dont, dans l’ensemble des unités de sens qu’ils recouvrent, il y a un sens commun. Ce sens commun est le titre du champ lexical, l’ensemble des unités de sens est donné par le dictionnaire, le lexique.

Ainsi, le champ lexical de la joie :{« rire », « blague », « sourire », « joie », « fête »…}

Le champ sémantique d’un mot c’est l’ensemble des sens que le même mot peut avoir. On parle de lien synchronique.

Avant, on utilisait ce lien synchronique, pour donner au champ sémantique d’un texte, la définition de l’ensemble des mots qui ont, dans le texte uniquement, un sens commun. Ainsi dans « des perles coulaient de ses yeux tristes », on mettait dans le champ sémantique de la tristesse « perle » et « triste ».

Il semblerait aujourd’hui qu’on ait restreint l’usage du terme « champ sémantique » à ‘l’ensemble des sens d’un même mot et que le terme « isotopie sémantique » soit plus utilisé là, où, autrefois, dans un texte, on utilisait « champ sémantique ».

C’est bien beau tout ça, mais à l’examen, on fait quoi. Le cas le plus simple, mais, même si tous ne le savent pas, incorrect c’est de mettre dans le même champ lexical « perle » et « triste ». Mais il y a peu de chance qu’on ne vous relève l’erreur. Le cas le plus correct c’est donc, pour l’instant, de parler d’isotopie sémantique…

Pour pouvoir mieux faire des observations sémantiques par la suite, on va se contenter du champ lexical dans sa définition extrême : ensemble des mots qui ont un lien dans le dictionnaire.

Ainsi, si je relève le champ lexical de la pluie, dans le texte, je trouve : {« pluie », « gouttes », « précipitation », « ruisselle », « gouttière », « coule », « glou-glou »}. On s’aperçoit donc que le champ lexical qui concerne la pluie est assez court. On pourrait l’agrandir avec le champ lexical de touts ce qui concerne l’eau : {« « pluie », « gouttes », « précipitation », « ruisselle », « courants », « ondulations », « coule », « ruisseau », « vapeur », « glou-glou », « gouttières », « s’évapore »}. Mais on voit bien que pour un texte aussi long on reste quand même sur un développement faible du champ lexical concerné.

Le mouvement semble un champ lexical possible. {« tomber », « descend », « allures », »chute », « précipitation », « tombent », « court », « se suspend », « surplombe », « ruisselle », « courants », « ondulations », « coule », « choit », « se brise », « rejaillit », « allure », « ressort », « s’est détendu », »ralentis », « s’arrête «.}

Toutefois, on pourrait aussi essayer de relever le champ lexical de tout ce qui a rapport avec la physique et la chimie : {« allures », « centre », « chute », « précipitation », « fraction », « météore », « horizontalement », « face », « inférieure », « convexes », « surface », « zinc », « courants », « ondulations », « bosses », « contention », « pente », « vertical », « formes », « intensité », « mécanisme », « horlogerie », « pesanteur », « masse », « vapeur », « verticaux », « multiplient », « rouages », « ralentis », « s’évapore »}

La taille de ce champ aux ouvertures très larges, laisse entrevoir une volonté chez l’auteur de parfaire une description aux allures scientifiques.

Et le sémantique ?

La force scientifique est mise en balance avec de nombreuses métaphores : « un fin rideau », « météore pur », « berlingots convexes », « grossièrement tressé », « aiguillettes brillantes », « la sonnerie au sol », « les minuscules coups de gong », « le brillant appareil ». Ces métaphores semblent suppléer le langage précis et scientifique de l’observation, pour permettre une lecture plus légère et moins concrète.

Comme il existe des métaphores filées, Ponge ose une comparaison filée : « comme un mécanisme compliqué, « comme une horlogerie », cela explique, alors l’utilisation quasi métaphorique de « ressort », « sonnerie », « résonnent », « rouages » « machinerie ». Ce rapport, intermédiaire entre al comparaison et la métaphore pointe bien la démarche stylistique de Ponge, une recherche de précision mais que les jeux du langage améliorent pour évider al simple froideur descriptive.

L’organisation sémantique du regard, l’observation générale de la scène qui semble travailler sur des focalisations ordonnées entraînent le lecteur à sa suite, pour d’abord voir, puis comprendre et, en dernier lieu, si nécessaire, interpréter.

« Dans la cour », focale ouverte, « au centre », zoom avant, focale serrée, « À peu de distance des murs de droite et de gauche », travelling pour porter la focalisation en dehors du centre. « Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre », travelling vers les fenêtres, « selon la surface entière d’un petit toit de zinc, que le regard surplombe », non seulement, par rapport à al cour, mais aussi par rapport à al focale, on a une information assez précise de là où se situe l’observateur. La focale s’abaisse pour regarder le petit toi, et au-delà les gouttes qui tombent depuis cet endroit.

On notera certaines constructions : « gouttes plus lourdes, individuées », l’énumération progressive « la grosseur d’un grain de blé, là d’un pois, ailleurs presque d’une bille », « contention d’un ruisseau creux sans grande pente », la transformation du liquide en solide « elle choit tout à coup …, grossièrement tressé, jusqu’au sol où elle se brise », « la sonnerie au sol des filets verticaux »…

Du discursif

On est en plein discours descriptif. L’utilisation d’un présent de vérité générale, qui laisse même entrevoir un présent d’habitude, la démultiplication des groupes nominaux avec des adjectifs qualificatifs particulièrement précis. L’organisation géométrique du regard dans le premier paragraphe, qui continue au-delà avec une comparaison filée. Il n’y a aucun doute. C’est du descriptif. D’autant que, par deux fois, le narrateur « je » indique son activité observatrice : « je regarde », « le regard surplombe » Laissant parfaitement au lecteur la possibilité d'être pris dans ce regard observateur et descriptif qui, une fois la gageure mise en place, permettra alors de faire glisser le texte dans une trame plus poétique.

Les historiques

Histoire de l’auteur

Peu d’information sur Ponge par rapport à ce texte. Ce qu’on sait c’est que, paru en 1942, Le Parti pris des choses a mis sept ans à être édité, on peut donc estimer que son écriture a commencé ou s’est achevé en 1935. Il semble qu’elle est réellement commencé en 1931. On est donc bien avant l’Occupation. Dès lors, il est difficile d’imaginer des liens sous-entendus entre sa vie et le texte.

Histoire littéraire

Bien que s’étant manifesté comme intéressé par le surréalisme, Ponge n’a jamais vraiment participé au mouvement. D’ailleurs le réalisme quasi scientifique de la description de la pluie, nous éloigne particulièrement des idées surréalistes. Comme il reste, finalement, une époque très large de l’écriture ds textes de Le Parti pris des choses qui va de 1931 à 1942, date de première parution, il est très difficile de dater l’écriture du texte et de le mettre en relation avec d’autres textes. Il reste, cependant, à penser que Ponge réagit par rapport à l’écriture de Claudel, voir texte à la suite…

La Pluie

Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclenchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume.

Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.

Paul Claudel

On observe une nette différence entre l’écriture de Claudel qui écrit sur la pluie en privilégiant la focale interne de l’écrivain par rapport à Ponge qui, s’il existe en tant que sujet scripteur, initiant la description, disparaît pour l’objet décrit…

Histoire

Si l’œuvre paraît en 1942, elle aurait commencé en 1931… C’est-à-dire que la période couverte serait de onze années. Or il s’est passé beaucoup de choses. EN 1939, c’est le début de la seconde guerre mondiale. En 1940, c’est le début de l’Occupation. De 1931 à 1939, les éléments historiques importants : la révolution espagnole qui verra l’accès au pouvoir de Franco… 1934, c’est l’affaire Stavisky, le front populaire en 1936 et les accords de Munich en 1938… Ponge est donc pris dans l’ensemble de ces évènements. Cependant, comme il est particulièrement difficile de dater exactement le texte « pluie » sur l’ensemble de ces évènements, il serait peut-être maladroit de chercher des liens historiques.