Lecture analytique de III, 4, Mithridate, Jean Racine

Ce court monologue de Mithridate nous permettra de mieux connaître le personnage principal de la pièce. Dans les scènes précédentes, Mithridate a exposé à ses deux fils ses nouveaux plans de guerre. Pharnace s’est opposé à lui, notamment en refusant un mariage que son père lui ordonnait, révélant ainsi son possible intérêt pour Monime, et le roi a décidé d’arrêter le fils. Au moment où les gardes l’emmènent, Pharnace révèle à Mithridate l’amour qui existe entre Monime et Xipharès, trahissant, ainsi, le serment qu’il avait lui- même énoncé à la fin de l’acte I.

Mithridate est un héros passionné, il est extrême autant dans son courage que dans ses injustices. En cela, il est, théâtralement parlant, plutôt intéressant. Ici, il est mis en face de ce qui peut le blesser : l’amour. Si Monime ne l’aime pas, Mithridate, lui, l’aime. Apprendre, alors, que son amour est trahi par un de ses propres fils va permettre peut-être de mettre en avant toute la noirceur de son âme.

Or ce n’est pas ce qui va se révéler. Les six premiers vers sont un enchaînement de questions face à la révélation de Pharnace. Il y a d’abord l’envie de ne pas croire et, dans le même temps, l’aveu qu’il ne peut s’empêcher de croire. Ce duel qu’il mène avec lui- même est une lutte pour accepter que les deux personnes qui lui sont le plus chères, Xipharès et Monime, aient pu le trahir. Si tel était le cas, il serait dans l’obligation de ne plus faire confiance à personne « la foi de tous les cœurs est pour moi disparue ? », on notera l’adjectif indéfini marquant la globalité, « tous ». Ce « tous » adjectival, va se transformer en « tout » pronominal où l’espace aussi sera mis en jeu « Tout m’abandonne ailleurs, tout me trahit ici » où le jeu entre « ailleurs » et « ici », montre l’étendue du désarroi de Mithridate. Ce désarroi va se continuer dans le vers suivant par l’énumération des possibles traîtres : « Pharnace, amis, maîtresse, et toi, mon fils aussi ! », où la fin du vers renvoie, d’évidence aux dernières paroles de César qui voit son fils adoptif, Brutus, parmi les conspirateurs le poignardant « tu, quoque mi filii ». C’est l’aveu formel de la reconnaissance de la traîtrise. Jean racine lui donne cette grande pompe, à la fois, sûrement, pour donner un peu plus de grandeur au personnage, peu connu, en fait, de Mithridate, et pour renvoyer une image historique de la grande trahison.

Ces dernières syllabes permette de développer la reconnaissance de la qualité de Xipharès « la vertu » qui lui était si chère.

Dès ce retour sur la vertu de Xipharès, naît une tension de doute. Si Xipharès est vertueux, Pharnace est un traître. Serait-il possible que la dénonciation de Pharnace soit un simple mensonge ? Tout peut amener à la conclusion que Pharnace n’ait parlé que par « désespoir ». Cette idée va permettre de faire apparaître un autre visage de Mithridate, le Mithridate prudent, politique et, peut-être aussi, tout aussi perfide que son traître de rejeton.

Les vers 15 à 17 seront donc l’interrogation et la recherche de vérité. Cette recherche oblige à trouver où sont les preuves et quel moyen peut lui permettre de connaître la vérité.

« Voyons, examinons. Mais par où commencer », encore cette construction avec une hémistiche départageant clairement les étapes de la réflexion, un impératif, adressé à lui-même, « examinons », et une question avec un verbe central à l’infinitif « par où commencer ? ». on a bien, ici, es deux étapes de la pensée de Mithridate. Il passe alors en revue les possibilités : « qui m’en éclaircira ? Quels témoins ? Quel indice ? ... », la première hémistiche reprend la deuxième hémistiche du ver précédent. L’hémistiche suivante, partage en deux cherchant parmi les « indices » et les « témoins », ce qui lui permettra d’avoir la réponse.

L’idée vient juste après, une idée, particulièrement subtile et perfide, puisqu’il va se tourner vers la personne la plus vertueuse et la plus fragile des trois possibles : Monime. Mithridate prétend que c’est le ciel qui lui fournit cette idée. Vraiment ? N’est-ce pas que, lui aussi, comme son fils Pharnace, a quelque perfidie dans son âme ? Sûrement, même si, à la différence de son fils, il est tout à fait capable de reconnaître la valeur malsaine de sa démarche « il n’est digne de moi », vers 24, « feignons », vers 27, « mensonge adroit », vers 28.

On notera que Monime est déjà appelée « la reine », vers 19, alors qu’elle n’est pas encore mariée à Mithridate. C’est « l’amour », et ses faiblesses, et, subséquemment, les faiblesses de Monime, qui fait pointer ce choix.

« Qui peut de son vainqueur mieux parler que l’ingrate ». Ce vers est intéressant, non seulement parce qu’il condamne déjà Monime avec l’adjectif « ingrate », mais parce qu’il veut opposer les deux fils, et non lui. EN effet, pourquoi choisirait-il le terme d’« ingrate », s’il pensait être un possible vainqueur ? Le vers suivant appuie cette idée « voyons qui son amour accusera des deux ». Il n’y a pas l’énoncé d’un possible troisième qu’il serait. Ainsi donc Mithridate, et Jean racine, dévoile combien ils n’acceptent pas l’idée de faire confiance à une femme. Bien que tous deux ont mis en avant la vertu de Monime.

Le jeu « S’il n’est digne de moi, le piège est digne d’eux », avec la reprise anaphorique de « digne d’eux », où il se place au-dessus des deux amants qu’ils ne connaît pas, dévoilant, là aussi, une certaine capacité à se croire supérieur aux autres, « trompons qui nous trahit », l’hémistiche suivant, en jouant sur la répétition du son « tr », essaie de donner à Mithridate des excuses de se mettre au niveau de ceux qu’ils dénoncent.

Monime arrive « je la vois paraître ».

« Par un mensonge adroit tirons la vérité », la construction, en opposition, entre « mensonge » et « vérité », démontre la duplicité de Mithridate.

Une des raisons pour lesquelles cette pièce a peut-être du mal à être mise en scène reste, quand même le personnage particulièrement complexe et difficilement attachant de Mithridate. En effet, il ne se comporte absolument pas comme un héros exemplaire. Il n’hésite pas dans ses desseins à suivre ceux des personnages les moins recommandables et ne semble pas pouvoir faire preuve de générosité. Certes, la dernière scène nous montrera sa grandeur d’âme, finalement, mais il faudra, par contre, être passé, notamment par cette scène, où se révèle un héros qui doute de lui, et qui n’hésite pas à utiliser des subterfuges peu dignes de sa position.