Comment ces textes utilisent l'érotisme?

Nous avons un groupement de quatre textes : « Nos désirs sont d’amour la dévorante braise » d’Agrippa d’Aubigné, 1575, « première soirée », d’Arthur Rimbaud, 1870, « Éros »d’Anna de Noailles, 1901 et « Au-delà » de Louise de Vilmorin, 1937. Ces trois textes ont été classés dans la poésie érotique. Cependant, cet érotisme, possible dans chaque texte, n’est qu’un point de départ vers autre chose. Un autre discours qui va aller de la malédiction à l’impossible sens.

Avant que d’aborder ce jeu où l’érotisme est un outil, il faudra peut-être s’entendre sur la définition de l’érotisme. Si le dictionnaire de l’Académie Française de 1937 met le mot en rapport avec l’amour, l’ensemble des autres dictionnaires le lie à la sensualité. Il s’agit, par l’érotisme d’éveiller le désir. Non de faire un spectacle de l’acte charnel qui réduirait d’autant la portée sensuelle face à une mécanisation de l’acte qui doit rester sous entendu. Ainsi y a-t-il une limite claire entre érotisme et pornographie. L’érotisme joue sur l’imaginaire pour créer un rapport au désir. La pornographie présente l’acte brut sans jouer sur les formes. Donc, l’érotisme est un réel outil artistique. Il doit éveiller chez le lecteur, chez le spectateur une envie, un désir en combinant ce qu’il voit, ce qu’il lit, avec l’imagination. Cette démarche artistique peut être un but en soi. Mais ce qui devient alors plus intéressant c’est lorsque la voie de l’érotisme va chercher à développer d’autres discours que la simple évocation du désir charnel.

Nos quatre textes suivent assez bien cette démarche. Ainsi le texte le plus simplement érotique, sera le texte d’Arthur Rimbaud, « première soirée », centré sur le jeu d’approche par les baisers du narrateurs d’une fille assise et demi-nue. Cependant, bien que tout le poème évoque clairement le corps amoureux, le poète n’a pu s’empêcher d’ajouter d’autres informations que le simple désir : jeunesse, joie, amusement, mais aussi la présence étrange des arbres à al fois voyeurs et dissimulateurs. C’est le premier poème édité d’Arthur Rimbaud, premier dans les cahiers de Douai, recueil des œuvres de jeunesse de l’auteur. Ces phénomènes historiques peuvent très bien expliquer la fraîcheur générale du texte.

Cette jeunesse, cet amusement, on le retrouve dans « au-delà » de Louise de Vilmorin. Mais il n’apparaît pas du tout de la même manière. Autant la répétition du « rire » chez Rimbaud créait cette ambiance, autant, ici, c’est la structure même du texte qui donne cette ambiance enfantine. Construit à la manière d’un chant enfantin, on retrouve d’ailleurs le même type de faux refrain chez Rimbaud et Vilmorin, avec les premières et derniers quatrains identiques, le texte de la poétesse démultiplie les jeux de redites à la manière d’un chant d’école. Ces répétitions, tant lexicales, que sonores ou sémantiques, entraînent le lecteur dans une ronde qu’il identifie assez facilement comme érotique. Cependant, très vite, ne serait-ce que par la démultiplication des mots à sens large tant qu’on n’a pas de référentiel certain, le poème quitte la sphère érotique pour permettre une démultiplication extrême du signifié allant du jeu de l’écriture à la représentation de la vie. Le lecteur ne peut plus se contenter de la grille érotique et il trouve en face de lui un poème aux multiples entrées qui ne peut que l’entraîner à douter de ses propres sens.

C’est bien, par contre, de sensualité qu’il s’agit dans les deux autres textes. Amis cette sensualité, divinisé, dans le texte d’Anna de Noailles, sera condamnée dans celui de d’Agrippa d’Aubigné. Chez la poétesse Roumaine, l’érotisme est le fruit d’un bonheur qui attend quelque chose de plus prononcé et qui entraînera l’arrivée d’Éros, le dieu de l’amour. Mais cette arrivée d’un Dieu, va quitter la sphère érotique pour développer un regard presque mystique sur la pulsion de vie. Éros, en effet, y parlera comme un Dieu quasi chrétien, et non un Dieu spécialisé du polythéisme dont il est issu. L’érotisme quittera alors la sphère des amants pour s’amplifier à une représentation générale de la vie.

Ce religieux qui s’associe au discours érotique sera, finalement, le point de départ du texte d’Agrippa d’Aubigné, mais l’érotisme sous tendu ne sera que pour mettre en avant la lutte contre le péché, lutte par les larmes pour lutter contre les flammes de l’enfer. La « dévorante braise » n’est pas associé aux effets de l’amour mais à la représentation indirecte d’une condamnation de la chair. Comme le Dieu chrétien qu’il ne nomme pas, pour être sauvé, il faudra aller au-delà de la souffrance pour « noyer » le feu du désir.

Ainsi ces quatre textes se sont emparés de l’érotisme mais chacun pour y ajouter un message propre. Le message de la jeunesse, pour Rimbaud, celui de la perte du sens, pour de Vilmorin, le retour au sacré pour de Noailles et la volonté de guérir du péché chez d’Aubigné. L’érotisme n’est donc pas, ici, une fin en soi, mais un moyen pour introduire d’autres discours.

Des liens pour développer sa connaissance sur l’érotisme :

L’article de l’Encyclopédie Larousse

L’article de L’Encyclopédie Imago Mundi

L’article de Wikipedia