Texte 1: Acte I scène 5, Mithridate Jean Racine

Mithridate, Acte I, Scène V. Jean Racine, 1672

Pharnace

Mithridate revient ? Ah, fortune cruelle !

Ma vie et mon amour tous deux courent hasard ;

Les Romains que j’attends arriveront trop tard.

Comment faire ?(A Xipharès.)

J’entends que votre cœur soupire,

Et j’ai conçu l’adieu qu’elle vient de vous dire,

Prince ; mais ce discours demande un autre temps :

Nous avons aujourd’hui des soins plus importants.

Mithridate revient, peut-être inexorable ;

Plus il est malheureux, plus il est redoutable.

Le péril est pressant plus que vous ne pensez :

Nous sommes criminels, et vous le connaissez ;

Rarement l’amitié désarme sa colère,

Ses propres fils n’ont point de juge plus sévère,

Et nous l’avons vu même à ses cruels soupçons

Sacrifier deux fils pour de moindres raisons.

Craignons pour vous, pour moi, pour la reine elle-même :

Je la plains d’autant plus que Mithridate l’aime.

Amant avec transport, mais jaloux sans retour,

Sa haine va toujours plus loin que son amour.

Ne vous assurez point sur l’amour qu’il vous porte :

Sa jalouse fureur n’en sera que plus forte ;

Songez-y. Vous avez la faveur des soldats,

Et j’aurai des secours que je n’explique pas.

M’en croirez-vous ? Courons assurer notre grâce :

Rendons- nous, vous et moi, maîtres de cette place,

Et faisons qu’à ses fils il ne puisse dicter

Que des conditions qu’ils voudront accepter.

Xipharès

Je sais quel est mon crime, et je connais mon père,

Et j’ai par-dessus vous le crime de ma mère ;

Mais quelque amour encor qui me pût éblouir,

Quand mon père paraît, je ne sais qu’obéir.

Pharnace

Soyons-nous donc au moins fidèles l’un à l’autre.

Vous savez mon secret, j’ai pénétré le vôtre.

Le roi, toujours fertile en dangereux détours,

S’armera contre nous de nos moindres discours.

Vous savez sa coutume, et sous quelles tendresses

Sa haine sait cacher ses trompeuses adresses.

Allons. Puisqu’il le faut, je marche sur vos pas ;

Mais en obéissant, ne nous trahissons pas.