Lecture analytique de "Le cageot"

Nous avons ici affaire à un court texte extrait de Le Parti pris des choses, édité en 1942 mais dont les travaux d’écriture avaient commencé en 1931. Le projet de l’auteur est de créer une cosmogonie des objets du quotidien qui renvoie en même temps au discours scientifique et au discours poétique. Il se tournera, alors vers les objets les plus quotidiens, comme, ici, un cageot et leur donnera, au travers du choix des mots une nouvelle valeur. Cependant, cette démarche mérite qu’on s’y arrête et, au travers de ce texte, qu’on puisse s’interroger sur sa valeur poétique.

Le texte est très court. Il est composé de trois paragraphes et de cinq phrases. Le premier paragraphe a une seule phrase. Le second et le troisième en ont deux. Ce qui sautera alors aux yeux c’est la dimension emphatique de chacune de ces phrases qui sont construites sur un principe complexe et, plus particulièrement, composé dans la dernière. La première phrase qui doit servir à la précision du mot « cageot », ne le met même pas en position de sujet de la phrase, en effet, le « cageot » est un complément d’objet direct du verbe « avoir » et c’est par rapport à la langue française, puis à son usage qu’il est défini. Ainsi, dès la première phrase, l’auteur quitte la précision entomologiste pour initier un rapport à la langue. En effet, le sujet de la phrase, ici « la langue française ». La deuxième partie de la phrase donnera une construction à l’objet qui se place en apposition au complément d’objet. « simple caissette à claire voie », c’est une redéfinition spécialisée, puisque chacun des termes est particulièrement choisi, le diminutif de « caisse », l’utilisation du terme « claire-voie» qui est plus concerné par des ouvertures architecturales comme les toits, les volets et les fenêtres. Le terme lui- même qui utilise un sème de lumière « claire » et de chemin « voie », joue sur la double information sémantique et donne à la caissette, petit objet clos, une ouverture très espacée à la limite de l’oxymore. Ce jeu de sens dans une phrase de présentation de l’objet est très éloigné d’une démarche scientifique et est beaucoup plus proche d’un travail purement littéraire.

Si on observe le deuxième paragraphe, Le « cageot », n’est plus que sous la forme d’un pronom personnel, qui, naturellement, crée un effet de personnalisation et la continuité du présent de vérité générale utilisé tout au long du texte, renforce l’effet d’un être et chose proche du lecteur, qu’il côtoie à chaque instant. Là encore l’ensemble des phrases utilisent des procédés emphatiques, soit en déplaçant le sujet, par rapport au verbe, avec une postposition, soit en introduisant un long complément déplacé « agencé de façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort ». Cette amplification de la formulation de la phrase joue à l’encontre de ce qui y est dit, puisque le cageot est fragile » brisé au terme de son usage » et très éphémère « dure-t-il moins ». Là encore, la construction syntaxique démontre la démarche particulière de l’auteur qui cherche à dépasser l’observation entomologiste et donner une spécificité magique à l’objet le plus simple.

Enfin, le troisième paragraphe, toujours en jouant sur l’emphase va en deux phrases mettre en avant non seulement la modestie du cageot mais va simplement avoir une vision regardante sur al propre démarche d’écriture et offrir une explication, à al fois, sur l’objet mais aussi sur la simplicité du discours. Le « il », puisque, comme nous l’avons vu, « le cageot » n’est plus représenté que par ce pronom personnalisant, va d’abord insister sur sa modestie, à al fois par sa multiplicité spécifique « à tous les coins de rue qui aboutissent aux halles » mais aussi par son matériau à « l’éclat sans vanité ». Ainsi le cageot est définitivement ramené à s’enrichir de sa modestie. La phrase qui suit, composée de deux parties bien spécifiques, un développement de la personnalisation vers un individu lunaire « ahuri », « maladroite », « sympathique » mais qui ne mérite pas, deuxième partie, un discours trop développé. Ainsi ce dernier paragraphe va développer, à la fois, une poétisation de la modestie et une réflexion du langage.

Donc, à l’étude de la syntaxe, on peut reconnaître au texte des qualités poétiques certaines. Une présentation par rapport au langage et à l’utilité, une démonstration de l’éphémère et une modestie et simplicité quasiment extraordinaire avec une activité regardante du discours. L’ensemble de ce parcours démontre que nous ne sommes réellement pas dans une démarche de pure définition et qu’il s’est mis en place d’autres jeux autour de l’objet.

Un des jeux évident est celui de la qualité sonore. On découvrira, par exemple, à l’intérieur de la prose, des sonorités en refrain, quasiment des rimes : » cachot » et « cageot » « fruits » et « maladie ». Il y a encore les proximités sonores « cage », « cachot » et « cageot », à la fois comme une balade dans le dictionnaire mais aussi comme un jeu lié à la paronymie. Enfin il y a les séquences courtes entre assonance et allitération « agencé de façon » repris un peu plus loin avec le jeu sonore muette des sons [s] et [z] « de son usage il puisse être brisé sans ». Ces jeux sonores musicalisent le texte et le sortent de sa fonction de définition vers une manière plus poétique.

Le jeu stylistique est, lui aussi, particulièrement présent. La métaphore « de la moindre suffocation », « denrées fondantes ou nuageuses », la personnalisation à outrance les « fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie », mais aussi le cageot quia non seulement une représentation avec un pronom personnel mais qui possède, en troisième paragraphe des qualificatifs humains « ahuri », « maladroite », « sympathiques ». transforme l’objet en autre chose que lui- même et qui devient, le temps du texte, presque un blason.

Enfin, d’autres jeux se développent, la reprise du « A » au début de chaque paragraphe, la passivité fortement exprimée par l’ensemble des participes passés : « vouée », « agencé », « être brisé », « jeté sans retour », où le cageot est à la fois présent mais soumis au destin du texte. Dès lors, il n’est pas difficile de reconnaître une réelle démarche poétique.

On s’interrogeait sur la valeur poétique de ce texte qui prenait pour sujet un objet banal, trop quotidien, semble-t-il, pour permettre de créer un univers poétique. Cependant, en observant de plus près le texte, on se rend compte que toute la démarche d’écriture de Francis Ponge sera de poétiser l’objet en jouant avec l’écriture et transformant ainsi la chose en « objeu », un mélange d’objet et de jeu littéraire.