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Paul Claudel, "La pluie"

La Pluie

Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclenchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume.

Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.

Paul Claudel

Sully Prudhomme Pluie

Pluie

Il pleut. J'entends le bruit égal des eaux ;

Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,

Se penche et brille en pleurant sous l'averse ;

Le deuil de l'air afflige les oiseaux.

La bourbe monte et trouble la fontaine,

Et le sentier montre à nu ses cailloux.

Le sable fume, embaume et devient roux ;

L'onde à grands flots le sillonne et l'entraîne.

Tout l'horizon n'est qu'un blême rideau ;

La vitre tinte et ruisselle de gouttes ;

Sur le pavé sonore et bleu des routes

Il saute et luit des étincelles d'eau.

Le long d'un mur, un chien morne à leur piste,

Trottent, mouillés, de grands boeufs en retard ;

La terre est boue et le ciel est brouillard ;

L'homme s'ennuie : oh ! que la pluie est triste !

Émile Verhaeren La pluie

La pluie

Longue comme des fils sans fin, la longue pluie

Interminablement, à travers le jour gris,

Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,

Infiniment, la pluie,

La longue pluie,

La pluie.

Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,

Des haillons mous qui pendent,

Au ciel maussade et noir.

Elle s'étire, patiente et lente,

Sur les chemins, depuis hier soir,

Sur les chemins et les venelles,

Continuelle.

Au long des lieues,

Qui vont des champs vers les banlieues,

Par les routes interminablement courbées,

Passent, peinant, suant, fumant,

En un profil d'enterrement,

Les attelages, bâches bombées ;

Dans les ornières régulières

Parallèles si longuement

Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,

L'eau dégoutte, pendant des heures ;

Et les arbres pleurent et les demeures,

Mouillés qu'ils sont de longue pluie,

Tenacement, indéfinie.

Les rivières, à travers leurs digues pourries,

Se dégonflent sur les prairies,

Où flotte au loin du foin noyé ;

Le vent gifle aulnes et noyers ;

Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,

De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;

Le soir approche, avec ses ombres,

Dont les plaines et les taillis s'encombrent,

Et c'est toujours la pluie

La longue pluie

Fine et dense, comme la suie.

La longue pluie,

La pluie - et ses fils identiques

Et ses ongles systématiques

Tissent le vêtement,

Maille à maille, de dénûment,

Pour les maisons et les enclos

Des villages gris et vieillots :

Linges et chapelets de loques

Qui s'effiloquent,

Au long de bâtons droits ;

Bleus colombiers collés au toit ;

Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,

Un emplâtre de papier bistre ;

Logis dont les gouttières régulières

Forment des croix sur des pignons de pierre ;

Moulins plantés uniformes et mornes,

Sur leur butte, comme des cornes

Clochers et chapelles voisines,

La pluie,

La longue pluie,

Pendant l'hiver, les assassine.

La pluie,

La longue pluie, avec ses longs fils gris.

Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,

La longue pluie

Des vieux pays,

Eternelle et torpide !