Lecture analytique de "Première soirée" de Rimbaud

Il semblerait que ce poème qui a eu divers titres, « comédie en trois actes », « trois baisers », soit le premier poème édité de Rimbaud qui a, alors seize ans. Nous sommes donc au début de l’expérience. Nous reconnaissons, pourtant, une véritable maîtrise, initialement formé de quatrains en octosyllabes, le texte raconte un jeu de baisers entre une jeune femme déshabillée et assise et un jeune homme, représenté par « je ».

Cependant, des structures amènent des questions qui vont bien au-delà du simple jeu amoureux. Il y a d’abord la structure en boucle qui met les quatre vers initiaux à la fin du poème. Ces quatre vers qui paraissent bien innocents, sont composés d’un vers concernant l’état d’habillage ou de déshabillage d’une « elle », et trois vers concernant l’indiscrétion des arbres. Le mouvement, dans ces trois vers, décrit comment les arbres s’approchent pour voir avec la répétition du « tout près » en fin de quatrain. Cependant, nombre de questions se posent. Si les feuilles des arbres s’approchent, ils dissimulent ce qui se passe, ce qui serait plutôt positif. Or le poète choisit d’adjoindre à l’action des arbres « indiscrets » et « malinement », comme si les arbres se mettaient spectateurs de la scène qui se passe à l’intérieur. De plus « feuillée » renvoie-t-il au « jeu de la feuillée » d’Adam de la Halle et plus précisément du banquet, en trois parties, rappelons-nous l’un des noms initiaux de « première soirée » : « comédie en trois actes », des fées ? Y a-t-il d’autres possibilités à « feuillée » ? Enfin, le néologisme « malinement » qui fait disparaître al demi-consonne « gn », pourquoi ce besoin de le remplacer par un « n » ? Donc, dès le premier quatrain, qui sera, aussi, le dernier, quelque chose semble échapper au lecteur. Est-ce une volonté précise de l’auteur ou une maladresse ?

Les six quatrains qui suivent vont conter la progression de « je » narrateur masculin puisque identifié comme « Monsieur » vers l’acceptation des baisers d’une demoiselle. Il y a d’abord la partie narrative qui donne des indications sur l’habillement de celle-ci. Au premier vers « fort déshabillée », au vers six « mi-nue », avec une chemise « sous la chemise », vers 17. Nous avons aussi une indication de position de celle-ci, au vers 5, « assise sur ma grande chaise ». Le « ma », ici, indique que nous sommes chez le narrateur. Nous avons donc une femme demi nue assise sur une chaise chez le narrateur. La position de celle-ci laisse bien entendre la situation. Pourtant, l’attitude « joignait les mains », vers 6, ne montre pas une femme facile mais plutôt réservée.

Ce sera donc la description plutôt intéressante d’une jeune femme qui résiste, « Se sauvèrent : « Veux-tu en finir », vers 18, « feignait de punir », vers 20, « j’ai deux mots à te dire », vers 25, tout en cédant. « Frissonnaient d’aise », vers 7, « la première audace permise », vers 19. ce jeu de résistance et d’abandon sera ponctué, tout au long du texte par le rire : « doux rire brutal », vers 14, « rire de cristal », vers 16, « le rire feignait », vers 20, « la fit rire », vers 27, « un bon rire qui voulait bien », vers 28. Ce rire joue alors le rôle d’un possible personnage qui donne clairement l’état d’avancée de l’envie de la demoiselle.

Un autre indice intervient, ce sont les parties du corps dévoilées par le texte « les mains », vers 6, « ses petits pieds », vers 8, « son sourire », vers 11, « son sein », vers 12, « ses fines chevilles », vers 13, « les petits pieds », vers 17, « ses yeux », vers 22, « sa tête », vers 23, « au sein » vers 26. Chronologiquement, tout au long du parcours linéaire du texte on voit l’action du narrateur qui cherche à faire céder la belle, n’hésitant pas à baiser les pieds ou le sein. En effet, ce sont ces deux parties du corps qui seront répétés, les pieds, aux vers 8, 13, par les « chevilles » et 17, le « sein », aux vers 12 et 26.

Cependant, ce parcours ainsi décortiqué ne laisse pas autant apparaître l’évidente volonté de donner à l’ensemble une atmosphère enfantine. Peut-être, d’ailleurs, est- ce la raison des arbres qui seraient, alors, des personnages magiques entourant et observant les deux jeunes gens. Outre cela, le refrain,du quatrain répété en début et fin de texte, les répétitions textuelles « tout près, tout près », vers 4, « si fins, si fins », vers 8, « la fit rire d’un bon rire », vers 26 et 27, mais aussi les adjectifs « petits », vers 8, « petit », vers 10, « petits », vers 17, « pauvrets », vers 21. Cette démarche de forme et lexicale donne, à l’ensemble du poème un aspect simplement enfantin qui rend le tout particulièrement joyeux.

Il serait en effet désolant de laisser de côté cet aspect principal que le rire, répété cinq fois et le sourire, vers 11, incarnent. Il y a une réelle joie dans ce texte, un réel plaisir, tant chez celle qui joue à résister et y montre autant de bonheur à cette feinte résistance qu’à sa complaisance que chez le narrateur à chercher à faire céder la belle. Toutefois, on notera une vision un peu péjorative de celui-ci : « couleur de cire », vers 9, « pauvrets palpitants », vers 21, « sa tête mièvre », vers 23. Il y a, alors, le discernement d’une position supérieure. La fille est assise, les mains jointes, lui, rien n’est donné sur sa position, et s’il va jusqu’à embrassé les chevilles, il peut aussi baiser les yeux. Finalement, la fille qui joue à résister est offerte à son amant.

Il reste, enfin, à observer la structure syntaxique de ce texte qui fait intervenir sept tirets, comme ceux d’un dialogue et deux phrases rapportées en discours direct de la femme : « Veux-tu en finir ! », vers 18, et « Oh ! c’est encor mieux ! Monsieur, j’ai deux mots à te dire... ». Difficile de comprendre si le poète a voulu jouer entre le discours narratif, que les imparfaits de l’indicatif successifs confirment, ou un discours pseudo théâtral où les signes écrits emmènent sur une piste contradictoire au texte. Pourtant, si les signes du dialogue ont un raison, on peut reconnaître que ce qui est raconté est parfaitement mis en scène, lieu clos, la chambre du narrateur, décor, chaise et personnage demi-nu et un observateur qui raconte tandis que les arbres regardent. Ce jeu des formes crée d’évidence un effet pour le lecteur.

Alors qu’amène ce texte ? L’érotisme est évidemment lié à la situation, mais il y a une recherche de vivacité, d’enfance et de plaisir qui quitte l’érotisme pour construire une vision simple d’un instant de vie.