Lecture analytique de I, 5, Mithridate

Nous sommes à la dernière scène du premier acte. Durant toute cette ouverture, s’il a été cité de nombreuses fois, Mithridate, n’est pas apparu. En effet, la pièce s’est ouverte avec l’annonce de sa mort. Nous sommes dans l’Antiquité et ce subterfuge n’est pas si impossible, les nouvelles souvent fausses mettaient beaucoup de temps à être vérifiées, notamment après un combat.

À l’annonce de cette mort, les deux frères, Xipharès, fils d’une mère qui a essayé de trahir, autrefois ; Mithridate, et dont il ressent encore le besoin, sous le poids de la culpabilité, de rester totalement fidèle à Mithridate, et Pharnace, autre fils, plus intéressé par la paix avec les Romains que de suivre son père dans des batailles et des conquêtes perdues d’avance, ont choisi d’avouer leur sentiment à Monime qui était promise à leur père. Xipharès parle d’amour. Pharnace parle plus d’héritage. On devra résoudre que Monime doit être très belle pour ainsi plaire autant au père et aux deux fils.

Ayant avoué leur dessein à Monime, un messager arrive et informe que Mithridate est vivant et qu’il revient. Tous les aveux se retrouvent à mettre autant en danger Pharnace que Xipharès. La scène que nous étudions va nous permettre de mieux saisir comment chacun d’eux réagit et prévoit d’agir face à la nouvelle.

La scène est divisée en deux longues répliques de Pharnace et une courte réplique de Xipharès. Cela nous donne déjà l’indication que Pharnace est homme de discours et que la nouvelle le fait beaucoup réfléchir. On le voit, notamment à la langueur de la première réplique qui couvre vingt-huit vers. Observons celle-ci de plus près pour en comprendre la signification et ce que cela nous donne comme informations.

Vers 1 à 4 : réaction à la nouvelle, deux points de raisonnement : « ma vie et mon amour », « la vie » représente « les Romains » et « mon amour », Monime. Dès ces premiers vers, on a déjà l’information de la traîtrise de Pharnace qui attend « les Romains ».

Vers 5 à 28, adresse à Xipharès, ce sera une argumentation

Vers 5 et 6 : Pharnace énonce clairement qu’il a compris les liens d’amour qui unissent Xipharès à Monime

Vers 7 et 8 : annonce de ce qui va être le corps du discours argumentatif

Vers 9 à 16 : la menace que représente pour eux le retour de Mithridate

Vers 17 et 18 : énoncé d’une menace qui pèse aussi sur Monime, argument de cœur, Xipharès le suivra peut-être pour la protéger

Vers 19 et 20 : Le danger de Mithridate blessé dans son amour

Vers 21 et 22 : La jalousie de Mithridate est d’autant plus forte qu’il aime plus.

Vers 23 et 24 : les forces qui soutiendraient Pharnace et Xipharès

Vers 25 à 28 : le plan prendre la ville pour ne pas subir la loi de Mithridate

Tout au long de cette tirade on voit que l’argumentation de Pharnace cherche à pousser son demi-frère se révolter contre son père. Il y a un double calcul, se protéger de Mithridate et s’assurer de l’aide des Romains qu’il ne nomme que « des secours que je n’explique pas ». On voit donc un Pharnace qui essaie de devenir maître de son destin et qui n’hésite pas à argumenter en s’appuyant sur la crainte que pourrait provoquer Mithridate sur Xipharès, mais l’argument suivant, vers 17 et 18, montre qu’il voit bien que Xipharès n’est pas touché par cet argument. Le fait que Pharnace joue aussi facilement de cet argument sans mettre en avant sa déception de voir que Monime ne l’aime pas, laisse entendre deux informations : il n’aime pas vraiment Monime, et il a une certaine perversité à la mettre, par le discours, en danger. Certes, il cherche à se protéger, mais il cherche aussi à profiter de l’occasion pour prendre le pouvoir contre Mithridate.

La manière qu’il a de le présenter laisse assez surpris. À aucun moment, il ne semble dans une position de fils respectueux « inexorable », vers 9 ; « redoutable », vers 10, « colère », vers 13, « sévère », vers 14, « cruels », vers 15, « sacrifier », vers 16, « jaloux », vers 19, « haine », vers 20, « jalouse fureur », vers 21, il lui donne l’ensemble de ce lexique, insistant lourdement, sur la « fureur » et la « jalousie » de Mithridate, ces phénomènes négatifs atténuants d’autant « malheureux », vers 10, « l’amitié », vers 12, « l’aime », vers 18, « amant », vers 19, « amour», vers 20, « amour », vers 21. dès lors, le portrait pourtant peint dans une volonté négative qui doit pousser Xipharès à le suivre dans la trahison, n’arrive pas à se défaire d ‘aspects passionnés de Mithridate. Même dans les mots de Pharnace, Mithridate est un héros partagé entre ses passions de l’âme et qui réagit avec violence.

La réponse de Xipharès à la proposition de Pharnace ne fera que quatre vers, trois vers qui résument la situation. Le vers 29, divisé en deux hémistiches commençant par le jeu sémantique du savoir : « je sais », « je connais » résumant l’ensemble de la présentation de Pharnace, Xipharès sait sa faite, et il sait la réaction possible de Mithridate. À cela s’ajoute, un argument que Pharnace a ignoré, la culpabilité que ressent Xipharès aux actions passées de sa mère. En même temps, peut-être, ce peut être une allusion à la traîtrise de Pharnace que Xipharès connaît. La conclusion tombe : malgré l’amour, « quand mon père paraît, je ne sais qu’obéir ». Coupure à l’hémistiche, qui renvoie au vers 29. on observe, alors, entre ces deux vers une disposition en croix : première partie, vers 29, « je », dernière partie, vers 32 ; dernière partie, vers 29, « père », première partie, vers 32. Xipharès énonce clairement son aveugle obéissance notamment avec l’utilisation de « ne… que » qui montre qu’il ne cherche aucun échappatoire.

Les sept vers de la réaction de Pharnace démontreront sa duplicité. Son argumentation pour trahir Mithridate s’est détruite sur les remparts de l’obéissance de Xipharès. Il ne reste plus qu’à s’assurer de ne pas être révélé. Le seul qui connaît son secret est Xipharès, mais Pharnace connaît aussi le secret de Xipharès, dans l’enjeu de cette double menace, il met en avant le terme « fidèles » qui serait la balance au vers en deux parties égales « Vous savez mon secret, j’ai pénétré le vôtre ». il relance le portrait en négatif passionnel et dangereux de Mithridate « dangereux », vers 35, « s’armera », vers 36, « haine », vers 38, et « trompeuses », vers 38, encore une fois en négativant l’aspect passionnel : « tendresses », vers 37, « adresses » vers 38. Le vers 39 est un abandon « puisqu’il le faut », Pharnace choisit une voie qu’il n’a pas choisie, qui lui est imposée. Le dernier vers, en reprenant, au participe présent, le verbe « obéir » du vers 32, s’oblige à suivre le juste Xipharès, mais l’impératif « ne nous trahissons pas », qui n’a pas de sens devant la forme héroïque de Xipharès, devient alors une menace sous entendue.

Certes, on pourrait, au vingt-et-unième siècle trouver la scène un peu caricaturale : le traître qui essaie de convaincre le pur. Cependant, il y a une vraie gageur à monter la scène. Ne serait-ce que par la nécessité de ne pas caricaturer les personnages, de trouver un rythme d’énonciation qui n’abandonne pas le lecteur dans la longue réplique et qui permette, réellement de développer la connaissance du danger chez Xipharès. Le travail de direction d’acteur serait un beau challenge, car les traits de caractère, presque trop évidents chez les deux personnages, devront trouver des atténuations. Cela sera peut-être facile chez Pharnace, mais très difficile chez Xipharès, à moins de lui donner un aspect buté qui irait à l’encontre de l’image du héros pur...