Le résumé de l'oeuvre Adolphe de Benjamin Constant

Le récit commence par une première instance narrative, dans laquelle « l'éditeur-auteur », précise les conditions d’une rencontre, dans une auberge de Calabre, avec un inconnu décrit comme le type même du mélancolique. Nous sommes censés lire le manuscrit que ce dernier aurait abandonné après un départ précipité. Le récit proprement dit commence alors à la première personne. Après avoir décrit les relations distantes qu’il entretient avec son père, Adolphe nous raconte qu’il quitte Göttingen pour se rendre dans une autre ville allemande, où il se mêle aux courtisans d'une petite cour princière. Il s’y fait délibérément une réputation de « légèreté, de persiflage et de méchanceté ». Pour remplir un vague besoin d'être aimé, il séduit une femme de dix ans son aînée, très belle mais socialement déchue. Cet amour naissant court au don de mercy mais l'union des amants se dégrade très vite : « Ce n'étaient pas les regrets de l'amour, c'était un sentiment plus sombre et plus triste ; l'amour s'identifie tellement à l'objet aimé que dans son désespoir même il y a quelque charme... ». Inquiet de voir son fils compromettre de belles espérances de carrière, le père d’Adolphe lui ordonne de le rejoindre ; mais Ellénore est prête à tout sacrifier, enfants, fortune et protection, pour garder son jeune amant auprès d’elle. Le jeune homme se soumet à sa maîtresse, lié par un don si exorbitant ; mais il se détache d'elle, et même, il s'aperçoit avec horreur qu'il ne l'a jamais véritablement aimée.

Habile à le dissimuler, il reste avec Ellénore, laquelle ne tarde pas à comprendre qu'elle ne lui est plus rien. Ne parvenant pas à rompre, les amants prennent la fuite et se fixent à Caden, ville de Bohème où Adolphe rencontre un ami de son père, le baron de T***. Ce dernier lui représente toute l’impasse d'une telle situation et qu’Ellénore n’est qu’un obstacle entre toutes les voies de la carrière et lui. Adolphe répond par les plus vives protestations d'amour et de fidélité à l'égard de sa maîtresse. Mais il finit tout de même par prendre la résolution de rompre ; et pour mieux s'y tenir, il l'écrit dans une lettre qu’il adresse au baron. Celui-ci ne laisse pas de la faire parvenir à Ellénore : terrassée d’affliction, elle meurt peu après. Loin d'être libéré, Adolphe mène à partir de là une existence morne et désespérée qu’il traîne jusqu'à Cerenza où nous le trouvons au début du roman. En guise d'épilogue, un correspondant anonyme adresse à l'éditeur une lettre explicative dans laquelle il l'incite à publier le manuscrit : « L'exemple d'Adolphe ne sera pas moins instructif, si vous ajoutez qu'après avoir repoussé l'être qu'il aimait, il n'a pas été moins inquiet, moins agité, moins mécontent ; qu'il n'a fait aucun usage d'une liberté reconquise au prix de tant de douleurs et de tant de larmes ; et qu'en se rendant bien digne de blâme, il s'est aussi rendu digne de pitié ». Le roman s'achève par une réponse morale de l'éditeur qui accepte la publication et condamne l'attitude du héros : « chacun ne s'instruit qu'à ses dépens... Les circonstances sont bien peu de choses, le caractère est tout... »

Personnages principaux[modifier | modifier le code]

Adolphe est un jeune homme âgé de vingt-deux ans au début du récit. Il vient d’achever ses études à l’université de Göttingen. C’est un garçon d'une intelligence supérieure et qui se prépare à embrasser une brillante carrière. Il se montre cependant très désabusé et il n’hésite pas à manifester en public une humeur des plus caustiques. Il a en effet reçu une éducation très spéciale, loin de son père et sous l’influence d’une vieille dame très spirituelle et toute pleine d’ironie mordante. Le roman, qui se présente sous la forme d'une confession, s'énonce dans un style dépouillé, comme si le jeune homme « tout en ne s'intéressant qu'à soi, ne s'intéressait que faiblement à lui-même », pour reprendre la célèbre formule constantienne.

Une composante essentielle de la psychologie du personnage se trouve dans ce que l'on a trop rapidement interprété comme de la "lâcheté". En vérité, c’est une suspension de sa capacité d'action dont la source est une sensibilité toute pure. Malgré son désir d’être parfaitement honnête, Adolphe est incapable de dévoiler la véritable nature de ses sentiments pour Ellénore car il a peur de la faire souffrir. Paul Delbouille appelle cela sa « religion de la douleur2 ». Une telle disposition d'esprit se mêle à l'aristocratisme du personnage : c'est par orgueil qu'Adolphe se fait un devoir de séduire Ellénore. De ce point de vue, on peut le rapprocher du héros de Stendhal dans Le Rouge et le Noir ; à ceci près que Julien Sorel tombe effectivement amoureux de Mme de Rênal : Adolphe n’est pas véritablement amoureux d’Ellénore. Dans la lignée des personnages de Crébillon3 ou des héros du roman libertin du xviiie siècle3, le héros constantien se révèle parfaitement froid sous le masque de la passion.

Ce qui ajoute encore à la spécificité d’Adolphe, c’est l'exceptionnelle lucidité que manifeste sa confession : le "héros-narrateur" adopte en permanence un certain recul par rapport à la situation qu’il raconte. Plus exactement, il adopte continûment un double point de vue : celui du narrateur et celui du personnage. Ce « double registre », selon l’expression de Jean Rousset4, est l’effet de la narration postérieure. Adolphe est aussi le narrateur du roman. Par conséquent, il colore son récit de toute une subjectivité : tout ce que nous savons de lui, c’est lui-même qui le dit. Il en va de même s’agissant des autres personnages, dont l’image est rendue presque exclusivement de son point de vue.

Adolphe est souvent considéré à tort comme un héros romantique5. Il faut reconnaître que la « lâcheté » qui le paralyse ressemble au « vague des passions » ou au « mal du siècle » Toutefois, Adolphe est moins mélancolique qu’en proie à une « dualité d’intentions ». Ce n’est pas qu’il manque d’énergie. C’est seulement qu’il est pris dans une sorte de fatalité. Il est parfaitement lucide quant à sa situation mais il ne parvient pas à s’en libérer. Cette psychologie est finalement beaucoup plus proche de celle des héros raciniens.

Ellénore est le personnage féminin du roman. Belle aristocrate d'origine polonaise exilée en France, elle est la "grande amoureuse" d’Adolphe. C’est l'une des plus belles figures féminines de la littérature. La critique constantienne a voulu retrouver en elle la transposition littéraire d’Anna Lindsay, une belle anglaise avec laquelle Constant a eu une courte aventure. Nul doute que Germaine de Staël a également inspiré la composition du personnage. Du point de vue littéraire, Ellénore est le type la femme de trente ans dévorée par la passion amoureuse. On peut en faire une autre interprétation et la regarder comme l’une des allégories de la fatalité qui pèse sur Adolphe. Certes, l’héroïne est elle-même victime de la fatalité (fatalité de la passion, fatalité sociale, fatalité des circonstances) mais elle apparaît bien plus comme une « élue du destin » pour porter malheur à Adolphe. À cet égard, un trait frappant chez l’héroïne est son évolution. « Elle [Ellénore] était douce, elle devient impérieuse et violente. » En effet, de victime de la société, elle devient geôlière de son amant et va exercer sur lui une violente tyrannie. Un passage significatif de cette emprise se trouve au chapitre IV, lorsqu’elle annonce à Adolphe son intention de rompre avec le comte de P*** :

« […] si je romps avec le comte, refuserez-vous de me voir ? Le refuserez-vous ? Reprit-elle en saisissant mon bras avec une violence qui me fit frémir. […] »

Et lorsque le jeune homme tente d’émettre une objection :

« Tout est considéré, interrompit-elle. […] Retirez-vous maintenant, ne revenez plus ici. »

En vérité, Ellénore n’a pas besoin d’être si impérieuse. Adolphe est un jeune homme sans expérience qui ne sait pas ce qu’il attend d’une amante conquise avec inconséquence. Il n’imaginait pas l’« avidité » de cette femme de trente ans qui voit sa dernière chance de connaître la passion. Ellénore a bien compris que son amant ne pouvait supporter de la voir souffrir. Elle tire de ses protestations de douleur tout l’empire qu’elle exerce sur lui. Voici un exemple de l’effet produit sur Adolphe par ce spectacle de la douleur d’Ellénore :

« En parlant ainsi, je vis son visage couvert tout à coup de pleurs : je m’arrêtai, je revins sur mes pas, je désavouai, j’expliquai. »

On ne peut manquer de noter que l’extériorisation de cette douleur (teint pâle, visage qui se défait, larmes) revient comme un leitmotiv dans le roman. Enfin, la mort même de l’héroïne est tyrannique : elle laisse à Adolphe toute l’amertume de la culpabilité. Elle lui enlève sa dernière chance de retrouver une dignité dans la rupture à laquelle il s’était enfin résolu. On ne peut pas faire le procès d’une morte. Adolphe se retrouve donc accablé de tous les reproches. Il n’a plus qu’à errer sans but. Ellénore n’a pas seulement tyrannisé son amant dans la vie. Elle se l’est éternellement attaché dans la mort.

Subtilement impliquée par une narration focalisée, cette interprétation du personnage d’Ellénore est préparée afin de contribuer à la stratégie d’autodisculpation du héros-narrateur.

Le baron de T***[modifier | modifier le code]

Le baron de T*** est un personnage secondaire mais qui mérite une certaine attention pour le rôle décisif qu’il joue dans l’intrigue. On ne sait pas grand-chose de lui, aussi bien sur le plan physique que psychique. C’est un homme de morale et en tant qu’ami du père d’Adolphe, il est chargé de réorienter le fils sur le bon chemin. Il intervient à la fin du récit comme le seul en mesure de faire évoluer l’intrigue. Cette intervention révèle que les deux personnages d’Adolphe et d’Ellénore se sont enfermés dans une situation tellement inextricable qu’il faut introduire dans ce huis clos un élément extérieur pour dénouer l’intrigue.