Représenter Mithridate de Jean Racine

Les systèmes d’information électronique d’aujourd’hui, comme internet, nous permettent de nous confronter à une vérité intéressante. Si dans le moteur de recherche on inscrit « Mithridate Racine », on trouve seulement quatre réponses, deux de l’Ina, donc des représentations avant l’an 2000, et un exercice de comédien, et une seule représentation au théâtre des Champs Élysées, en 2016. Quand on voit le nombre de réponses pour Phèdre et Andromaque, on est en droit de s’interroger sur la raison pour laquelle cette pièce de Racine, autrefois célèbre, ne réussit plus, autant à passer la rampe.

Avant de commencer, toutefois de mettre en avant des suggestions d’explication, il paraît opportun de définir un art, finalement méconnu, la représentation théâtrale.

D’abord, il faut bien intégrer le paramètre que la mise en scène, ce métier particulier du théâtre, n’est apparu, avec André Antoine, qu’à la fin du XIXème siècle et n’a pris ses lettres de noblesse que vers les années 1920. Jusque là, et aujourd’hui encore grand nombre confonde avec la mise en scène, il s’agissait d’une sorte de « régie d’acteurs et de plateau » où il fallait suivre l’ensemble des informations données dans le texte, tant au niveau des dialogues que des didascalies. La mise en scène est un art qui s’est développé pour permettre de donner aux textes théâtraux, mais aussi aux spectacles une mesure que le texte initial ne comprenait pas. Pour résumer, on pourrait écrire qu’avant l’apparition de la mise en scène, le texte théâtral était au centre de la représentation et que l’apparition de la mise en scène a poussé le texte théâtral à la périphérie de la représentation. Aujourd’hui, le texte est un point de départ pour un ensemble de constructions : direction d’acteurs, scénographie, donc lumières, sons, décors, accessoires et costumes, qui arriveront au résultat total présenté au public. Ainsi, les metteurs en scène aujourd’hui ne cherche pas obligatoirement des textes littéraires, mais, plutôt, des textes pour lesquels ils trouveront une base intéressante pour leur créativité.

On pourrait, à titre d’exemple, considérer que Mithridate, poussant bien trop les qualités et les défauts de chacun des personnages principaux, mériterait une mise en scène qui développerait un aspect caricatural, presque de comédie… Évidemment, cela briserait l’aspect de tragédie. Mais on pourrait questionner la pièce pour savoir si, effectivement, c’est une tragédie. Dans sa définition classique, la tragédie concerne des personnages nobles ou issus des Dieux, Mithridate est un roi, qui sont soumis à un destin auquel ils ne peuvent échapper. Ici, la fatalité est mise en cause, ne serait-ce que par l’existence de Pharnace qui montre, en permanence un autre chemin possible : coopérer avec les Romains. Certes, Mithridate refuse, mais en refusant il assure al fatalité de son destin. Cependant ce devient un point faible de la définition de la tragédie.

Le texte, ensuite, posera sûrement un problème. En effet, la majorité des dialogues sont de longues tirades d’un ou deux personnages qui s’enchaînent. Au niveau de la mise en scène, cela obligé à réfléchir à une direction d’acteur qui va imposer soit des mouvements, et donc des silences, pendant la parole longue du personnage, soit un statisme qui deviendra vite ennuyeux et cassera le rythme. Cette difficulté peut, à la fois, être considérée comme un défi intéressant ou, au contraire, comme un handicap.

Un autre problème se pose, intéressant à creuser, c’est l’épaisseur, ou la finesse des personnages. Nous en avons quatre à creuser : Xipharès, Pharnace, Monime, Mithridate.

Pharnace : c’est le traître. Il veut donner le Pont aux Romains, il veut épouser Monime. Il promet le silence à son frère, il le trahit. Il trahit son père en poussant les soldats à lui désobéir, il trahit le Pont en faisant entrer les Romains. Tout, dans son attitude et ses propos montre la personne en qui on ne peut faire confiance. C’est en fait le personnage le plus caricatural de la pièce. Il lui manque un peu de qualité ou d’humanité. Comme Cicéron, dans Britannicus. Là encore, défi intéressant ou handicap.

Xipharès et Monime : Les deux amoureux. Ils sont particulièrement intéressants parce qu’ils développent la dynamique du conflit entre l’amour et le devoir. Tous les deux ont un amour honnête puisqu’il s’exprime clairement, chacun dans une scène et, tous les deux, résistent à cet amour, au nom du devoir et de la parole. Cependant, on peut, à certains moments, trouver qu’ils sont un peu dans l’outrance. Quand par exemple, Xipharès veut s’assurer, avant de mourir, que Monime ne se mariera qu’avec son père… Au XXIème siècle, on a un peu de mal à croire à un tel héroïsme.

Mithridate est, à la fois, le personnage le plus intéressant et, finalement celui qui laisse le plus de doutes dans son dessin. Il est présenté comme passionné, tant dans ses actions que ses mésactions. Il montrera, lors de la longue tirade de présentation du combat qu’il veut réaliser, un sens militaire particulièrement intéressant. Mais, quand il apprend par la bouche de Pharnace que Xipharès est amoureux de Monime, sa réaction est loin d’être héroïque et se rapproche plus de l’attitude de Pharnace. Quand Monime lui fait comprendre qu’elle aime Xipharès, sa réaction, étrangement, n’est pas impulsive et, finalement, à la dernière scène, son « cadeau » de donner Monime à Xipharès n’est jamais présenté comme extrême. Tout se passe comme si Mithridate n’était pas le Mithridate que Racine voulait créer. Là encore, pour l’acteur ce devient une gageure, créer un personnage complexe d’un texte incomplet. Mais, en même temps, ce reste assez étonnant.

Finalement, lorsqu’on fait la recherche de Mithridate sur un moteur de recherches, on s’aperçoit que le plus grand nombre de mises en scène concerne l’adaptation par Mozart de la pièce. En effet, la longueur des textes, al simplification des personnages, tout cela s’accorde parfaitement à l’opéra. Dès lors, on s’aperçoit combien la mise en scène peut s’ouvrir à de nombreux choix, allant du plus traditionnel au plus moderne.

En conclusion, Mithridate, texte de Racine est peu mis en scène aujourd’hui. Par contre son adaptation par Mozart avec le livret, en traduction italienne, de Vittorio Amadeo Cigna Santi, est plus souvent représenté tout en montrant l’étendue des possibilités de la mise en scène.