Extrait 2, le café, Traité des excitants modernes, Balzac, 1838

DU CAFÉ

Sur cette matière, Brillat-Savarin est loin d'être complet. Je puis ajouter quelque chose à ce qu'il dit sur le café, dont je fais usage de manière à pouvoir en observer les effets sur une grande échelle. Le café est un torréfiant intérieur. Beaucoup de gens accordent au café le pouvoir de donner de l'esprit ; mais tout le monde a pu vérifier que les ennuyeux ennuient bien davantage après en avoir pris. Enfin, quoique les épiciers soient ouverts à Paris jusqu'à minuit, certains auteurs n'en deviennent pas plus spirituels.

Comme l'a fort bien observé Brillat-Savarin, le café met en mouvement le sang, en fait jaillir les esprits moteurs ; excitation qui précipite la digestion, chasse le sommeil, et permet d'entretenir pendant un peu plus longtemps l'exercice des facultés cérébrales.

Je me permets de modifier cet article de Brillat-Savarin par des expériences personnelles et les observations de quelques grands esprits.

Le café agit sur le diaphragme et les plexus de l'estomac, d'où il gagne le cerveau par des irradiations inappréciables et qui échappent à toute analyse ; néanmoins, on peut présumer que le fluide nerveux est le conducteur de l'électricité que dégage cette substance qu'elle trouve ou met en action chez nous. Son pouvoir n'est ni constant ni absolu. Rossini a éprouvé sur lui-même les effets que j'avais déjà observés sur moi.

- Le café, m'a-t-il dit, est une affaire de quinze ou vingt jours ; le temps fort heureusement de faire un opéra.

Le fait est vrai. Mais le temps pendant lequel on jouit des bienfaits du café peut s'étendre. Cette science est trop nécessaire à beaucoup de personnes pour que nous ne décrivions pas la manière d'en obtenir les fruits précieux.

Vous tous, illustres chandelles humaines, qui vous consumez par la tête, approchez et écoutez l'Evangile de la veille et du travail intellectuel.

1° Le café concassé à la turque a plus de saveur que le café moulu dans un moulin.

Dans beaucoup de choses mécaniques relatives à l'exploitation des jouissances, les Orientaux l'emportent de beaucoup sur les Européens : leur génie, observateur à la manière des crapauds, qui demeurent des années entières dans leurs trous en tenant leurs yeux d'or ouverts sur la nature comme deux soleils, leur a révélé par le fait ce que la science nous démontre par l'analyse. Le principe délétère du café est le tannin, substance maligne que les chimistes n'ont pas encore assez étudiée. Quand les membranes de l'estomac sont tannées ou quand l'action du tannin particulier au café les a hébétées par un usage trop fréquent, elles se refusent aux contractions violentes que les travailleurs recherchent. De là, des désordres graves si l'amateur continue. Il y a un homme à Londres que l'usage immodéré du café a tordu comme ces vieux goutteux noués. J'ai connu un graveur de Paris qui a été cinq ans à se guérir de l'état où l'avait mis son amour pour le café. Enfin, dernièrement, un artiste, Chenavard, est mort brûlé. Il entrait dans un café comme un ouvrier entre au cabaret, à tout moment. Les amateurs procèdent comme dans toutes les passions ; ils vont d'un degré à l'autre, et, comme chez Nicolet, de plus en plus fort jusqu'à l'abus. En concassant le café, vous le pulvérisez en molécules de formes bizarres que retiennent le tannin et dégagent seulement l'arome. Voilà pourquoi les Italiens, les Vénitiens, les Grecs et les Turcs peuvent boire incessamment sans danger, du café que les Français traitent de cafiot, mot de mépris. Voltaire prenait de ce café-là.

Retenez donc ceci. Le café a deux éléments : l'un, la matière extractive, que l'eau chaude ou froide dissout, et dissout vite, lequel est le conducteur de l'arome ; l'autre, qui est le tannin, résiste davantage à l'eau, et n'abandonne le tissu aréolaire qu'avec lenteur et peine.

BALZAC, Honoré (1799-1850) : Traité des excitants modernes, (1838).