la phonétique

Nous devons ces explications très claires au sites Études littéraires...

Sons et sens

Le poète joue d’abord avec les sons pour accompagner et soutenir le sens de son propos. Quand on parle de sens en poésie, il s’agit plutôt de sentiments, d’impressions, d’expérience à partager. Les sons aident souvent à créer ce climat particulier à chaque poète, à évoquer l’implicite ou l’indicible, cette « sorcellerie évocatoire » appelée de tous ses vœux par Baudelaire, « cette musique avant toute chose » réclamée par Verlaine.

L’harmonie résulte donc du choix et de la combinaison des syllabes pour obtenir les sonorités désirées. Aussi le choix des mots est-il le premier souci du poète.

Selon les traditions poétiques françaises, certains sons correspondent à des effets précis.

Voyelles aiguës :

[i] (ville, île),

[e] (thé, jouer, courai),

[ε] (amer, sèche, aimais, teigne),

[y] (sur, j’eus),

[ø] (jeûne, cheveu, œufs),

[ɶ] (œuf, veuf, œil), effet aigu, clair, doux, léger.

Voyelles graves :

[a] (vache, ma),

[o] (pôle, saule, sot),

[Ɔ] (col, botte, Paul),

[ɑ] (lâche, tas, pâte),

[u] (tous, goût), effet grave.

Voyelles fermées :

[i], [y], [u],[e],[ø], [o], effet sombre, grave, sourd. Les voyelles fermées seront recherchées pour exprimer la mélancolie, l’angoisse, la lenteur ou la majesté.

Voyelles ouvertes :

[a], [œ], [ε], [ɑ], [Ɔ], éclatant.

Voyelles nasales :

[ɑ̃ ] (champ, ange, emballer, ennui, vengeance),

[œ̃ ] (parfum, aucun, brun, à jeun),

[ɛ̃] (limbe, instinct, main, saint, dessein, lymphe, syncope),

[ɔ̃ ] (plomb, ongle, mon), effet voilé, muté, atténué, mou, lent.

La répétition de sons produit un énoncé monotone.

Les voyelles aiguës exprimeront tour à tour la joie, la douleur, l’aigreur, la vivacité, selon qu’elles seront isolées, répétées, accompagnées de consonnes instantanées ou continues, et employées dans des syllabes longues ou brèves. Une voyelle aiguë entourée de voyelles claires et éclatantes conviendra pour lancer un cri de joie.

Les voyelles aiguës répétées conviennent bien pour exprimer la douleur. Dans une suite de syllabes brèves, les voyelles aiguës et ouvertes favorisent la vivacité.

Les voyelles orales (a-e-i-o-u-eu-ou) seront plus vives que les voyelles nasales (a : an ; e : en ; eu : eun ; o : on).

Pour les consonnes, certaines sont sonores : b-v-d-z-g-j-, d’autres sont sourdes : p-f-t-s-c-ch. Elles sont instantanées (prononcées brusquement) : b-p-d-t-g-c-, ou continues (son prolongé) : v-f-z-s-j-ch.

Les consonnes instantanées expriment la dureté.

Consonnes momentanées [p, t, k, b, d, g] : effet sec, hésitant.

Consonnes continues [f, v, l, m, n, s, z, ] : effet soutenu, onomatopée. Les consonnes continues conviennent aussi pour exprimer la douceur.

Consonnes nasales [n, m] : effet doux, mou, languissant.

Consonnes spirantes [s, z] : effet sifflant.

Il y a également les consonnes dites nasales : m, n, gn, et celles qui sont dites liquides (prononciation coulante) : l, r.

S’y ajoutent les trois semi-consonnes :

i, ou yod, écrite i - y ou il (ill) : (l’amitié, lien, yeux, émail, charmille) ;

eu, ou wou, écrite ou, o ou u : (oui, joie, square) ;

u, ou wu, écrite u : (huile).

[R] + voyelles ouvertes : effet grinçant.

[R] + voyelles fermées : effet grondant.

L’E muet apporte toujours une longueur supplémentaire convenant pour la douceur.

L’allitération est une répétition de consonnes ou de sons consonantiques voisins (par ex. D et T) qui constitue un procédé suggestif reposant sur le retour, dans plusieurs syllabes rapprochées, d’un même trait phonique.

« Adieu faux amour confondu

Avec la femme qui s’éloigne »

Guillaume Apollinaire, Alcools, « Chanson du Mal-Aimé »

On peut noter la reprise des F, consonne continue, qui expriment ici la douceur trompeuse de cette affection féminine.

L’assonance est la répétition d’un même son vocalique ou de sons vocaliques voisins (par ex. A et OI) dans plusieurs syllabes rapprochées.

« Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. »

Jean Racine, Phèdre

Ce vers contient une assonance en I. La voyelle aiguë présente l’acuité de la souffrance de la reine, et son aspect fermé exprime son angoisse. L’assonance vient souligner la reprise du verbe nuire, manifestation de l’acharnement caché divin (ou de l’hérédité) sur la fille de Minos et de Pasiphaé.

Pour étudier les correspondances entre sons et sens dans un texte, il faut passer par les étapes suivantes :

1. la lecture lente et attentive (à haute voix dans sa tête) pour repérer allitérations et assonances principales,

2. le regroupement des mots à phonèmes voisins,

3. étudier les champs sémantiques de ces mots pour voir s’ils appartiennent au même champ lexical,

4. rendre compte de la valeur suggestive de certains phonèmes.

Appliquons la méthode à cet extrait des Romances sans paroles de Verlaine :

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

Le poète y exprime son chagrin, sa tristesse : voilà le fil conducteur ! Quels éléments du poème soutiennent cette déclaration élégiaque ? D’abord le vocabulaire, langueur et cœur (2), indique le champ lexical de l’affectivité. Ensuite la comparaison met en correspondance les larmes et la pluie ; le climat est à l’unisson de l’affliction du poète. La tristesse s’insinue dans l’esprit comme la pluie imbibe les vêtements. Enfin Verlaine joue sur la paronomase :

« pleut » s’épand en « pleure ». La tournure impersonnelle « il pleure » décalque le vocabulaire météorologique (il pleut, il neige, il vente). Verlaine utilise des vers courts (hexasyllabes) pour une plainte rapide et accablante. Les trois derniers vers présentent un rythme binaire en 3 / 3 affectif et monotone.

L’impression laissée par une syllabe dépend de sa longueur et de sa sonorité. Les syllabes brèves, surtout lorsqu’elles sont répétées, conviennent pour exprimer la vivacité, la rapidité. Par contre, les syllabes longues seront recherchées pour produire la nonchalance, la lenteur.

Concernant les sons, nous pouvons relever plusieurs allitérations :

K (cœur, comme, quelle, qui, cœur) : le clapotis de la pluie ?

L (il, pleure, il, pleut, la, ville, quelle, langueur), consonne liquide comme les pleurs ou la pluie.

Mais aussi, une assonance en E (pleure, cœur, langueur, cœur)

doublée d’une allitération en R : voyelles aiguës ouvertes assorties du R liquide pour exprimer la souffrance vive.

Et une forte proportion de voyelles nasalisées/dénasalisées (dans, mon, comme,langueur, pénètre, mon). Là, l’effet produit est l’allongement du son qui traduit l’amollissement, l’ennui et la tristesse.

Tout contribue à renforcer le sens premier perçu.