L'extrait du chapitre LXVII

Frère Jean, en l’approchant, sentit je ne sais quelle odeur autre que celle de la poudre à canon. Aussi il attira Panurge et s’aperçut que sa chemise était toute foireuse et souillée de frais. La vertu rétentrice du nerf qui contracte le muscle nommé sphincter (c’est-à-dire le trou du cul) était déréglée par la véhémence de la peur qu’il avait eue à cause de ses visions fantastiques. S’y était ajouté le tonnerre des canonnades, qui est plus horrible dans les chambres basses que sur le tillac. Car un des symptômes et des accidents de la peur est que par elle habituellement s’ouvre le guichet du sérail par lequel est retenue la matière fécale.

Exemple en messire Pantolfe de la Cassine, Siennois. Passant par Chambéry en voiture de poste, et descendant chez Vinet, sage hôtelier, il prit une fourche dans l’étable, puis lui dit : « Da Roma in qua io non son andato d’el corpo. Di gratia piglia in mano questa forcha, et fa mi paura. » Vinet, avec la fourche, fit plusieurs tours d’escrime, feignant vouloir vraiment le frapper. Le Siennois lui dit : « Se tu non fai altramente, tu non fai nulla. Pero sforzati du adoperarli piu guagliardamente. » Alors, Vinet, avec la fourche, lui donna un si grand coup entre le cou et les épaules, qu’il le jeta par terre les jambes en l’air. Puis bavant et riant à pleine bouche, il lui dit : « Fête Dieu Bayard ! cela s’appelle : Datum Camberiaci. Heureusement que le Siennois avait ses chausses détachées, car soudain il fienta plus copieusement que ne l’auraient fait neuf buffles et quatorze archiprêtres d’Ostie. Enfin, le Siennois remercia gracieusement Vinet, et lui dit : « Io ti ringratio, bel messere. Cosi facendo tu m’hai esparmiata la speza d’un servitiale. »

Un autre exemple concerne le roi d’Angleterre Édouard V : maître François Villon, banni de France, s’était retiré auprès de lui ; il l’avait reçu en telle intimité, qu’il ne lui cachait rien des menues occupations de sa maison. Un jour, le roi étant à ses affaires, montra à Villon les armes de France en peinture, et lui dit : « Vois-tu quelle révérence je porte à tes rois de France ? Je n’ai pas leurs armoiries ailleurs qu’en ce coin isolé ici près de ma chaise percée. Sacré Dieu, répondit Villon, que vous êtes sage, prudent, entendu, et curieux de votre santé. Et vous êtes si bien servi par votre docte médecin Thomas Linacre qui, voyant que naturellement sur vos vieux jours vous étiez constipé du ventre et que journellement il faillait vous fourrer au cul un apothicaire, je veux dire un clystère, qu’autrement vous ne pouviez pas fienter, vous a fait ici justement, et non ailleurs, peindre les armes de France, par une singulière et vertueuse providence. Car seulement en les voyant, vous avez une telle frayeur, et une peur si horrible, que soudain vous fientez comme dix-huit bonases de Paonie. Si elles étaient peintes en un autre lieu de votre maison : dans votre chambre, dans votre salle, dans votre chapelle, dans vos galeries ou ailleurs, sacré Dieu, vous chieriez partout à l’instant où vous les auriez vues. Et je crois que si de plus, vous aviez ici en peinture la grande oriflamme de France, à la vue de celle-ci, vous expulseriez les boyaux du ventre par le fondement. Mais hem, hem, et de nouveau hem :

Ne suis-je badaud de Paris ?

De Paris dis-je, près de Pontoise :

Et d’une corde d’une toise,

Saura mon cou, que mon cul pèse.

— Badaud, dis-je, mal avisé, mal entendu, mal entendant, quand venant ici avec vous, je m’ébahissais de ce qu’en votre chambre, vous vous étiez fait détacher les chausses. Véritablement, je pensais que dans celle-ci, derrière la tapisserie ou dans la ruelle du lit, il y avait votre chaise percée. Autrement, il me semblait grandement incongru de se faire ainsi détacher les chausses dans la chambre pour aller si loin au retrait lignager. N’est-ce pas une vraie pensée de badaud ? Le cas est dû à un bien autre mystère, par Dieu. Ainsi faisant, vous faites bien. Je dis si bien, que mieux ne sauriez faire. Faites-vous de bonne heure, bien loin, bien à point détacher les chausses. Car si vous entriez ici, sans être détaché, en voyant ces armoiries – notez bien tout, sacré Dieu, – le fond de vos chausses ferait office de lasanon, pital, bassin fécal et de chaise percée.

Frère Jean, bouchant son nez avec la main gauche, montrait avec l’index droit à Pantagruel la chemise de Panurge. Pantagruel le voyant ainsi ému, transit, tremblant, hors de propos, conchié, et égratigné des griffes du célèbre chat Rodilardus, ne put se contenir de rire, et lui dit :

— Que voulez-vous faire de ce chat ?

— De ce chat, répondit Panurge ! Je me donne au diable, si ce n’est pas un diableteau à poil follet qu’à l’instant j’ai secrètement attrapé en tapinois dans la grande huche de l’enfer en faisant de belles moufles d’un bas-de-chausses. Au diable soit le diable. Il m’a ici déchiqueté la peau en barbe d’écrevisse.

Ce disant, il jeta son chat.

— Allez, dit Pantagruel, allez, par Dieu, vous baigner, vous nettoyer, vous remettre, mettre une chemise blanche et vous rhabiller.

— Voulez-vous dire, répondit Panurge, que j’ai peur ? Pas pour un sou. Je suis, par la vertu Dieu, plus courageux que si j’avais avalé autant de mouches qu’il en est mis en pâte dans Paris, depuis la Saint-Jean jusqu’à la Toussaint. Ah, ah, ah ? Ouais ? Que diable est ceci ? Appelez-vous ceci colique, bren, crotte, merde, fiente, déjection, matière fécale, excrément, bouse, crottin ou étron ? C’est, je crois, du safran d’Irlande. Oh, oh, hi ! C’est du safran d’Irlande. Certainement, buvons.