Deux poèmes avec Eros en personnage central
Rainer Maria RILKE (1875-1926)
Eros (I)
Ô toi, centre du jeu
où l'on perd quand on gagne ;
célèbre comme Charlemagne,
roi, empereur et Dieu, -
tu es aussi le mendiant
en pitoyable posture,
et c'est ta multiple figure
qui te rend puissant. -
Tout ceci serait pour le mieux ;
mais tu es, en nous (c'est pire)
comme le noir milieu
d'un châle brodé de cachemire.
Éros et Psyché
Plutôt que de tirer ses flèches dans les cœurs
Afin que la passion prestement s’y propage,
Éros court chez Psyché sur l’injonction sauvage
D’Aphrodite qu’effraie sa notoire splendeur.
En secret de sa mère aux desseins batailleurs,
Il conduit la beauté vers un soyeux rivage
Où se dresse un palais dont le faste présage
Un avenir gorgé de plaisirs enchanteurs.
Ivres de jalousie, ses sœurs aînées engagent
L’amante à démasquer le curieux personnage
Qui fuit dès que l’aurore essaime ses lueurs.
Aussitôt qu’une lampe éclaire son visage,
Le dieu quitte les lieux de leur ardent bonheur,
Tandis que l’ingénue déplore son erreur.