Lecture analytique, texte 1, Adolphe

Ce texte concerne le commencement de la relation d’Adolphe avec Éllénore. Précédemment, Adolphe a rencontré un ami. Il s’est aperçu qu’il n’avait pas encore essayé les conquêtes féminines et il s’est mis en tâche de trouver une femme à qui il pourrait plaire. C’est en allant dans le salon du comte de P* qu’il rencontre la maîtresse du veuf. Celle-ci est dans une position sociale inconfortable. En effet, le comte de P*, homme riche et doté d’un titre, l’a prise comme compagne mais ne l’a pas épousée. Dès lors, l’ensemble de la communauté a commencé à regarder Éllénore comme une coureuse de dot. Mais celle-ci, par sa modestie et son courage, alors que M. le comte de P* subissait une mauvaise fortune, a su améliorer son image.

Cette rencontre va être contée par Adolphe qui mélangera, comme à son habitude, des considérations externes, sur le monde qui entoure Éllénore, son caractère et internes sur ce que lui essaie de comprendre de ce qu’il ressent.

On note, dès la première phrase qu’Adolphe est soumis à deux poussées différentes, une qui concerne « mon cœur » et une qui concerne « ma vanité ». C’est sous ces deux astres qu’il va tenter de plaire à celle qu’il présente comme « une conquête digne de moi », laissant apercevoir toute sa présomption.

Il présente d’abord un atout. Il est différent de ceux et celles qui entourent habituellement sa conquête. Cette façon de présenter cela, montre encore son côté un peu trop orgueilleux « maris dépourvus de sentiments aussi bien que d’idées », « les femmes (…) une médiocrité plus inquiète ». Ainsi, selon ses propres dires, il peut mettre en avant de petites qualités qui paraîtront exceptionnelles : « une plaisanterie plus légère, une conversation plus variée » où « plus » est utilisé comme un comparatif de supériorité en faveur du narrateur. On notera aussi que même en essayant de faire son propre panégyrique, il confronte ses propres dualités « mélange particulier de mélancolie et de gaieté, de découragement et d’intérêt, d’enthousiasme et d’ironie » qui certes le mettent hors du quotidien mais montrent aussi sa propre fragilité.

La deuxième partie du paragraphe va se consacrer à un trait d’Éllénore assez complexe à décoder. Elles parle imparfaitement plusieurs langues. Mais « imparfaitement », cette adverbe de manière va être réévalué tout au long de la suite : « toujours avec vivacité, quelquefois avec grâce » où « vivacité » et « grâce », dont on discerne mal le rapport avec le fait de parler une langue imparfaitement, sont positifs pour le portrait d’Éllénore. Ainsi, lorsqu’elle utilisait une langue étrangère pour présenter ses idées, la difficulté éprouvée, transformée les idées en « plus agréables, plus naïves et plus neuves ». Ainsi donc, lorsque Éllénore s’exprimait, en langue étrangère, elle le faisait avec des difficultés, mais ces difficultés exprimaient de manière plus agréable ses idées. Du moins c’est ce que présente Adolphe… On pourrait presque croire, que cette démonstration alambiquée discerne déjà comment le narrateur est en train de s’inventer des motifs pour exprimer qu’il tombe sous le charme de la conquête. Le paragraphe, après ce long détour descriptif et explicatif d’un trait psychologique de la dame, passe d’ailleurs à l’utilisation du « nous » pour une phrase et finir par le « je » dans la dernière phrase. Deux propositions indépendantes pour le « nous », avec deux actions menées « ensemble », répété à chaque proposition « lisions ensemble », « promenions ensemble ». trois propositions indépendantes pour le « je » qui montre l’assiduité : « souvent », « le matin », « le soir », « mille sujets ».

Voilà pour l’historique dans le premier paragraphe. Le second va être le début de l’analyse d’Adolphe vis-à-vis d’Éllénore, à ses débuts, mais mené par Adolphe lui-même. Le commencement de l’analyse montre comment, malgré lui, et malgré son propre discours, il tombe en amour. La première proposition « je pensais faire… en observateur froid et impartial » qui va être détruit par le simple adjectif « inexplicable ». La nouveauté semble aussi de la partie « nouvel intérêt », « inusitée ». Adolphe raconte comment il est en face de quelque chose qu’il méconnaît. Cependant, il fera intervenir, ligne 26, son « amour propre » qu’il reprend aussitôt dès la phrase suivante pour bien marquer l’insistance de ce sentiment qui vient interférer avec la découverte de l’amour et donc entre Adolphe et Éllénore. Cet amour-propre vient transfigurer la première rencontre puisqu’il empêche Adolphe de se laisser complètement porter par ses sentiments. La conclusion du paragraphe montre toute la confusion du personnage qui croit savoir ce qu’il faut faire, mais qui n’a encore rien fait.

Le paragraphe suivant fait intervenir un autre trait de caractère la « timidité », qu’il n’arrive pas à surmonter « invincible ». Cette timidité l’empêche de tenir les discours qu’il croit devoir tenir pour pouvoir faire céder sa conquête. Aussi, quand il est près d’elle ne dit-il rien, tout en se reprochant de ne rien dire.

Dans le paragraphe suivant l’analyse va être plus fine et mettre en avant d’autres défauts qu’Adolphe, sans les nommer se reconnaît. Ne pouvant parler, du fait de la « timidité » présentée précédemment, il ne peut déchoir à ses propres yeux. Il va donc chercher un discours, un « raisonnement » qui ne le montrerait pas comme timide. Il le trouve « il ne fallait rien précipiter », « Éllénore était trop peu préparée à l’aveu que je méditais », « il valait mieux attendre encore ». Ainsi la timidité qui l’empêchait de parler, n’était plus, avec ce discours, une timidité, mais une stratégie. Adolphe n’est d’ailleurs pas dupe de lui-même en énonçant cette règle qu’il présente comme générale, « pour vivre en repos avec nous-mêmes, nous travestissons en calculs et en système nos impuissances ou nos faiblesses ». Il est donc parfaitement conscient du mensonge tenu pour expliquer que ce n’est pas de la timidité. Par contre, le fait qu’il présente cela comme une règle générale, ne serait-ce pas, aussi, encore, un discours pour ne pas avouer sincèrement et personnellement qu’il applique, lui-même, ce qu’il dit ?

Narrativement, le dernier paragraphe va être la présentation de ce que sa timidité l’amène à vivre, « tremblant et troublé » devant Éllénore, « plans habiles et profondes combinaisons » quand il n’est plus avec elle. Il est ainsi, selon la présence ou non d’Éllénore deux caractères très différents. Il le généralise avec l’hypothétique « quiconque aurait (…) en son absence » et « quiconque m’eût aperçu à ses côtés ». L’espace le transforme en deux personnages distincts et tout aussi clichés « un séducteur froid et peu sensible », ou « un amant novice, interdit et passionné ». La dernière phrase devient alors plus intéressante puisque, observant l’avant dernière phrase et ce qu’il ressentait, il en déduit que les observateurs auraient tort : « il n’y a point d’unité complète dans l’homme, et presque jamais personne n’est tout à fait sincère ni tout à fait de mauvaise foi ». il associe donc la sincérité et la « mauvaise foi » à son état double « timide » et « séducteur » ? Ou, il ouvre le discours à des traits de caractère plus profonds en lui ?

Pour conclure, ce premier extrait bat correctement les cartes du roman. L’amour est là, mais il n’est pas réellement au premier plan. Au premier plan, il y a Adolphe qui parle de lui devant la découvert de l’amour. Il est d’ailleurs à noter qu’il n’utilise le terme « amour » que dans « amour-propre » et que le sentiment central qui est en train de naître en lui, malgré lui, il ne le voit absolument pas apparaître...