Lecture analytique de "Le papillon"

Ce nouveau texte de Francis Ponge s’attache à un animal particulièrement important dans l’imagerie poétique. En effet, il est à la fois porteur du renouveau et de l’image de la renaissance, voire de la vie après la mort, il est le symbole du printemps et de ces nombreux sens auxquels il se rattache, « le papillon » est un objet poétique annoncé. Francis Ponge, une fois encore, va briser cette chaîne représentative et va bouleverser le discours pour faire de ce « lampiste » un autre objet poétique.

En effet, le papillon, ici, est l’objet central de la narration mais ‘en est pas réellement le héros. Il serait presque possible de parler d’ "anti-héros". Il n’est observé que dans son rôle de transmetteur génique des fleurs. Ainsi, le premier paragraphe, qui présente, dans le cadre narratif, le moment, ne parle de l’animal que sous sa forme plurielle et décentralise la focale d’observation. On a le moment où les plantes sont largement écloses et n’attendent que des vecteurs de transmission pour se reproduire. C’est « la terre » qui intervient par « un grand effort », pour envoyer « les papillon s » en vol. Ce premier paragraphe, introductif qui joue simplement, dans la narration sur al mise en chaîne de la situation initiale et de l’élément perturbateur ne semble pas nous entraîner vers l’admiration de « le papillon », annoncé dans le titre. Au contraire, il nous est d’abord montré l’instant et seules les « plantes » et « la terre » semblent concernées par le sujet, les papillons ‘étant finalement qu’une péripétie.

Dans le deuxième paragraphe, le pluriel va se transformer en singulier. Cependant, l’auteur passe, encore, par une étape en arrière dans le temps, on le voit notamment avec l’utilisation des passés simples de l’indicatif « eut » et « flambèrent » qui repoussent dans un passé extrêmement court la naissance du papillon. Le présent qui suit, qui rejoint le cadre temporel du premier paragraphe nous ramène alors au centre du sujet « le papillon », tout en nous le présentant comme incapable d’une route claire « au hasard de sa course ». ce deuxième paragraphe, déstructure le discours narratif en rompant le cadre initiale instauré par le premier paragraphe, d’abord avec un « flash-back », puis un retour au présent de narration, mais aussi par la transformation de la focale narrative, il ne s’agit plus de voir les « fleures » ou « la terre » comme centre de l’observation, mais bien « le papillon » qui n’avait été introduit que sous la forme plurielle.

Le troisième paragraphe, le plus long, va raconter cette route hasardeuse et développer l’idée d’un héros qui n’agit que malgré lui « sa flamme n’est pas contagieuse », « il arrive trop tard », « se conduisant en lampiste », « la guenille atrophiée » « humiliation amorphe », dont même le passé n’est pas particulièrement positif. Son histoire est d’être un simple transporteur pour « se venger » de son passé. Ainsi l’histoire n’est pas celle d’un « papillon » porteur de bonnes nouvelles, mais de la transmission de « sucre », sous forme de « guenille atrophiée ». Le lecteur est très éloigné de l’image traditionnelle du papillon.

Le dernier paragraphe qui abandonne, finalement, la narration développe alors l’image lancée. Ainsi, le papillon n’est qu ‘un « minuscule voilier », « maltraité », une sorte de « pétale superfétatoire » qui ne peut que vagabonder.

Cette démission de l’image du papillon est un réel divorce de la représentation poétique traditionnelle du papillon. On pourrait, alors croire que ce divorce entraîne la disparition de la poésie. Ce serait sans compter sur l’ouverture généreuse de cet Art Littéraire. Il ne s’agit pas de défaire le poétique, il s’agit de le transformer dans un jeu référentiel qui mélange démarche scientifique et invention imagée.

La démarche scientifique est simple, il ne s’agit pas de parler, d’abord, du papillon mais de son rôle dans la transmission entre les fleurs. Il s’agit de développer le hasard de cette transmission et c’est « les papillons », puis « le papillon » qui deviennent les émissaires de ce « hasard ».

Mais ce vecteur de transmission a une histoire, il était chenille au commencement et elle est devenue papillon, mais loin de transformer ce passage en symbolique poétique, le texte va chercher la poétique du naturel et transformer avec des images particulières ce passage d’un corps à l’autre. La chenille, dans un passé simple, possède « la tête aveuglée et laissée noire », l’observation précise de cette transformation résumée en cette désignation précise de la tête enfermée dans le cocon, change l’idée poétique et dévoile un monde naturel qui n’hésite pas à jouer sur les sens « aveuglé », évidemment, étant lié, sémantiquement, à « noire ». « le torse amaigri », désignation presque malheureuse, qui sous-entend la perte d’une épaisseur et de vie, ne semble utilisé que pour mieux insister sur l’importance de « la véritable explosion ». Cette dernière est renforcée par le verbe « flambèrent » en lien lexical avec l’explosion. Par contre, le sujet « les ailes symétriques », notamment par le choix quasi mathématique de l’adjectif qualificatif, décale l’explosion vers une image plus douce, introduite par « les ailes ». Ainsi, en une seule phrase, l’auteur transforme l’observation scientifique en une longue image poétique qui commence par « la chenille » et s’achève avec l’anacoluthe des « ailes » représentatives du papillon. Cette transformation va permettre d’insister sur l’aspect incertain du papillon « erratique » qui ne semble pas connaître son rôle mais avance « au hasard ». L’auteur développe encore cette idée de route non décidée en ajoutant le « tout comme » comme si lui-même, n’arrivait pas à donner une route précise à la description de la course du lépidoptère. De cette manière, il insiste par un jeu de contrechamp d’écriture, sur l’impossibilité de présenter l’animal comme une référence particulièrement sûre.

Cette démarche poétique, surprenante puisqu’elle ne développe pas des images particulièrement positives du « papillon », va continuer dans les deux suivants paragraphes. L’ouverture métaphorique « allumette volante » où l’ "allumette" est une réponse au « flambèrent » du paragraphe précédente et « volante » une continuité du déplacement du papillon, va automatiquement, et toujours métaphoriquement, se réduire à une « flamme » non « contagieuse ». Le papillon n’est pas un porteur de lumière, il est seulement une courte flamme, pratiquement maladive ce que sous-entend le sens de « contagieuse ». Le papillon n’intervient pas de manière correcte : « il arrive trop tard », et n’est en aucun un acteur, au mieux un spectateur qui « ne peut que constater ». Cette réduction, d’ailleurs, de la vision du papillon qui est contrainte ajoute à sa maladresse. Il acceptera par l’intermédiaire du « n’importe » de la phrase suivante qu’une démarche d’ouvrier de voirie « lampiste », celui qui allume et éteint les réverbères de la rue. Ouvrier, le plus souvent, représenté comme étant de moindre importance. Le narrateur file la métaphore avec la vérification du « niveau d ‘huile » des fleurs, remplacées par le pronom indéfini « chacune » pour ne pas briser l’effet de la métaphore. Le « lampiste » porte avec lui la trace de son passé de chenille qui semble être « la guenille atrophiée » pour la poser « au sommet des fleurs ». L’opposition forte entre « sommet » et « guenille » au niveau du réseau sémantique, où le sommet est un objectif particulièrement positif, atteint par le paillon et la « guenille » est un résidu, un reste, et, donc, particulièrement négatif. La démarche, alors, est de tenir l’objet poétique du texte « le papillon », à l’exacte centre entre ces deux extrêmes. Cette idée est alors développée avec l’idée de venger, « venge », un passif humiliant, celui de chenille au pied des fleurs. « Longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges ».

Le dernier paragraphe, après cette démarche particulière de dénigrement du papillon, autrefois chenille, sera d’atténuer par des images plutôt intéressantes, le vole erratique du papillon : « minuscule voilier des airs », la proximité de la voile et de l’aile, permet ce rapprochement sémantique, le « minuscule », n’étant, au fond, que le rapport simple de taille de l’animal. Cependant, le papillon ne quitte pas sa fonction passive « maltraité par le vent » et son utilité limitée « pétale superfétatoire ». Il n’est, alors, qu’un simple vagabond.

Cette longue observation de l’organisation métaphorique du texte nous montre combien l’écriture poétique de Ponge, ici, est particulière. Certes, il se sert, principalement des observations scientifiques : la reproduction hasardeuse des fleurs permises par les insectes, la transformation de la chenille en papillon mais il ne les enferme pas dans un simple discours d’observation.

Par exemple, si on observe comment intervient dans le déroulement narratif, la présentation de la chenille. La première apparition, est dans le deuxième paragraphe avec une insistance sur le passé, par l’utilisation des passés simples de l’indicatif. La deuxième, est un long groupe nominal, sans verbe mais qui renvoie encore plus à un passé éloigné : » longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges ». Tout semble se construire comme si plus le papillon avance dans le temps, plus l’histoire de la chenille recule dans le sien. L’idée pouvant être, peut-être, de réunir à la fin les deux, la chenille étant le papillon en devenir et le papillon, la chenille qui arrivera… Ce cycle expliquerait finalement l’aspect erratique proposé.

On peut aussi observer la partie qui concerne les fleurs. Le champ lexical, par exemple, met en avant:{« tige », « fleurs », « fleurs », « écloses », « fleurs », « tiges », « pétale »} comme si le vocabulaire manquait pour représenter les fleurs. Pourtant, ces fleurs sont le cadre principal des premiers et troisième paragraphe. Et « le pétale » ne sera qu’une métaphore du papillon, toujours dévalorisé avec « superfétatoire ».

Enfin, l’aspect narratif est détruit par une grand nombre de modalisateurs argumentatifs « mais », « dès lors », « tout comme », « et d’ailleurs », « n’importe », « ainsi ». Le discours proposé qui semble, initialement, une histoire répétitive, une histoire où les présents de l’indicatif ne seraient que des présents de vérité générale, serait, en fait, une démonstration. Mais laquelle ? Que le papillon n’est pas un outil poétique fiable ? Que la Nature est un jeu de reconduite fait par hasard ? Difficile de bien le comprendre, comme si, derrière ce texte, on devait, entant que lecteur, trouver un autre sens plus universel.

L’observation de ce texte nous a amené à nous questionner sur la démarche poétique de l’auteur. Nous avons pu observer d’abord l’œuvre de déconstruction de l’importance poétique du symbole du papillon. Ensuite, nous avons pu pointer combien cette déconstruction essayait, encore de préserver une démarche poétique. Enfin, une observation plus poussée nous a amené à nous interroger sur les réelles visées de ce texte. Si la poésie est la faculté littéraire d’offrir des textes qui ne soient pas, à la première lecture, simplement perçu, nous avons ici un texte complètement poétique.