Texte 3 : Acte III, scène 4, Mithridate, Jean Racine

Mithridate

Je ne le croirai point ? Vain espoir qui me flatte !

Tu ne le crois que trop, malheureux Mithridate !

Xipharès mon rival ? et d’accord avec lui

La reine aurait osé me tromper aujourd’hui ?

Quoi ? de quelque côté que je tourne la vue,

La foi de tous les cœurs est pour moi disparue ?

Tout m’abandonne ailleurs, tout me trahit ici !

Pharnace, amis, maîtresse, et toi, mon fils aussi !

Toi de qui la vertu consolant ma disgrâce...

Mais ne connais-je pas le perfide Pharnace ?

Quelle faiblesse à moi d’en croire un furieux

Qu’arme contre son frère un courroux envieux,

Ou dont le désespoir, me troublant par des fables,

Grossit pour se sauver le nombre des coupables !

Non, ne l’en croyons point, et sans trop nous presser,

Voyons, examinons. Mais par où commencer ?

Qui m’en éclaircira ? quels témoins ? quel indice ?...

Le ciel en ce moment m’inspire un artifice.

Qu’on appelle la reine. Oui, sans aller plus loin,

Je veux l’ouïr. Mon choix s’arrête à ce témoin.

L’amour avidement croit tout ce qui le flatte.

Qui peut de son vainqueur mieux parler que l’ingrate ?

Voyons qui son amour accusera des deux.

S’il n’est digne de moi, le piège est digne d’eux.

Trompons qui nous trahit ; et pour connaître un traître

Il n’est point de moyens... Mais je la vois paraître :

Feignons, et de son cœur, d’un vain espoir flatté,

Par un mensonge adroit tirons la vérité.