Problématique: Adolphe est-ce un roman d'amour?

Adolphe, de Benjamin Constant, est-il un roman d’amour ?

Benjamin Constant est considéré comme un des auteurs importants du Romantisme. Or le romantisme, ce mouvement littéraire du début du XIXème siècle, a, dans ses aspects fondamentaux, l’expression du « moi en souffrance », des passions et de l’expression des sentiments personnels. L’Amour, le grand amour, sacrificiel mais aussi aveuglant qu’on retrouve autant dans Le Rouge et le noir de Stendhal, que d’une certaine manière, dans Notre Dame de Paris, entre Quasimodo et Esméralda, de Victor Hugo. Ce sentiment d’importance a permis la subversion de l’adjectif « romantique ».

Ainsi, aujourd’hui, lorsqu’on parle de Roman d’amour, ne parle-t-on pas de textes du romantisme mais de textes romantiques…

Alors qu’est-ce qu’un roman d’amour ? Ce serait un roman où l’Amour serait le centre de l’intrigue… Là où le problème s ‘amplifie, c’est qu’il est bien difficile de définir l’amour… Si ce sentiment, en effet, a fait couler tant d’encre, c’est justement parce qu’il ne s’offre pas à une lecture unique.

Il faut donc détourner le problème et changer la question en Adolphe a-t-il, pour centre de l’intrigue, l’amour ? Oui, sans difficulté, mais ce qui corrompt l’observation c’est que cet amour n’est pas observé depuis un narrateur externe. Il y a un narrateur interne qui est le personnage même d’Adolphe. Celui-ci passe son temps à ne pas vouloir aimer tout en restant en relation amoureuse avec Éllénore…

Le narrateur, interne, est donc celui qui transforme le roman d’amour en un roman psychologique où le lecteur n’observe pas vraiment l’amour entre les deux personnes, mais la volonté de fuir l’amour, et son incapacité, non pas amour mais par lâcheté, mauvaise foi ou, même faiblesse, du personnage principal.

Dès lors, Adolphe, ne serait plus un roman d’amour, mais un roman où l’amour permet de révéler un personnage complexe, celui du narrateur, Adolphe lui-même. Pourtant, les différents événements qui parcourent le roman sont tous liés à l’amour, notamment l’amour d’Éllénore qui ne trouve pas sa contrepartie claire chez son jeune amant. L’amour est perpétuellement présent mais il est soumis à la prépondérance du narrateur qui s’étudie et vit chaque événement à travers lui-même. Comme si le sentiment, à l’origine de cette histoire, n’avait qu’un rôle secondaire. D’ailleurs, les autres moments qui concernent Adolphe sont sa relation avec son père puis sa relation avec l’ami de son père qui offrent, chacun, une proposition raisonnable à la déraison de l’amour qu’offre Éllénore.

Cependant, à chaque fois, ce qui apparaît, en premier, ce n’est pas les combats de l’amour, de la folie contre la raison, ce sont les combats d’Adolphe contre lui-même et son incapacité à pouvoir décider. Il ne s’agit plus alors d’un roman d’amour, mais d’un portrait psychologique en situation où le personnage Adolphe est, du début à la fin du roman, le centre de l’action et des événements. D’ailleurs, « La grande question dans la vie, c’est la douleur que l’on cause, et la métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l’homme qui a déchiré le cœur qui l’aimait. » exprime Adolphe. Il ne parle de l’amour que de manière sous-entendue et ne s’occupe, finalement, que des effets de l’amour, effets, notamment sur lui.

Adolphe est un personnage sans courage, très ressemblant à de nombreuses personnes, qui voudrait certains faits, mais qui n’ose les mettre en action parce qu’il manque de la force nécessaire à faire, parfois, souffrir. C’est, d’ailleurs, ses incessantes virevoltes, issues de ce manque de courage qui font le centre du roman. Il ne décide pas le destin qui lui arrive, il peste contre lui, il fait de promesses non tenues, qu’elles aillent dans le sens de l’amour, ou dans le sens contraire, mais il ne fait rien et laisse les événements décider pour lui. C’est son ami le baron de T. qui enverra à Éllénore la lettre de rupture qu’il ne lui a pas envoyé, c’est la mort d’Éllénore qui le séparera d’elle. C’est Éllénore qui vient le rejoindre dans la ville de son père, et c’est à cause de son père qu’il fuit avec elle, enfin c’est elle qui l’amènera à l’étranger. Tout se passe comme si Adolphe ne pouvait être que l’expression orale des événements et qu’il ne prît pas du tout la responsabilité concrète de ceux-ci. D’ailleurs, s’il a une aventure avec Éllénore, ce n’est pas parce que le destin l’a fait rencontrer cette femme, c’est parce que sur l’exemple d’un ami, il a voulu connaître une aventure…

C’est là où Benjamin Constant fait, toutefois, montre d‘une belle maîtrise. En effet, si Adolphe ne prend jamais de décision claire, il se retrouve malgré lui à en subir les effets. Plus sa décision sera incertaine, plus l’effet sera fort sur lui. Ainsi, il décide de plaire à Éllénore, mais il se laisse complètement prendre par le sentiment d’être aimé, ou il écrira une lettre de rupture mais qu’il n’enverra qu’au baron de T. et c’est ce personnage qui l’enverra alors qu’Adolphe n’avait pas prévu cela. L’effet sera dévastateur puisque Éllénore en mourra. Laissant Adolphe seul. « L'exemple d'Adolphe ne sera pas moins instructif, si vous ajoutez qu'après avoir repoussé l'être qu'il aimait, il n'a pas été moins inquiet, moins agité, moins mécontent ; qu'il n'a fait aucun usage d'une liberté reconquise au prix de tant de douleurs et de tant de larmes ; et qu'en se rendant bien digne de blâme, il s'est aussi rendu digne de pitié ».

Pour conclure, si l’amour a une grande place dans ce texte d’un auteur du romantisme, il n’est pas le centre de l’intrigue. Le centre, c’est Adolphe, lui-même et sa façon de vivre cet amour mais aussi l’ensemble des responsabilités qui lui échoient.