Lecture analytique, texte 3, Adolphe

Le père d’Éllénore décédé, il a fait de celle-ci son héritière. Adolphe et elle sont donc partis à Caden, en Bohême où elle peut retrouver son rang. Pourtant, cela n’améliore rien de la relation qu’il a avec elle. À Caden il va trouver le baron de T.* un ami de son père qui va tenter, le plus cordialement possible de convaincre le jeune homme de quitter cette femme. Mais Adolphe reste Adolphe et s’il est capable de la quitter quand elle n’est pas là, il reste incapable d’aller au bout de sa décision quand il est en face d’elle.

Le texte est un dernier mouvement d’hésitation d’Adolphe avant que le drame ne se noue définitivement. Il a pris l’habitude de se rendre chez le baron de T.* et y passe de plus en plus de temps. Il est resté à une soirée où il a entendu murmurer autour de lui en entendant les noms liés à son histoire. Cela l’a mis très mal à l’aise. Il est encore tout bouleversé que le baron de T.* lui montre des lettres de son père encore plus désolé du chemin que prend son fils.

Devant le nombre de ceux qui lui reprochent son attitude et ses choix, Adolphe se sent tourner vers le parti de ceux-là, à cela s’ajoute aux nombreuses fois où lui et Éllénore ont eu maille à partir « je prolongeais les agitations d’Éllénore ». Tout semble faire pencher la balance vers une résolution de séparation.

Il s’y ajoute une lettre d’Éllénore qui lui demande ce qu’il fait. Ce n’est pas tant le contenu de la lettre qui aura un sens à ce moment. D’ailleurs le contenu sera résumé par un « pleine d’amertume » qui n’en dira pas plus. Mais c’est le sens que prend cette lettre pour Adolphe aux yeux de tous. Il devient asservi et incapable de mener en homme responsable sa vie. La véhémence de ses pensées apparaît avec trois phrases exclamatives : « Quoi !(…) je ne puis passer un jour libre ! Je ne puis respirer une heure en paix ! », et est encore développée avec l’image de l’« esclave qu’on doit ramener à ses pieds », présentant alors Éllénore comme un reine tyrannique. Ce discours, pensé, violent est, Adolphe en a bien conscience, l’aveu de sa propre faiblesse.

L’ensemble de ces phénomènes l’amène à s’écrier, devant le baron T.* mais loin d’Éllénore, qu’il prend « l’engagement de rompre » avec Éllénore ». il prétend le faire lui-même et, surtout, il demande au baron d’en avertir son père… Cet emportement issu d’une démultiplication de petits phénomènes, la soirée, les lettres de son père, la lettre d’Éllénore, ne dévoile, une fois encore, qu’un homme qui parle sous l’impulsion du moment mais qui ne saura ni construire, ni présenter ce qu’il prétend dire.

Adolphe, en position de narrateur, le sait pertinemment. C’est pourquoi « les paroles » qu’il a prononcées l’oppressent parce qu’il s’est engagé réellement devant d’autres personnes alors que lui-même ne croyait « à peine à la promesse que j’avais donnée »

Adolphe, en position de narrateur, décrit dans quel état psychologique est Éllénore quand il revient. « impatience » « soupçons éveillés », « son inquiétude avait fait tant de progrès ». En effet, non seulement Éllénore voit les disparitions d’Adolphe, mais la narration raconte comment elle a été mise au courant de l’existence du baron de T.* et de ses discours à son encontre. Ainsi, pour Adolphe ne se trouve-t-il plus en face d’une aimante sans griefs. Elle a des doutes et sera d’autant plus attaquante qu’elle a des raisons d’y croire.

« J’étais arrivé auprès d’elle, décidé à tout lui dire. Accusé par elle, le croira-t-on ? je ne m’occupais qu’à tout éluder. Je niai même ». en presque deux phrases, le narrateur Adolphe démontre la lâcheté et la veulerie d’Adolphe personnage. Incapable de rester ferme, il préfère devenir celui qui se défend que celui qui attaque. Le phénomène prend d ’autant plus d’ampleur que la construction de la phrase renforce cela. La première phrase met en concurrence deux participes passés « arrivé » et « décidé ». Le troisième participe passé, de la phrase suivante détruit la structure « accusé » et la proposition sera alors de construire une ligne de défense « je ne m’occupais qu’à tout éluder ». Dans la phrase suivante, la répétition de « niai » insiste sur son mensonge qui ne veut pas assumer ses discours : « je niai ce jour-là ce que j’étais déterminé à lui déclarer le lendemain », où « niai » et « déclarer » ont une unité sémantique commune celle de la parole.

Finalement, c’est, encore, dans la fuite qu’Adolphe va se réfugier. Cette fuite, ici, sera le temps. Il se réfugiera d’abord dans le sommeil qui assure que la journée « était finie ». Puis, les paragraphes suivants, en repoussant l’heure des aveux, puisque « un jour me restait : c’était assez d’une heure ».

Ce qui reste le plus étrange, toutefois, c’est l’aveuglement d’Éllénore qui s’est satisfaite des réponses d’Adolphe. Son amour pour lui semble l’amener avec quelques propos rassurants à regarder leurs « existences comme indissolublement liées ». C’est cette solidité du sentiment chez Éllénore qui rend la tâche si difficile à Adolphe puisqu’il ne peut « trouver des paroles qui la repoussassent dans l’isolement »

Les paragraphes suivants mettent en parallèle les fuites d’Adolphe et la fuite du temps. Il a demandé trois jours au baron de T.* pour se séparer d’Éllénore, il a perdu celui de son arrivée. Le second ? Il n’est que le spectacle de ses hésitations parfaitement présentée dans la phrase d’énumération d’actions successives qui n’aboutissent pas « sortais », « rentrais », « prenais al main », « commençais une phrase », « j’interrompais aussitôt », « regardais la marche du soleil », « la nuit revint », « j’ajournai ». La dernière phrase de ce dernier paragraphe donne l’exact résumé de son incapacité à agir « un jour me restai ; c’était assez d’un heure », une phrase de pensée rapportées librement du Adolphe narrateur pour le Adolphe personnage.

« Ce jour se passa comme le précédent ». tout est écrit en cette simple phrase, une fois de plus, Adolphe n’a pas respecté sa propre parole. Il va agir avec des interlocuteurs éloignés, en écrivant à M. de T.* pour démontrer qu’il va faire ce qu’il ne fait pas, avec mille petits raisonnements.

Ce passage donne donc la mesure exacte de ce roman. Il ne s’agit vraiment pas d’un roman d’amour. Mais d’une autobiographie romancée d’un personnage qui n’a jamais le courage de faire ce qu’il prétend devoir faire. Cela le met dans une embarras continuel. Ici ce qu’il doit faire dépend d’une relation amoureuse. Mais si l’amour est parfaitement présent chez Éllénore, on a bien du mal à le discerner chez Adolphe qui souffre d’un trop grand amour-propre à égalité avec une grande lâcheté.