Le descriptif, sans documents complémentaires, pour les 1e ES

OBJET D’ÉTUDE

Écriture poétique et quête du sens du moyen Âge à nos jours.

Œuvre intégrale :

Le Parti pris des choses Francis Ponge

Problématique : Pourquoi peut-on qualifier les textes de ce recueil de poétique ?

LECTURES ANALYTIQUES

Écriture poétique et quête du sens du moyen Âge à nos jours.

Séquence 1 :

Texte 1 : « Pluie »

Texte 2 : « Le cageot »

Texte 3 : « Le papillon »

Texte 4 : « L’orange »

PLUIE

La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c’est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. À peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d’un grain de blé, là d’un pois, ailleurs presque d’une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d’un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d’un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu’au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.

Chacune de ses formes a une allure particulière ; il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d’une masse donnée de vapeur en précipitation.

La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

Lorsque le ressort s’est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s’arrête. Alors si le soleil reparaît tout s’efface bientôt, le brillant appareil s’évapore : il a plu.

LE CAGEOT

À mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.

Agencé de façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu’il enferme.

À tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l’éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d’être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques, – sur le sort duquel il convient toutefois de ne s’appesantir longuement.

LE PAPILLON

Lorsque le sucre élaboré dans les tiges surgit au fond des fleurs, comme des tasses mal lavées, – un grand effort se produit par terre d’où les papillons tout à coup prennent leur vol.

Mais comme chaque chenille eut la tête aveuglée et laissée noire, et le torse amaigri par la véritable explosion d’où les ailes symétriques flambèrent.

Dès lors le papillon erratique ne se pose plus qu’au hasard de sa course, ou tout comme.

Allumette volante, sa flamme n’est pas contagieuse. Et d’ailleurs, il arrive trop tard et ne peut que constater les fleurs écloses. N’importe : se conduisant en lampiste, il vérifie la provision d’huile de chacune. Il pose au sommet des fleurs la guenille atrophiée qu’il emporte et venge ainsi sa longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges.

Minuscule voilier des airs maltraité par le vent en pétale superfétatoire, il vagabonde au jardin.

L’ORANGE

Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfum suaves, certes, – mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins.

Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression ? – L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre ou d’eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, – et ce sacrifice odorant… c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment.

Mais ce n’est pas assez avoir dit de l’orange que d’avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l’air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte, et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant-bouche dont il ne fait pas se hérisser les papilles.

Et l’on demeure au reste sans paroles pour avouer l’admiration que mérite l’enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l’épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.

Mais à la fin d’une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, – il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d’un minuscule citron, offre à l’extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l’intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C’est en lui que se retrouvent, après l’explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, – la dureté relative et la verdeur (non d’ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d’être du fruit.

OBJET D’ÉTUDE

Écriture poétique et quête du sens du moyen Âge à nos jours.

Groupement de texte :

Des poésies dites érotiques

Problématique : Comment est utilisé l’érotisme dans la poésie ?

Études transversales et/ou thématiques :

Les dangers de l’érotisme en littérature

LECTURES ANALYTIQUES

Écriture poétique et quête du sens du moyen Âge à nos jours.

Texte 1 : « Nos désirs sont d’amour la dévorante braise » Agrippa d’Aubigné

Texte 2 : « Première soirée » Arthur Rimbaud

Texte 3 : « Éros » Anna de Noailles

Texte 4 : « Au- delà » Louise de Vilmorin

« Nos désirs sont d'amour la dévorante braise », Théodore Agrippa d’Aubigné, vers 1575

Nos désirs sont d'amour la dévorante braise,

Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,

Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,

Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.

De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise

Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,

Elle lui sert d'enclume et d'étoffe nos cœurs

Qu'au feu trop violent de nos pleurs il apaise,

Afin que l'apaisant et mouillant peu à peu

Il brûle d'avantage et rengrège (1) son feu.

Mais l'abondance d'eau peut amortir la flamme.

Je tromperai l'enfant (2), car pensant m'embraser,

Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m'enflamme

Qu'il noiera sa fournaise au lieu de l'arroser.

(1) augmente

(2) il s'agit de l'Amour, sous les traits de l'enfant forgeron (thème italien)

Théodore Agrippa d’Aubigné, Le Printemps, vers 1575

« Première soirée », Arthur Rimbaud, 1870

Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d’aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

– Je regardai, couleur de cire

Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire

Et sur son sein, – mouche ou rosier.

– Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s’égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : « Veux-tu en finir ! »

– La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

– Elle jeta sa tête mièvre

En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !

Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »

– Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D’un bon rire qui voulait bien…

– Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai, 1870

« Eros », Anna de Noailles, 1901

Hélas ! que la journée est lumineuse et belle !

L'aérien argent partout bout et ruiselle.

N'est-il pas dans l'azur quelque éclatant bonheur

Qui glisse sur la bouche et coule sur le coeur

De ceux qui tout à coup éperdus, joyeux, ivres,

Cherchent quel âpre amour étourdit ou délivre ?

- Mais soudain l'horizon s'emplit d'un vaste espoir.

Tout semble s'empresser, s'enhardir, s'émouvoir :

Il va venir enfin vers l'âme inassouvie

L'Eros aux bras ouverts qui dit : "Je suis la vie !"

Qui dit : "Je suis le sens des instants et des mois,

Touchez-moi, goûtez-moi, mes soeurs, respirez-moi !

Je suis le bord, la fin et le milieu du monde,

Une eau limpide court dans ma bouche profonde,

L'énigme universelle est clarté dans mes yeux,

Je suis le goût brûlant du sang délicieux,

Tout afflue à mon coeur, tout passe par mon crible,

Je suis le ciel certain, l'espace intelligible,

L'orgueil chantant et nu, l'absence de remords,

Et le danseur divin qui conduit à la mort...

Anna de Noailles, 1901, L’Offrande

« Au-delà », Louise de Vilmorin, 1937

Eau-de-vie ! Au-delà !

A l'heure du plaisir,

Choisir n'est pas trahir,

Je choisis celui-là.

Je choisis celui-là

Qui sait me faire rire,

D'un doigt de-ci, de-là,

Comme on fait pour écrire.

Comme on fait pour écrire,

Il va par-ci, par-là,

Sans que j'ose lui dire:

J'aime bien ce jeu-là.

J'aime bien ce jeu-là,

Qu'un souffle fait finir,

Jusqu'au dernier soupir

Je choisis ce jeu-là.

Eau-de-vie ! Au-delà !

A l'heure du plaisir,

Choisir n'est pas trahir,

Je choisis celui-là.

Louise de Vilmorin, 1937, Trois poèmes

OBJET D’ÉTUDE

Le théâtre et sa représentation du XVIIème siècle à nos jours.

Ouvre Intégrale

Mithridate Racine

LECTURES ANALYTIQUES

Le théâtre et sa représentation du XVIIème siècle à nos jours.

Texte 1 : Acte I, scène 5

Texte 2 : Acte II, scène 6

Texte 3 : Acte III, scène 4

Texte 4 : Acte IV scène 5

Problématique :

Pourquoi cette pièce, autrefois célèbre de Racine, n’est plus jouée aujourd’hui ?

Mithridate, Acte I, Scène V. Jean Racine, 1672

Pharnace

Mithridate revient ? Ah, fortune cruelle !

Ma vie et mon amour tous deux courent hasard ;

Les Romains que j’attends arriveront trop tard.

Comment faire ?(A Xipharès.)

J’entends que votre cœur soupire,

Et j’ai conçu l’adieu qu’elle vient de vous dire,

Prince ; mais ce discours demande un autre temps :

Nous avons aujourd’hui des soins plus importants.

Mithridate revient, peut-être inexorable ;

Plus il est malheureux, plus il est redoutable.

Le péril est pressant plus que vous ne pensez :

Nous sommes criminels, et vous le connaissez ;

Rarement l’amitié désarme sa colère,

Ses propres fils n’ont point de juge plus sévère,

Et nous l’avons vu même à ses cruels soupçons

Sacrifier deux fils pour de moindres raisons.

Craignons pour vous, pour moi, pour la reine elle-même :

Je la plains d’autant plus que Mithridate l’aime.

Amant avec transport, mais jaloux sans retour,

Sa haine va toujours plus loin que son amour.

Ne vous assurez point sur l’amour qu’il vous porte :

Sa jalouse fureur n’en sera que plus forte ;

Songez-y. Vous avez la faveur des soldats,

Et j’aurai des secours que je n’explique pas.

M’en croirez-vous ? Courons assurer notre grâce :

Rendons- nous, vous et moi, maîtres de cette place,

Et faisons qu’à ses fils il ne puisse dicter

Que des conditions qu’ils voudront accepter.

Xipharès

Je sais quel est mon crime, et je connais mon père,

Et j’ai par-dessus vous le crime de ma mère ;

Mais quelque amour encor qui me pût éblouir,

Quand mon père paraît, je ne sais qu’obéir.

Pharnace

Soyons-nous donc au moins fidèles l’un à l’autre.

Vous savez mon secret, j’ai pénétré le vôtre.

Le roi, toujours fertile en dangereux détours,

S’armera contre nous de nos moindres discours.

Vous savez sa coutume, et sous quelles tendresses

Sa haine sait cacher ses trompeuses adresses.

Allons. Puisqu’il le faut, je marche sur vos pas ;

Mais en obéissant, ne nous trahissons pas.

Mithridate, Acte II, scène VI, Jean Racine, 1672

Monime

Oui, Prince. Il n’est plus temps de le dissimuler ;

Ma douleur pour se taire a trop de violence.

Un rigoureux devoir me condamne au silence,

Mais il faut bien enfin, malgré ses dures lois,

Parler pour la première et la dernière fois.

Vous m’aimez dès longtemps. Une égale tendresse

Pour vous depuis longtemps m’afflige et m’intéresse.

Songez depuis quel jour ces funestes appas

Firent naître un amour qu’ils ne méritaient pas,

Rappelez un espoir qui ne vous dura guère,

Le trouble où vous jeta l’amour de votre père,

Le tourment de me perdre et de le voir heureux,

Les rigueurs d’un devoir contraire à tous vos vœux :

Vous n’en sauriez, Seigneur, retracer la mémoire,

Ni conter vos malheurs, sans conter mon histoire,

Et lorsque ce matin j’en écoutais le cours,

Mon cœur vous répondait tous vos mêmes discours.

Inutile, ou plutôt funeste sympathie !

Trop parfaite union par le sort démentie !

Ah ! par quel soin cruel le ciel avait-il joint

Deux cœurs que l’un pour l’autre il ne destinait point ?

Car quel que soit vers vous le penchant qui m’attire,

Je vous le dis, Seigneur, pour ne plus vous le dire,

Ma gloire me rappelle et m’entraîne à l’autel,

Où je vais vous jurer un silence éternel.

J’entends, vous gémissez ; mais telle est ma misère ;

Je ne suis point à vous, je suis à votre père.

Dans ce dessein vous-même, il faut me soutenir,

Et de mon faible cœur m’aider à vous bannir.

J’attends du moins, j’attends de votre complaisance

Que désormais partout vous fuirez ma présence.

J’en viens de dire assez pour vous persuader

Que j’ai trop de raisons de vous le commander.

Mais après ce moment, si ce cœur magnanime

D’un véritable amour a brûlé pour Monime,

Je ne reconnais plus la foi de vos discours,

Qu’au soin que vous prendrez de m’éviter toujours.

Xipharès

Quelle marque, grands dieux, d’un amour déplorable !

Combien en un moment heureux et misérable !

De quel comble de gloire et de félicités,

Dans quel abîme affreux vous me précipitez !

Quoi ! j’aurai pu toucher un cœur comme le vôtre,

Vous aurez pu m’aimer, et cependant un autre

Possédera ce cœur dont j’attirais les vœux ?

Père injuste, cruel, mais d’ailleurs malheureux !

Vous voulez que je fuie, et que je vous évite,

Et cependant le roi m’attache à votre suite :

Que dira-t-il ?

Monime

N’importe, il me faut obéir.

Inventez des raisons qui puissent l’éblouir.

D’un héros tel que vous c’est là l’effort suprême :

Cherchez, Prince, cherchez, pour vous trahir vous-même,

Tout ce que, pour jouir de leurs contentements,

L’amour fait inventer aux vulgaires amants.

Enfin, je me connais, il y va de ma vie :

De mes faibles efforts ma vertu se défie ;

Je sais qu’en vous voyant, un tendre souvenir

Peut m’arracher du cœur quelque indigne soupir ;

Que je verrai mon âme, en secret déchirée,

Revoler vers le bien dont elle est séparée.

Mais je sais bien aussi que s’il dépend de vous

De me faire chérir un souvenir si doux,

Vous n’empêcherez pas que ma gloire offensée

N’en punisse aussitôt la coupable pensée ;

Que ma main dans mon cœur ne vous aille chercher,

Pour y laver ma honte, et vous en arracher.

Que dis-je ? En ce moment, le dernier qui nous reste,

Je me sens arrêter par un plaisir funeste :

Plus je vous parle, et plus, trop faible que je suis,

Je cherche à prolonger le péril que je fuis.

Il faut pourtant, il faut se faire violence,

Et sans perdre en adieux un reste de constance,

Je fuis. Souvenez-vous, Prince, de m’éviter.

Et méritez les pleurs que vous m’allez coûter.

Xipharès

Ah ! Madame !... Elle fuit, et ne veut plus m’entendre.

Malheureux Xipharès, quel parti dois-tu prendre ?

On t’aime, on te bannit ; toi-même tu vois bien

Que ton propre devoir s’accorde avec le sien.

Cours par un prompt trépas abréger ton supplice.

Toutefois attendons que son sort s’éclaircisse,

Et s’il faut qu’un rival la ravisse à ma foi,

Du moins, en expirant, ne la cédons qu’au roi.

Mithridate, Acte III, scène IV, Jean Racine, 1672

Mithridate

Je ne le croirai point ? Vain espoir qui me flatte !

Tu ne le crois que trop, malheureux Mithridate !

Xipharès mon rival ? et d’accord avec lui

La reine aurait osé me tromper aujourd’hui ?

Quoi ? de quelque côté que je tourne la vue,

La foi de tous les cœurs est pour moi disparue ?

Tout m’abandonne ailleurs, tout me trahit ici !

Pharnace, amis, maîtresse, et toi, mon fils aussi !

Toi de qui la vertu consolant ma disgrâce...

Mais ne connais-je pas le perfide Pharnace ?

Quelle faiblesse à moi d’en croire un furieux

Qu’arme contre son frère un courroux envieux,

Ou dont le désespoir, me troublant par des fables,

Grossit pour se sauver le nombre des coupables !

Non, ne l’en croyons point, et sans trop nous presser,

Voyons, examinons. Mais par où commencer ?

Qui m’en éclaircira ? quels témoins ? quel indice ?...

Le ciel en ce moment m’inspire un artifice.

Qu’on appelle la reine. Oui, sans aller plus loin,

Je veux l’ouïr. Mon choix s’arrête à ce témoin.

L’amour avidement croit tout ce qui le flatte.

Qui peut de son vainqueur mieux parler que l’ingrate ?

Voyons qui son amour accusera des deux.

S’il n’est digne de moi, le piège est digne d’eux.

Trompons qui nous trahit ; et pour connaître un traître

Il n’est point de moyens... Mais je la vois paraître :

Feignons, et de son cœur, d’un vain espoir flatté,

Par un mensonge adroit tirons la vérité.

Mithridate, Acte IV scène 5, Jean Racine, 1672

Monime

Ah ! que vois-je, Seigneur, et quel sort est le vôtre !

Mithridate

Cessez et retenez vos larmes l’un et l’autre.

Mon sort de (en montrant Xipharès) sa tendresse et de votre amitié

Veut d’autres sentiments que ceux de la pitié,

Et ma gloire, plutôt digne d’être admirée,

Ne doit point par des pleurs être déshonorée.

J’ai vengé l’univers autant que je l’ai pu :

La mort dans ce projet m’a seule interrompu.

Ennemi des Romains et de la tyrannie,

Je n’ai point de leur joug subi l’ignominie,

Et j’ose me flatter qu’entre les noms fameux

Qu’une pareille haine a signalés contre eux,

Nul ne leur a plus fait acheter la victoire,

Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire.

Le ciel n’a pas voulu qu’achevant mon dessein,

Rome en cendre me vît expirer dans son sein ;

Mais au moins quelque joie en mourant me console :

J’expire environné d’ennemis que j’immole ;

Dans leur sang odieux, j’ai pu tremper les mains,

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.

A mon fils Xipharès je dois cette fortune ;

Il épargne à ma mort leur présence importune.

Que ne puis-je payer ce service important

De tout ce que mon trône eut de plus éclatant !

Mais vous me tenez lieu d’empire, de couronne ;

Vous seule me restez : souffrez que je vous donne,

Madame, et tous ces vœux que j’exigeais de vous,

Mon cœur pour Xipharès vous les demande tous.

Monime

Vivez, Seigneur, vivez, pour le bonheur du monde,

Et pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde ;

Vivez pour triompher d’un ennemi vaincu,

Pour venger…

Mithridate

C’en est fait, Madame, et j’ai vécu.

Mon fils, songez à vous : gardez-vous de prétendre

Que de tant d’ennemis vous puissiez vous défendre.

Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,

Viendront ici sur vous fondre de tous côtés.

Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite

A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.

Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,

Suffisent à ma cendre et l’honorent assez.

Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie.

Allez, réservez-vous...

Xipharès

Moi, Seigneur, que je fuie !

Que Pharnace impuni, les Romains triomphants,

N’éprouvent pas bientôt...

Mithridate

Non, je vous le défends.

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse.

Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits ;

Je sens que je me meurs. Approchez-vous, mon fils :

Dans cet embrassement dont la douceur me flatte,

Venez, et recevez l’âme de Mithridate.

Monime

Il expire.

Xipharès

Ah ! madame, unissons nos douleurs,

Et par tout l’univers cherchons-lui des vengeurs.