Janvier 1998 Québec sous le verglas...

5 janvier 1998 Après avoir été le point de mire durant plusieurs semaines, après avoir été admiré, complimenté, cruellement dépouillé de ses beaux atours, il se retrouve dans un état de nudité intégrale. Sa glorieuse mais éphémère carrière de sapin de Noël se termine aujourd'hui . IL nous quitte pour un voyage vers le pays du recyclage.

Sous l'escalier qui mène au sous-sol, se niche un pratique cagibi. J'y ai mis hiberner les guirlandes, couronnes, rubans, boules scintillantes, papiers colorés, bref, tout l'attirail indissociable des festivités de fin d'année. Venant tout juste de terminer cette opération remisage, je m'autorise un profond soupir et me laisse tomber dans les bras accueillants de mon fauteuil préféré. Mon œil balaie le décor. Il semble me remercier de lui avoir redonné son aspect familier. Quand soudain, je dresse l'oreille. À la radio, le météorologue de service, lance un avertissement : «on attend de 10 à 20 mm de pluie verglaçante et ça pourrait causer des problèmes.» Merdezouk , me dis-je, une fois de plus, des propos alarmistes ! De la pluie en hiver dans ce pays de neige, c'est le monde à l'envers. Mais, en mon for intérieur, je sais que le climat fait montre de plus en plus de caprices et que ce qui nous est annoncé peut parfaitement arriver. Et , effectivement cela se peut puisque cela arriva. Les turbulences du climat ont eu comme résultat que cette pluie dépassa largement les attentes. Cinq fois plus d'eau nous tomba sur la tête. Près de 100 mm qui se transforment instantanément en glace, croyez-moi, c'est un phénomène inédit. Le paysage prend subitement une allure fantasmagorique et devant l'étrangeté du spectacle, on reste figé, interdit.

Sous une lourde chape de glace, les fils électriques ploient et se rompent. Quant aux pylônes, ils perdent de leur superbe et courbent honteusement la tête quand ils ne s'étalent pas de tout leur long sur le sol glacé. De nombreux arbres, dont deux qui habillent mon jardin, suivent leur exemple et émettent des craquements sourds qui ressemblent à de lugubres sanglots. Les routes sont devenues des miroirs impraticables. Des commerces sont forcés de garder leurs portes fermées. Écoles, garderies ne peuvent plus accueillir les enfants qui se montrent ravis de la surprise qui leur a apporté la mauvaise humeur du temps.

8 janvier 1998

Comme la moitié de la population du Québec , notre trio (mon compagnon, mon fils et moi), nous nous retrouvons subitement privés de la fée électricité. Adieu chauffage, eau chaude, cuisinière, lumière. Adieu TV, Ordi. Adieu l'usage de tout ce qui souffre de dépendance envers cet indispensable Hydro-Québec. Adieu confort douillet ! Une telle situation ne peut durer pensé-je. Et bien, je me trompais car, dans notre quartier, elle aura l'audace de durer 4 semaines entières.

La temps n'est pas à la tergiversation. Le gouvernement doit agir afin de faire face à la crise. L'armée est appelée en renfort. Quant à la police, elle patrouille fréquemment afin de s'assurer de la sécurité des citoyens. Elle obligera certains récalcitrants à quitter leur foyer afin de trouver refuge dans des centres d'hébergement. Quant à nous, avec l' accord familial et celui des policiers, nous décidons de rester dans notre intimité mais de faire appel à la débrouille, car il est hors de question d'abandonner Chiquito, notre compagnon à 4 pattes. Que ferait-il tout seul dans une maison désertée ? Cependant, nous allons, à diverses reprises, nous restaurer dans ces centres et c'est plaisant de constater que la plupart des réfugiés font contre mauvaise fortune bon cœur et qu'il y règne un esprit de solidarité bien sympathique.

Comprenant que cette turbulence verglacée allait perdurer, il nous paraît judicieux de nous équiper d'une génératrice. Évidemment cet engin était devenu aussi difficile à trouver qu'un frigidaire au centre du désert. Euréka ! Fiston aux dons de magicien, parvient à en dénicher une. Ce n'est pas le moment de marchander. On paie le prix et on emporte fièrement le précieux trophée ! Quant à l'installation, elle se fera avec l'aide d'un voisin qui a la bonne fortune d'être électricien.

Bien sûr, il ne faut pas demander plus que ce que ce bidule peut donner. Mais, démontrant une réelle bonne volonté, il nous offre le plaisir de renouer avec un certain confort. Par exemple le bonheur de sentir à nouveau une pluie chaude nous picoter le peau ! «Gréez-vous de votre trousse de toilette et de votre essuie de bain», dit-on à certains voisins. Nous avions ainsi trouvé une méthode sympathique pour se connaître plus intimement et pour tisser des liens.

Voilà plus de 13 ans que cette période de turbulences glacées est terminée. SI vous désirez savoir ce qui est arrivé à ce pourvoyeur d'électricité, sachez qu'il dort sur ses lauriers dans un coin sombre de mon cabanon. Et, je peux vous affirmer que je n'éprouve pas la moindre petite envie d'avoir un jour à le réveiller.

Marybé